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expérience; il la répéta sous toutes les formes, avec les appareils les plus variés : les uns fort simples, comme des pompes et des soufflets; les autres vraiment gigantesques, formés avec des tubes et des siphons de 50 pieds de haut, remplis successivement de toutes sortes de liquides. On devine aisément, à la lecture de ses Nouvelles Expériences touchant le vide, qu'il porte déjà dans son esprit une idée encore confuse de la cause dont il poursuit la démonstration avec méthode; mais il la garde encore secrète, moins par la crainte de heurter des préjugés que par le désir d'accumuler des preuves expérimentales indiscutables.

Dans cette première étude, qu'on jugerait fort mal aujourd'hui si l'on ne se reportait pas à l'époque, il établit deux faits importants: le premier, c'est que l'espace vide du tube de Torricelli « n'est rempli d'aucune des matières qui sont connues dans la nature et qui tombent sous aucun des sens». L'assertion était bien hardie, car il s'attaquait à l'un des principes les plus incontestés du moment; il heurtait de front l'opinion de ceux qui, avec Aristote, soutenaient que le vide est impossible et que la nature souffrirait plutôt sa destruction que le moindre espace vide. Ses expériences montraient au contraire et c'était là le second fait important que si les corps ont de la répugnance à admettre un vide apparent dans leur intervalle, cette répugnance n'est pas plus grande pour admettre un grand vide qu'un petit.

Ces résultats expérimentaux auraient dû faire réfléchir les métaphysiciens; mais on n'était pas accoutumé, à l'École, à accorder une grande importance à des faits bien observés; les phénomènes n'étaient le plus souvent qu'un prétexte à philosopher et à faire briller les ressources des esprits subtils; on préférait donc recourir à des hypothèses sur les esprits ignés du vif-argent ou les pores du verre, plutôt que de supposer l'absence de matières pondérables dans la chambre barométrique. L'horreur du vide était une sorte de dogme fondamental qu'on ne devait point abandonner, et l'hypothèse de l'existence du vide passait pour une absurdité.

C'était même, paraît-il, une injure, ou du moins une calomnie ridicule jetée à la face de la nature; aussi le P. Noël, dans un opuscule contre Pascal, intitulé le Plein du vide et dédié au prince de Conti, pensait-il s'attirer la belle humeur de son juge en débutant ainsi :

<< Monseigneur, la Nature est aujourd'hui accusée de vide, et j'entreprends de l'en justifier en la présence de Votre Altesse. Elle en avait bien été auparavant soupçonnée; mais personne n'avait encore eu la hardiesse de mettre des soupçons en faits et de lui confronter les sens et l'expérience. »

La réfutation des lettres et de l'opuscule du P. Noël montre Pascal comme un grand physicien. A l'encontre de son adversaire, qui entasse les hypothèses et même les contradictions, Pascal raisonne sur des faits précis, poursuit leur interprétation par des raisonnements serrés et distingue avec un bon sens admirable les points où la discussion est légitime de ceux où elle ne peut que s'égarer dans le vague, l'arbitraire ou les cercles vicieux. Son style, merveilleux de précision et de verve, est déjà celui de Louis de Montalte.

Mais toute cette polémique s'efface bientôt devant les preuves expérimentales qu'il apporte successivement. Désormais, il est en possession de la vraie cause de ces phénomènes; le vide barométrique est bien, comme il l'avait démontré, un espace inerte, dénué de matière exerçant une force élastique, et la colonne de vif-argent est soutenue par une pression extérieure qui ne saurait être, comme l'avaient soupçonné Galilée et Torricelli, que la pesanteur de l'air.

Il exécute d'abord une magnifique expérience qui aurait mérité de rester dans l'enseignement sous la forme même où Pascal la montra aux savants ses amis, à son beau-frère M. Périer, et probablement aussi à l'illustre Descartes, dans les deux visites que le grand philosophe vint lui faire les 23 et 26 septembre 1647. Cette expérience, qu'on pourrait nommer l'expérience du vide dans le vide, consista à placer un tube de Torricelli à l'intérieur d'un autre tube semblable, mais plus grand : « Le vif-argent du tuyau intérieur demeura suspendu à la hauteur où il se tient par l'expérience ordinaire, quand il était contre-balancé et pressé par la pesanteur de la masse de l'air; et, au contraire, il tomba entièrement, sans qu'il lui restât aucune hauteur ni suspension, lorsque, par le moyen du vide dont il fut environné, il ne fut plus du tout pressé ni contre-balancé d'aucun air, en ayant été destitué de tous côtés. »>

De plus, «< cette hauteur ou suspension du vif-argent augmentait ou diminuait à mesure que la pression de l'air diminuait ou augmentait »; enfin, « toutes ces diverses hauteurs ou suspensions du vif-argent se trouvaient toujours proportionnées à la pression de l'air ».

Cette expérience, si claire et si nette, ne constituait-elle pas à elle seule une preuve indéniable de l'existence de la pression atmosphérique, et par conséquent, de la pesanteur de l'air? Pascal, avec sa rigueur habituelle, ne crut pas devoir s'en contenter; il en voulut une démonstration encore plus parfaite, surtout plus frappante pour les esprits moins accoutumés que le sien à l'interprétation rigoureuse des faits; il la nomma « la grande expérience de l'équilibre des liqueurs, parce que, dit-il, elle est la plus démonstrative de celles qui peuvent être faites sur ce sujet, en ce qu'elle fait voir l'équilibre de l'air avec le vif-argent, qui sont : l'un la plus légère, et l'autre la plus pesante de toutes les liqueurs ».

C'est la fameuse expérience du Puy-de-Dôme. « Elle consiste, écrit-il à M. Périer, à faire l'expérience ordinaire du vide plusieurs fois en un même jour, dans un même tuyau, avec le même vif-argent, tantôt au bas et tantôt au sommet d'une montagne, élevée pour le moins de 5 ou 600 toises, pour éprouver si la hauteur du vif-argent suspendu dans le tuyau se trouvera pareille ou différente dans ces deux situations. Vous voyez déjà sans doute que cette expérience est décisive de la question, et que, s'il arrive que la hauteur du vif-argent soit moindre au haut qu'au bas de la montagne, comme j'ai beaucoup de raisons de le croire (quoique tous ceux qui ont médité sur cette matière soient contraires à ce sentiment), il s'ensuivra nécessairement que la pesanteur et pression de l'air est la seule cause de cette suspension du vif-argent, et non pas l'horreur du vide, puisqu'il est bien

certain qu'il y a beaucoup plus d'air qui pèse sur le pied de la montagne que non pas sur son sommet, au lieu qu'on ne saurait dire que la nature abhorre le vide au pied de la montagne plus que sur son sommet. >>

Retenu à Paris par des souffrances qui ne le quittaient plus, Pascal pria M. Périer son beau-frère, alors en résidence à Moulins, d'exécuter l'expérience sur le Puy-de-Dôme. Un an s'écoula avant que les circonstances favorables fussent réunies, et ce fut seulement le 19 septembre 1648 qu'elle fut faite par M. Périer, en présence des personnes les plus savantes de Clermont-Ferrand.

On se rendit d'abord au jardin des Pères Minimes qui était au lieu le plus bas de la ville. Là, deux tubes identiques furent remplis de vif-argent et renversés dans leur cuvette, suivant le mode ordinaire. Le vif-argent resta suspendu dans chacun d'eux à la hauteur de 26 pouces 3 lignes 1/2. L'un des deux fut alors laissé en place à la garde de l'un des religieux de la maison qui se chargea de l'observer toute la journée. L'autre tube et une partie du vif-argent furent emportés, et tout le monde monta au Puy-de-Dôme, élevé audessus des Minimes d'environ 500 toises. Le tube fut rempli à nouveau; mais, cette fois, le vif-argent ne s'éleva qu'à 23 pouces et 2 lignes; il y eut 3 pouces 1 ligne 1/2 de différence, « ce qui, écrivit M. Périer en rendant compte de l'expédition, nous ravit tous d'admiration et d'étonnement, et nous surprit de telle sorte que, pour notre satisfaction propre, nous voulûmes répéter l'expérience »; ce qu'ils firent effectivement cinq fois avec le même succès. Au retour, on se rendit aux Minimes pour examiner le tube resté en observation; on retrouva le vif-argent à la même hauteur où on l'avait laissé, et l'on apprit qu'il était demeuré fixe toute la journée.

Cette expérience mémorable excita l'admiration universelle; elle porta le dernier coup à l'horreur du vide et ébranla la foi aveugle en toutes les causes occultes que l'École philosophique d'alors aimait à invoquer pour l'explication des phénomènes. Désormais, en physique, ce sera l'expérimentation la grande souveraine, et non plus cette philosophie raisonneuse et stérile qui se réclamait d'Aristote, mais qui, en réalité, avait perdu le chemin des sources fécondes où l'illustre philosophe avait puisé ses richesses.

Pascal ne se repose point après ce beau triomphe; il poursuit les conséquences de sa découverte avec une hardiesse incomparable; il montre que le tube de Torricelli donne le moyen de « connaître si deux lieux sont au même niveau, c'est-à-dire également distants du centre de la terre, ou lequel des deux est le plus élevé ». C'est, on le voit, la méthode du nivellement barométrique si usitée de nos jours. Il pèse l'atmosphère et montre que cet air léger, qu'on disait sans pesanteur, presse la surface de la terre, comme le feraient 8 milliards de milliards de livres. I observe que cette pression est variable à chaque heure du jour suivant la température, l'humidité, la sécheresse, et fait exécuter des observations semblables à Clermont, à Paris, à Stockholm où Descartes, appelé récemment par la reine Christine de Suède, prend lui-même plaisir à les effectuer. Il compare les

résultats et il en conclut qu'il existe une corrélation entre les variations du baromètre et celles du temps; et, avec cette pénétration qui caractérise son puissant esprit, il en aperçoit toutes les conséquences. « Cette connaissance, dit-il, peut être très utile aux laboureurs, aux voyageurs, etc., pour connaître l'état présent du temps et le temps qui doit suivre, mais non pas pour connaître celui qu'il fera dans trois semaines. >>

Ainsi ce grand réseau d'observations barométriques simultanées, inauguré naguère par Fitz-Roy et Le Verrier, dont l'agriculture et la marine tirent aujourd'hui tant de profit, Pascal, il y a deux siècles, en avait aperçu l'utilité et signalé l'importance.

Le rêve du grand physicien est donc réalisé, et même au delà de ses espérances. Le baromètre est maintenant observé, pour la prévision du temps, dans toutes les grandes villes, et jusqu'au sommet du Puy-de-Dôme, dans ce magnifique Observatoire élevé en quelque sorte sous l'invocation du nom de Pascal, par la libéralité de la ville de Clermont, du département et de l'État.

L'ensemble de ces beaux travaux est exposé avec simplicité dans ses Traités de l'équilibre des liqueurs et de la pesanteur de l'air. Malgré la forme modeste sous laquelle Pascal présente ses résultats, on n'a pas de peine à reconnaître qu'il a fondé une nouvelle branche de la physique, l'hydrostatique, qu'Archimède n'avait pu dégager de sa fameuse trouvaille. La postérité a consacré ce titre de gloire, et l'on nomme Principe de Pascal le principe d'égalité de pression, base de l'hydrostatique que Pascal a su mettre en évidence pour ramener à une explication simple toutes les particularités de l'équilibre des fluides, et même le principe d'Archimède.

Voilà, certes, bien des titres à notre admiration; mais le propre du génie est d'épuiser tous les sujets qu'il embrasse et d'en faire jaillir des conclusions inattendues. Pascal nous en offre un brillant exemple. Parmi les plus puissants engins dont dispose l'industrie moderne, on doit citer la presse hydraulique. C'est à Pascal qu'on la doit; il la trouve comme conséquence de ses études, et non seulement il la conçoit, il la décrit, mais il signale sa puissance indéfinie et la condition fondamentale de son fonctionnement.

« D'où il paraît, dit-il, qu'un vaisseau plein d'eau est un nouveau principe de mécanique et d'une machine nouvelle pour multiplier les forces à tel degré que l'on voudra, puisqu'un homme, par ce moyen, pourra enlever tel fardeau qu'on lui proposera. Et on doit admirer qu'il se rencontre en cette machine nouvelle cet ordre constant qui se trouve en toutes les anciennes, savoir le levier, le tour, la vis sans fin, etc., qui est que le chemin est augmenté en proportion de la force. »>

Ainsi, dans les applications les plus usuelles de la mécanique (pourquoi oublierions-nous le haquet et l'humble brouette qu'il a également inventés ?), comme dans les spéculations les plus élevées de la science abstraite, ce génie pénétrant a laissé des traces profondes; il est le digne émule de Galilée et doit être compté parmi les fondateurs de la mécanique rationnelle.

En mathématiques plus encore qu'en physique, Pascal fut un inventeur de premier ordre si l'on en juge par la haute admiration de ses contemporains et par ceux de ses travaux, malheureusement en petit nombre, qui nous ont été con

servés.

Son fameux triangle arithmétique est resté classique; mais on l'a dépouillé pour simplifier l'enseignement de toutes les belles applications que l'auteur avait su en faire, si bien qu'il ne paraît plus aujourd'hui qu'un simple tableau mnémonique, au lieu de constituer une véritable méthode d'investigation, un symbole abstrait, indépendant des chiffres qui lui avaient donné naissance. Aussi, en relisant le Traité du triangle arithmétique, concis et pourtant si clair, on est frappé de la facilité avec laquelle on retrouve les théorèmes relatifs aux combinaisons, la solution du problème des partis, le développement des puissances d'un binôme, etc.; et ce dernier d'une manière si directe, qu'on n'aurait fait aucune injustice au grand Newton si on avait appelé binôme de Pascal le développement que l'immortel auteur du livre des Principes n'a eu qu'à traduire en symboles algébriques.

Le problème des partis dont le triangle arithmétique fournit une solution élégante est célèbre dans l'histoire des sciences, car il est l'origine d'une science nouvelle, la Géométrie du Hasard ou Calcul des Probabilités. Comme pour plusieurs grandes découvertes accomplies par les génies de cette époque, Galilée et Newton, le point de départ paraît singulièrement futile: c'était alors la mode, parmi les savants et les curieux, de proposer des problèmes, soit qu'on en possédât par avance la solution, soit qu'on désirât la connaître; d'ailleurs il y avait toujours une certaine satisfaction d'amour-propre aussi bien à proposer un beau problème qu'à le résoudre avant les autres.

Un bel esprit, peu ou point géomètre, mais grand joueur, le chevalier de Méré, proposa à Pascal deux problèmes dont l'originalité fit certainement honneur à leur inventeur.

En combien de coups peut-on espérer amener sonnez avec deux dés?

Pascal résolut aisément le problème, et la solution est aujourd'hui vulgaire.

Le second était plus difficile.

Deux joueurs, jouant une partie en un certain nombre de points, en ont déjà chacun un nombre inégal, et ils veulent rompre la partie sans l'achever; on demande comment ils doivent partager l'enjeu.

Avec sa sagacité habituelle, Pascal le résolut également d'une manière très simple; puis, à l'aide de son triangle arithmétique, il étendit bientôt les résultats au cas beaucoup plus complexe de trois et même d'un nombre quelconque de joueurs. Il annonça à ses savants amis qu'il avait obtenu les solutions complètes et leur proposa de les retrouver. Roberval essaya, mais en vain; Fermat, au contraire, y parvint par une méthode ingénieuse, différente de celle de Pascal et fondée sur la théorie des combinaisons qu'il venait d'établir.

L'élan était donné. Les plus grands esprits, Huyghens, les Bernoulli, frappés de l'originalité des vues qu'on découvrait dans ces questions nouvelles, s'adonnèrent à leur étude;

mais les méthodes auxquelles on avait recours dépassaient de beaucoup en étendue et en puissance le champ restreint des jeux de hasard. On ne tarda pas à reconnaître que les plus grands événements qui nous paraissent livrés au hasard, même ceux où la vie humaine est le facteur important, sont soumis à des lois fixes où la géométrie règne en souveraine. Des économistes comme Van Hudden, Jean de Witt, grand pensionnaire de Hollande, appliquèrent les principes du nouveau calcul à l'établissement des rentes viagères et des annuités; les géomètres et les statisticiens unirent leurs efforts à ceux des économistes et, grâce aux efforts de Moivre, Euler, Bayes, Price, Lagrange, Condorcet, Laplace, parvinrent à établir les règles mathématiques de ces associations devenues aujourd'hui vulgaires, mais qui, sous le nom d'assurances, rendent tant et de si éminents services.

Ainsi, cette géométrie de hasard, ce calcul des probabilités, qui paraît au premier abord établi sur un fondement si fragile, sur des éléments si fugaces, a conduit aux applications les plus positives; il apporte les bases indispensables aux associations de toute nature ayant pour but d'assurer la stabilité des fortunes, la sécurité des opérations, de prévoir les infortunes ou les désastres et d'en réparer les conséquences; le nombre et la grandeur des services rendus est si considérable, qu'on doit non seulement mettre de telles inventions au rang des merveilles de la science, mais encore en compter les initiateurs parmi les bienfaiteurs de l'humanité.

Ce serait donc une véritable ingratitude de ne pas rappeler que Pascal, avec Fermat, a jeté les premiers fondements de cette science féconde.

Dans ses travaux relatifs à l'analyse des courbes, Pascal est vraiment le précurseur de Newton et de Leibniz pour l'invention du calcul infinitésimal. Son génie, avant tout précis et rigoureux, ne se porte pas tout d'abord aux méthodes générales, aux vues d'ensemble qui comportent le plus souvent avec elles un vague ou une indétermination incompatible avec ses habitudes de rigueur; il se borne à des problèmes bien définis.

Il étudie une classe de courbes proposée, dit-on, à la sagacité des géomètres par le P. Mersenne; c'étaient les courbes que décrivent les points d'une roue roulant sur un plan. La courbe, nommée d'abord roulette, puis cycloïde, lorsque le point décrivant est sur la circonférence, porte, dans le cas plus général où le point est quelconque, le nom de trochoïde. Les géomètres les plus éminents dirigeaient alors leurs méditations vers la recherche des propriétés de ces courbes, problème d'autant plus intéressant qu'il paraissait dépasser en difficulté tous ceux que les philosophes anciens avaient légués à leurs successeurs. Aussi était-ce avec un véritable enthousiasme qu'on recevait et qu'on renvoyait à tous les coins du monde savant quelque propriété nouvelle. Roberval déterminait la tangente à la cycloïde, en mesurait la surface, en déterminait le centre de gravité; de Wren, la longueur de l'arc. Pascal y ajouta un grand nombre de déterminations relatives au centre de gravité des solides de révolution formés avec cette courbe. Ses solutions paraissaient si neuves et si ingénieuses, que l'illustre Huyghens, qui découvrit de si

belles propriétés à la cycloïde, lui déclare ambitionner l'honneur d'être appelé son disciple et parle de l'admiration et de l'étonnement que cause aux savants la publication de ses

travaux.

C'est qu'en effet les méthodes imaginées par Pascal étaient entièrement originales et en avance sur celles de ses contemporains de bien des années, parfois de plus d'un siècle. Ainsi, lorsqu'il détermine des centres de gravité, des volumes ou des surfaces, dans ses Traités de la roulette, des trilignes et des arcs de cercle, il effectue de véritables intégrations vingt ans avant la découverte du calcul intégral par Newton et Leibniz; et dans la rectification de la trochoïde qu'il exprime par un arc d'ellipse, il ouvre en réalité la voie à Fagnano, à Euler et à l'illustre fondateur de la théorie des fonctions elliptiques.

Lorsqu'il accomplit ces merveilles, Pascal, accablé par la maladie qui depuis l'âge de dix-huit ans ne lui laissait pas un jour de repos, vivait retiré dans la solitude, le plus souvent près de ses amis de Port-Royal, partagé entre les souffrances de son corps et les angoisses d'une âme ardente dont les Pensées nous révèlent l'inquiétude, l'abandon mystique et la profondeur.

Si l'on songe que ces admirables travaux furent pour la plupart le fruit de quelques nuits d'insomnie où il se permit de laisser ses austères méditations pour adoucir l'amertume de son mal; si l'on songe que la mort le saisit à trente-neuf ans, que doit-on penser de la puissance de son génie, et combien doit-on regretter, en voyant la grandeur de son œuvre, qu'il n'ait pas joui d'une destinée plus longue et plus heureuse!

Tel fut le grand homme dont nous honorons aujourd'hui la mémoire. Physicien pénétrant, géomètre profond, écrivain incomparable, ouvrant partout des voies nouvelles et fécondes, Pascal a embrassé dans ses méditations tout ce que l'esprit humain peut atteindre de plus élevé; en tout il s'est placé au premier rang, et par chacune de ses œuvres il a mérité la reconnaissance de la postérité. Pour lui dresser cette statue, témoignage d'admiration et de gratitude, on ne pouvait choisir un lieu plus cher à cet immortel génie, plus digne des souvenirs qu'elle doit perpétuer : c'est la ville où s'écoulèrent les premières et les seules douces années de sa vie, où sa belle intelligence commença à s'épanouir au contact des grandeurs sévères de la nature, entre cette riche vallée de la Limagne et le sombre profil de ce Puy-de-Dôme, bientôt le théâtre de sa plus brillante découverte.

Aujourd'hui, à l'aspect de cette cité en fête, de cette immense foule accourue de tous les points de l'Auvergne et de la France pour saluer cette grande image, nous ne pouvons nous défendre d'une profonde émotion. Dans son orgueil de mère, Clermont a voulu rappeler près d'elle, après deux siècles d'absence, le plus illustre de ses enfants; elle en fête aujourd'hui le retour. Le voilà maintenant revenu au berceau de ses jeunes années, ramené par la reconnaissance de la postérité. Nous le retrouvons tel que nous aimons à nous le figurer, absorbé dans quelque contemplation sublime et reposant désormais en face du Puy-de-Dôme, témoin de son

premier triomphe, monument impérissable de sa gloire ! L'Académie des sciences, chez laquelle le culte de Pascal est en quelque sorte une tradition de famille, vous remercie de l'avoir conviée à une telle fête.

CORNU.

INAUGURATION DE LA STATUE DE DENIS PAPIN, A BLOIS

Discours de M. de Lesseps.

J'ai été chargé par l'Académie des sciences, dans sa séance de lundi dernier, de la représenter à l'inauguration de la statue de Papin, hommage tardif rendu à l'homme de génie dont les découvertes ont renouvelé la face du monde.

Dans les pays libres, la postérité est reconnaissante; aussi voyez en Angleterre, aux États-Unis, en Belgique, en Hollande, en Italie, combien de monuments sont élevés en souvenir de ceux qui ont contribué à la gloire de leur pays et de leur siècle?

Lorsque l'Académie des sciences a bien voulu me désigner pour la mission qui m'amène auprès de vous, je lui ai répondu que j'acceptais cet honneur avec d'autant plus d'empressement et de gratitude que j'étais peut-être un des voyageurs qui avaient fait le plus grand usage de la vapeur. En effet, dans les quatre premières années de la mise en mouvement de l'œuvre du canal de Suez, je faisais annuellement 10 000 lieues en chemin de fer ou en bateau à vapeur. Pendant la construction du premier bosphore artificiel, l'entreprise des travaux a employé journellement 10 000 chevauxvapeur; nous comptons en employer 15 000 pour l'exécution du bosphore américain. Qu'il me soit donc permis d'acclamer dans sa ville natale le grand génie qui, le premier, a mis en pratique une invention destinée à réunir tous les peuples dans une confédération pacifique et civilisatrice.

L'invention de Papin, perfectionnée par ses successeurs, appartient aujourd'hui à tout le monde.

C'est une chose vaine que la lutte dans laquelle les nations cherchent souvent à faire valoir leurs droits à quelque grande découverte, sous prétexte que l'un de ceux qui y ont contribué leur appartient par la naissance. Il est évident qu'une grande pensée n'éclate pas spontanément et sans être produite par des précédents. Le terrain est déjà défriché, puis le temps en développe et mûrit le fruit jusqu'à ce qu'un penseur persévérant soit appelé à le recueillir. Colomb n'imagina pas d'emblée l'existence d'un continent nouveau; des indices, des études, des circonstances fortuites l'amenèrent à une découverte qu'il a eu seul le courage et la gloire de réaliser. Il en est de même de toutes les grandes conceptions. La boussole, l'imprimerie, l'électricité et d'autres inventions de premier ordre existaient en germe et s'agitaient à l'époque où elles firent explosion. Fermat et Pascal imaginèrent simultanément les principes du calcul infinitésimal; un demi-siècle après, Newton et Leibniz, amis et protecteurs de Denis Papin, en firent au même moment l'application. Lavoisier, Priestley, Scheele et Bayen découvrirent l'oxygène la même année.

Quant à la question de patrie, comment la résoudre avec impartialité? S'agit-il du lieu où l'inventeur prit naissance, ou de celui où l'invention apparaît pour la première fois? Huyghens et Cassini, l'un Hollandais, l'autre Italien, firent en France la plupart de leurs découvertes; Descartes et Papin, tous deux Français, passèrent les deux tiers de leur vie hors du sol natal; Poussin, notre compatriote, habita presque toujours l'Italie, et le compositeur Hændel vécut plus de cinquante ans en Angleterre. Est-ce à leur patrie originaire ou à leur patrie adoptive qu'appartiennent les œuvres de leur génie? Si Fulton a produit en France son projet de bateau à vapeur, avons-nous le droit de revendiquer son admirable invention? L'histoire de la science ne saurait s'arrêter à ces discussions; elle rend justice à tout homme qui présente des titres légitimes au développement de l'intelligence, au progrès de la civilisation, et ne voit dans tous ceux qui ont fait prévaloir une idée féconde que les membres d'une même famille, celle des bienfaiteurs de l'humanité.

Les grandes inventions destinées à changer la face de l'humanité n'entrent le plus souvent dans le domaine des faits accomplis qu'après avoir passé dans une filière, en quelque sorte providentielle, de tentatives isolées, mais résumées et appliquées par les études approfondies d'un homme perspicace et désintéressé, n'ayant d'autre guide que la science, et d'autre but que d'être utile à l'humanité, sans tenir compte du milieu d'erreurs et de préjugés dans lequel ses découvertes sont conçues ou mises en œuvre.

Denis Papin fut un de ces hommes exceptionnels. Voici, en résumé, le bilan de ses travaux et de ses découvertes dont s'est emparée l'industrie contemporaine.

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1543. Blazco de Garay, Espagnol, fait dans le port de Barcelone, en présence de Charles-Quint, l'expérience d'un bateau sans voiles ni rames, par un procédé qui n'a pas été communiqué par son auteur et qui est resté inconnu. 1562. Mathésius, Allemand. Simple assertion touchant l'emploi des machines à feu dans les mines de la Bohême. 1569. Besson, Français. Expériences concernant le volume relatif d'une quantité d'eau et de vapeur, idée reprise, en 1601, par Porta, Italien; en 1613, avec plus de succès, par Moreland, Anglais.

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Telle est l'histoire abrégée des effets mécaniques de la vapeur jusqu'aux temps voisins des expériences de Papin. Répétons cette conclusion de M. de la Saussaye, savant auteur de la Vie de Papin, membre de l'Institut et de la Société académique de Blois :

«En ce qui regarde le seul gouvernement de l'eau vaporisée, qu'ont fait les successeurs de Papin, les Savery, les Newcomen, les Watt, les Leupold et tant d'autres? sinon d'agencer, de combiner, de modifier plus heureusement ce qu'il avait trouvé la soupape de sûreté, le piston, le condenseur, l'épistome à quatre ouvertures, le double effet, la haute pression! Qui donc est l'inventeur, le vrai, le réel inventeur? La postérité a répondu un Français, un Blésois, Denis Papin. »

F. DE LESSEPS.

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