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saise, sans lesquelles il seroit à craindre que l'esprit de l'ouvrage que je dois faire connoître, c'est-à-dire, ce qu'il y a de vraiment important dans cet ouvrage, n'échappât à quelques lecteurs.

Il y a deux sortes de philosophie. La première étudie les faits, les examine et les décrit, reconnoît les différences et les analogies qui les rapprochent ou les séparent, pose les faits primitifs comme faits primitifs, les faits dérivés comme faits dérivés, sans aucune vue systématique, établit des classifications exactes, et ne va pas plus loin. La seconde commence où s'arrête la première: elle sonde la nature des faits, et prétend pénétrer leur raison, leur origine et leur fin; elle ne se borne point au présent, elle remonte dans le passé, s'étend dans l'avenir, embrasse le possible comme le réel, et, au lieu de questions expérimentales que l'observation peut résoudre, elle élève des questions spéculatives qu'elle aborde avec le raisonnement. La première a trouvé l'origine d'un fait quand elle l'a rapporté à la loi générale qu'il suppose; la seconde recherche l'origine de ce fait dans la raison même de la loi : ainsi l'une reconnoît les actions vicieuses de l'homme, qu'elle rapporte au pouvoir de mal faire, à la liberté humaine; l'autre se demande pourquoi l'homme peut mal faire, quelle est la raison de la liberté, sa place dans l'ordre des choses morales, la place de la moralité dans l'ordre général des choses et dans la pensée de leur auteur. La première constate, la seconde explique : l'une peut être appelée philosophie préliminaire ou élémentaire; l'autre, philosophie transcendante ou transcendentale. Cette distinction s'applique également à la métaphysique et à la morale, qui se composent par conséquent de deux parties. La métaphysique comprend la psycologie ou la science des faits intellectuels, et la métaphysique proprement dite, qui agite les grands problèmes rationnels : la morale se divise de même en morale élémentaire et en morale transcendante.

Dans l'ordre logique, la philosophie transcendante vient après la philosophie élémentaire, qui lui sert de point de départ et d'appui. L'analyse doit précéder la théorie, car la théorie doit contenir l'analyse. La philosophie transcendante suppose donc nécessairement la philosophie élémentaire, et la connoissance préalable de celle-ci est la seule voie légitime pour parvenir à la première. Mais la marche réelle de l'esprit humain ne ressemble point à celle de la raison : on a voulu expliquer les faits avant de les bien connoître; et, dans l'ordre historique, la philosophie transcendante a devancé la philosophie élémentaire. Il ne faut point s'en étonner; les grands problèmes de la métaphysique et de la morale se présentent à l'homme, dans l'enfance même de son intelligence, avec

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une grandeur et une obscurité qui le séduisent et qui l'attirent. L'homme, qui se sent fait pour connoître, court d'abord à la vérité avec plus d'ardeur que de sagesse; il cherche à deviner ce qu'il ne peut comprendre, et se perd dans des conjectures absurdes ou téméraires. Les théogonies et les cosmogonies sont antérieures à la saine physique, et l'esprit hu main a passé à travers toutes les agitations et les délires de la métaphysique transcendentale, avant d'arriver à la psycologie. On a recherché les traits distinctifs de la philosophie ancienne et de la philosophie moderne; on n'en peut trouver aucun qui les caractérise d'une manière plus frappante que l'adoption presque exclusive de la psycologie ou de la métaphysique. L'antiquité ne s'occupa guère que de questions transcendentales: l'analyse des faits nous appartient spécialement; et ce caractère, qui distingue éminemment l'antiquité des temps modernes, sépare aussi le XVII. siècle du XVIII. La philosophie de Descartes et de Leibnitz, qui remplit tout cet âge, est une philosophie transcendante. Ces beaux génies, dont on ne sauroit trop admirer la force et l'étendue, manquant de données exactes et complètes, tentèrent des solutions prématurées, et n'ont guère laissé que des hypothèses brillantes. Effrayé du peu de succès de ces tentatives ambitieuses; le sage et judicieux Locke se réfugia le premier dans la psycologie contre les erreurs alors inévitables du transcendentalisme; et, dès la fin du XVII. siècle, l'Europe eut une analyse de l'entendement qui portoit déjà quelques caractères de la méthode indiquée par Bacon dans le siècle précédent. Je ne dis point que l'analyse psycologique n'ait jamais été soupçonnée avant Bacon, ni pratiquée avant Locke; je sais qu'il n'y a ni méthode ni théorie entièrement nouvelles dans l'histoire de l'esprit humain, et que chez les modernes et chez les anciens, dans Gassendi, dans Hobbes, dans Aristote, il y a d'assez beaux exemples et même des modèles partiels d'analyse psycologique. Mais quand on néglige les exceptions particulières pour considérer seulement la marche générale de l'esprit humain, il me semble que l'on peut dire avec exactitude que Bacon est le premier qui ait promulgué les lois de la méthode psycologique, et Locke le premier qui les ait suivies. Les nouveaux essais devoient être foibles, et ils l'ont été. Locke porte encore le joug des hypothèses. Sans doute il s'occupe des faits, mais il ne sait pas les décomposer; il en laisse échapper un grand nombre; et ceux qu'il atteint, il les aperçoit confusément et les décrit mal. Comme son but, assez manifeste, étoit d'établir un système qu'il pût opposer à celui de Descartes, il soumet les faits à ses vues particulières, les dénature, leur ôte leurs vrais caractères pour leur imposer ceux qui conviennent à sa théorie, et les plie

aux proportions arrêtées d'une classification arbitraire. Ne reconnoissant que deux sortes de faits, Locke égara d'abord la psycologie dans une analyse systématique; la philosophie de l'expérience devint entre ses mains ce que les Allemands ont depuis appelé l'empirisme. Cent cinquante ans après Bacon, et soixante ans après Locke, l'Écossais Reid démontra que la pratique de Locke étoit contraire aux principes mêmes de sa méthode; et, entrant le premier dans l'esprit de cette méthode, il l'appliqua à la science intellectuelle, il découvrit ou rétablit plusieurs faits de la plus haute importance, et fonda cette école nouvelle qui se prétend seule fille légitime de Bacon, et réclame le titre tant prodigué et si peu compris d'école expérimentale.

Parmi les successeurs de Reid, M. Dugald Stewart est un de ceux qui ont le plus honoré l'école écossaise, et de tous, sans contredit, celui qui a le mieux mérité de la psycologie, dans ses Essais philosophiques, où il a si bien combattu Locke et ses disciples, et dans son bel ouvrage sur la philosophie de l'esprit humain, où, après avoir tenté l'analyse de plusieurs facultés importantes trop négligées par Reid, il établit enfm la nouvelle fogique que préparoient peu à peu les travaux de l'école d'Édimbourg, Mais c'est sur tout dans la morale que M. Dugald Stewart a rempli heureusement les lacunes qu'y avoient encore laissées Reid, Smith et Ferguson. Guidé par les exemples de ses devanciers, riche de cette multitude d'expériences qu'avoit fait éclore de toutes parts, pendant un demi-siècle, la méthode de l'école écossaise parmi des hommes auxquels on ne refuse pas le talent de l'observation, M. Dugald Stewart en a composé un ouvrage qui, les renfermant toutes ingénieu→ sement et méthodiquement distribuées dans des classifications étendues, peut être considéré comme l'ouvrage de morale le plus complet qui ait encore paru en Angleterre.

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La 3. édition de cet ouvrage a paru à Édimbourg en 1908. C'est une esquisse du cours public que M. Dugald Stewart y fit long-temps avec la plus grande distinction. Ce cours embrasse la métaphysique, la morale et le droit politique. L'auteur se contente de marquer les titres et les divisions de son droit politique; et comme, dans trois autres ouvrages, il a traité à fond toute la psycologie, il consacre seulement quelques pages de celui-ci à l'indication de ses classifications psycologiques, et s'arrête principalement sur la morale, dont il ne donne encore qu'une esquisse [outlines], une analyse peu développée, mais complète, à l'usage des jeunes gens qui suivent son cours; remettant à une époque plus reculée de sa vie le développement et le perfectionnement de son ouvrage,

Le traité de M. Dugald Stewart se divise en deux parties: la première renferme la classification et l'analyse de nos facultés morales, qu'il appelle principes actifs et moraux ; la deuxième comprend les diverses branches de nos devoirs.

Dans la première partie, l'auteur commence par quelques réflexions sur les principes actifs en général. Le mot action se dit proprement de l'exercice de la volonté, soit que cet exercice se produise au-dehors par des effets sensibles, soit qu'il ne passe point les limites du monde intérieur. Par-tout où il y a application des forces de l'esprit, il y a activité. Le discours ordinaire confond souvent, il est vrai, l'action et le mouvement. Comme nous n'apercevons pas les opérations intellectuelles des autres hommes, nous ne pouvons juger de leur activité que par ses effets extérieurs. Le mot activité est employé par l'auteur dans son sens le plus étendu, pour désigner toute espèce d'exercice, la volonté. Ce qui nous fait vouloir est donc ce qui nous fait agir. Or, parmi les divers mobiles de la volonté, il en est qui tiennent au fond même de la nature humaine, et qu'on nomme pour cela principes actifs: tels sont la faim, la soif, la curiosité, l'ambition, la pitié, le ressentiment; et les principes d'action les plus importans peuvent être compris dans la classification suivante, les appétits, les desirs, les affections, l'amour-propre, le principe moral.

Telle est la division de la première partie de l'ouvrage de M. Dugald Stewart. Ce premier extrait n'embrassera pas la première partie toute entière; je me contenterai de parcourir successivement les appétits, les desirs, les affections et l'amour-propre.

Voici les caractères que présentent nos appétits, selon M. Stewart. 1. Ils tirent leur origine du corps, et nous sont communs avec les animaux.

2. Is sont périodiques.

3. Ils sont accompagnés d'une sensation pénible plus ou moins forte, selon l'activité de l'appétit.

Nous avons trois espèces d'appétits: la faim, la soif, et l'amour, c'està-dire, l'appétit du sexe. Les deux premiers ont pour objet la conservation de l'individu; le troisième, la propagation de l'espèce; soins importans que la raison seule auroit mal remplis, et que la sage nature a confiés à l'instinct.

Outre nos appétits naturels, M. Dugald Stewart en compte beaucoup d'autres factices, ceux des liqueurs fermentées, &c. &c. En généraľ, dit-il, toute émotion nerveuse est suivie d'une sorte d'épanouissement et de langueur agréable qui fait naître le desir de renouveler l'acte qui

les produit. Nos penchans périodiques à l'action et au repos ont de l'analogie avec nos appétits.

M. Dugald Stewart fait, sur cette classe de principes actifs, une observation importante, que nous le verrons étendre par la suite aux desirs, aux affections et à la faculté morale. Quelques philosophes prétendent que les affections de l'ame humaine sont intéressées; on accuse d'égoïsme les déterminations mêmes de la vertu. Cependant cela est si faux, selon M. Dugald Stewart, que l'intérêt, à proprement parler n'entre pas même dans nos appétits. En effet, dit-il, chacun d'eux tend à son objet comme à sa dernière fin. Quand les appétits ont agi pour la première fois, il est évident qu'ils ont dû agir avant toute expérience du plaisir que procure leur satisfaction: souvent même nous sacrifions l'amour-propre à l'appétit, quand nous cédons à l'attrait d'un plaisir présent dont nous n'ignorons pas les conséquences funestes.

Selon M. Dugald Stewart, les desirs diffèrent des appétits en ce que, 1.° ils ne naissent point du corps, 2.° ils ne sont pas périodiques, 3.° ils ne cessent point quand ils ont obtenu un objet particulier.

Les principes actifs les plus remarquables qui appartiennent à cette classe, sont le desir de connoissance, le desir de société, le desir d'estime, le desir de puissance ou le principe d'ambition, le desir de supériorité ou le principe d'émulation.

En parlant du desir de curiosité, l'auteur montre fort bien que ce n'est point un principe intéressé. « Comme l'objet de la faim, dit-il, n'est pas » le bonheur, mais la nourriture, de même l'objet propre de la curiosité » n'est pas le bonheur, mais la connoissance.» Le desir de société est instinctif. Indépendamment de la bienveillance naturelle et des avantages que nous trouvons dans la société, un penchant invincible nous fait rechercher la compagnie de nos semblables, parce que l'expérience du plaisir de la vie sociale et des biens de toute espèce qui en sont inséparables, et l'influence de l'habitude, fortifient et accroissent en nous le desir de société. Quelques philosophes ont prétendu que c'est un sentiment factice. Mais que le desir de société soit primitif ou factice, toujours est-il vrai qu'il faut le ranger parmi les principes qui aujourd'hui gouvernent universellement la conduite des hommes. Ici se découvre le caractère de la philosophie de M. Stewart, plus occupé à constater la vérité des faits actuels qu'à rechercher leur origine. « Ce qui prouve que le desir de l'estime est un desir originel, c'est l'empire > suprème qu'il exerce sur l'ame. On voit tous les jours l'amour même » de la vie céder au desir de l'estime, et d'une estime qui, ne regardant » que notre mémoire, ne peut être accusée d'intéresser notre amour

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