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immédiats de ceux que la compagnie anglaise formée pour exploiter le commerce de la Russie nommerait à cet effet, et que celui qui refuserait d'obéir à la sentence rendue par la compagnie, serait comme rebelle, livré par les Russes à ses agents. » Nous citons textuellement ce traité parce qu'il est le premier que la Russie ait conclu avec les puissances occidentales et que les opérations de la compagnie anglaise se rattachaient directement au commerce de la mer Noire. Dès lors en effet, grâce aux efforts d'Ivan, les marchandises de l'Asie remontaient le cours du Volga jusqu'à Nijnéi-Novgorod sur des bâtiments russes, persans, et même boukhariens; une partie des produits des rivages de l'Euxin prenait la même route, et les Anglais cherchaient à s'ouvrir par la Russie un passage vers les régions caucasiennes, l'Arménie, l'AsieMineure et surtout l'Inde; mais les seuls résultats utiles de leur entreprise, furent les voyages d'exploration de deux de leurs agents, Antoine Jenkinson et Christophe Burrough sur la Caspienne et jusqu'à Boukhara. Frédéric, duc de Holstein-Gottorp, renouvela la même entreprise en 1633, mais sans plus de succès, et le Roi de Suède ne fut pas plus heureux, quelques années plus tard, lorsqu'il envoya au Roi de Perse une ambassade dont Kampfer était le secrétaire. Eclairé par toutes ces tentatives, Alexis Ier Mikhailovitch entreprit de tirer parti par lui-même de la situation commerciale de la Russie. Il retira aux négociants étrangers les priviléges qui leur avaient été accordés, fit d'Astrakhan un entrepôt considérable, résolut de lancer des flottes dans la mer Noire et dans la mer Caspienne, fit construire par des Hollandais le premier vaisseau qu'ait eu la Russie, établit des manufactures de toile et de soie et publia un code de commerce. C'est à ce prince qu'appartiennent les grands projets commerciaux et maritimes de la Russie que Pierre-le-Grand, son fils, n'eut qu'à recueillir et à développer. Alexis, en effet, ne s'était pas borné à faciliter les transactions entre les différentes provinces de ses Etats et même entre ces provinces et les peuples de l'Europe. Il inaugura les relatious de la Russie avec la Chine, et organisa les grandes caravanes qui vont encore par la Sibérie chercher les produits du Céleste-Empire.

« Qu'un prince habile et intelligent vienne à surgirau milieu de ces populations arriérées (les Russes), disait l'illustre évêque d'Avranches, frappé de l'admirable situation de la Russie, et on verra ces barbares enrichis par le commerce devenir promptement formidables à tous leurs voisins. » Or, au moment où Huet écrivait ces lignes, le génie de Pierre Ier commençait à poindre sur l'horizon de la politique. Les efforts opiniâtres de ce monarque pour établir une flotte sur la mer Noire, ses guerres contre la Perse pour dominer sur la Caspienne, ou, suivant Voltaire, qui écrivait d'après des sources officielles, « Pierre méditait depuis longtemps le projet de dominer par une puissante marine, afin de faire passer par ses états le commerce de la Perse et d'une partie de l'Inde, » le plan qu'il avait tracé d'un canal destiné à faire communiquer les mers Noire et Caspienne, et dont on conserve encore l'original dans les archives de Presbourg, sa tentative sur Khiva, les conseils même qu'il légua par testamment à ses successeurs au sujet de la mer Noire et des Indes, voilà des preuves évidentes du projet que nous attribuons à Alexis, à Pierre, et autres souverains de la Russie. La mer Noire avait été pendant douze ou quinze siècles le centre du commerce le plus riche qui se soit fait sur la terre; ce commerce avait élevé pendant près

de quatre cents ans la Russie à un haut degré de prospérité; l'Euxin même avait porté le nom de Mer Russe; les Tzars ne l'ignoraient pas et ils voulaient faire revivre le passé dans l'avenir. Pierre II, Anne, Ivan VI, Élisabeth et Pierre III, qui régnèrent de 1727 à 1763, laissèrent la Russie stationnaire du côté de la mer Noire et de l'Asie. Élisabeth, hors d'état de travailler par ellemême à établir ou à étendre les relations commerciales de ses états avec l'Asie, autorisa, comme Ivan IV, les Anglais à exploiter le commerce de l'Asie et, en particulier, de la Perse par les ports russes de la Caspienne. Une nouvelle compagnie, fondée par Elton, avait obtenu des priviléges aussi avantageux de la cour de Perse que de celle de Saint-Pétersbourg. Elle fut autorisée par un acte du parlement, malgré l'opposition de la compagnie anglaise des Indes et de celle de la Turquie, qui craignaient avec raison une déviation des marchandises de l'Orient. Elton partit, en 1742, avec un excellent vaisseau et une forte cargaison, du port de Kazan sur le Volga. Mais cet homme ambitieux et turbulent était à peine arrivé à Ghilan, qu'il eut une querelle avec le consul de Russie. Il passa bientôt au service de la Perse, accepta le grade d'amiral et équipa pour Nadir-Schah une flotte supérieure à celle de la Russie. Le cabinet de Saint-Pétersbourg interdit alors aux Anglais la navigation de la mer Caspienne (1746). Ainsi échoua cette fameuse entreprise qui devait faire pénétrer dans l'Asie, par la Russie, tous les produits de l'industrie britannique, et faire remonter dans les mers du Nord, par le Volga et Saint-Pétersbourg, ceux de la mer Noire, de l'Arménie, de la Perse, etc.

Pierre III ne fit qu'apparaître sur le trône, et sa veuve prit la couronne. Étonnante incarnation de la politique de Pierre-le-Grand, Catherine intrigua, Jutta et combattit sur toutes ses frontières à la fois. Elle voulait la Crimée et la mer Noire avec toutes ses côtes orientales et septentrionales. La violence, la perfidie et la trahison, rien ne lui répugna pour arriver à son but. On a calculé que ses triomphes sur les Turcs lui coûtèrent un million trois cents mille hommes, sans compter les matelots, mais elle avait conquis la Crimée et porté les frontières de la Russie jusqu'au Dniester et presque jusqu'au Caucase. Elle avait rêvé la possession de Constantinople; Voltaire l'engageait à rejeter les Barbares en Asie, et le vieux maréchal Munnich lui écrivait, le 20 septembre 1762, pour lui offrir les plans dressés à ce sujet par Pierre-le-Grand, dont il avait été l'ami et le confident. La Tzarine avait une telle confiance dans la réussite de cette entreprise, qu'elle avait fait frapper une médaille représentant d'un côté «<le buste de Sa Majesté impériale, et de l'autre Constantinople et les Sept-Tours écrasées par la foudre. »>

Plus d'un demi-siècle s'est écoulé depuis la mort de Catherine, et le Croissant brille encore sur le dôme de Sainte-Sophie, mais la Russie ne s'est pas arrêtée: elle a étendu ses bras gigantesques autour de la mer Noire, d'un côté jusqu'au Danube, et de l'autre jusqu'au nord de Batoum, jusqu'à l'Ararat et à P'Araxe; elle domine sur toutes les côtes nord, est et ouest de la Caspienne, elle s'est avancée au-delà de l'Aral, jusque dans les environs de Khiva, de sorte qu'elle est à peu près maîtresse des grandes routes qui, si elles parvenait jamais à réaliser ses plans de politique commerciale, amèneraient dans la mer Noire toutes les richesses de l'Asie, tandis que ses grands fleuves y feraient déboucher tous les produits de son immense empire européen, au moyen du

vaste système de canalisation qui fait communiquer la mer Baltique et la mer Blanche avec la mer Caspienne et la mer Noire. La Russie, comme on le voit, a préparé avec soin et avec intelligence les voies de ce commerce prodigieux qui lui assurerait la première position dans le monde.

En attendant l'accomplissement de ses vastes projets, la Russie a développé dans la mer Noire un mouvement commercial toujours croissant. Elle y est parvenue en étendant dans ses provinces méridionales la culture des céréales, du chanvre, du lin, du tabac, de la soie, l'élève des bestiaux, et surtout celle des moutons ordinaires et des moutons mérinos 1, ce qui lui a permis de livrer à l'exportation des quantités énormes de blés, de matières textiles (lin, chanvre, laine), de toiles, de cordages, de suif, de chandelles, de cuirs, de cire, de miel, etc., objets auxquels il faut ajouter les fourrures, le sel, l'étain, le fer, le cuivre, l'ambre, les poissons salés, l'huile de poisson, le caviar, la coutellerie, etc. La Russie aurait pu faire descendre également à la mer Noire les marchandises précieuses qu'elle tire de l'Asie; mais le temps n'était pas venu et elle a préféré les attirer à Nijnéi-Novgorod, d'où elles se dirigent sur Moscou et Saint-Pétersbourg. Elle aurait pu également favoriser le commerce de l'Allemagne avec la mer Noire par le Danube; mais elle a fait, au contraire, tous ses efforts pour entraver la navigation de ce fleuve, qui contribuerai si puissamment à la prospérité de l'Autriche, des provinces danubiennes et de la Turquie. Le développement commerciale de la Russie est par conséquent désastreux pour les peuples de l'Europe centrale, et même pour la France, qui, au moyen des chemins de fer, et du Danube uni au Rhin et au système de canalisation français par le canal Louis, pourraient échanger sur les marchés de la mer Noire les produits de leur industrie contre ceux de l'Asie. Quant aux intérêts anglais, ils sont plus grands sur l'Euxin que ceux d'aucune autre puissance de l'Europe occidentale, centrale ou méridionale. La Grande-Bretagne, en effet, est de toutes les nations celle qui fait avec la Turquie les opérations commerciales les plus considérables. Elle exporte annuellement pour plus de 2,000,000 de livres sterling de ses marchandises, par le seul port de Trébizonde, si voisin des frontières asiatiques de la Russie, qui en ambitionne depuis longtemps la possession, et c'est, enfin, par la mer Noire que l'Angleterre peut contrebalancer à la cour de Perse l'influence moscovite, et veiller à la sécurité de son magnifique empire de l'Hindoustan.

ALEXANDRE BONNEAU.

1 On comptait, en 1834, dans la seule province d'Ekaterinoslav, plus de 200,000 moutons mérinos, race, comme on sait, nouvellement introduite en Russie. Le gouvernement russe a fait tous les efforts imaginables pour doter ses provinces méridionales des plus riches cultures. Le coton, le murier pour l'élève des vers à soie, le nopal pour la cochenille, ont été l'objet de soins attentifs. La Crimée produisait du vin de bonne qualité; le Tzar y a fait introduire les ceps les plus estimés du Rhin, de Bourgogne, d'Espagne, de Chypre, de Madère. C'est dans les environs de Soudak, à 103 kilomètres E. S. E. de Simferopol que ces vignobles ont été surtout établis. Des colons allemands ont été attirés en Crimée pour faire prospérer cette nouvelle branche de l'industrie nationale, et une école de viticulture a été fondée à Soudak avec un jardin botanique.

Ouverture du Théâtre-Italien.

demoiselle Sophie Cruvelli.

CHRONIQUE

Heureuses tendances. Le Grand-Opéra. Madame Stoltz et maLes Sabots de la Marquise, opéra-comique. - Ouverture du ThéâtreLyrique. Mesdames Cabel et Deligne-Lauters. M. Gevaert et son opéra le Billet de Marguerite. Concours pour les Grands-Prix, — Envois de Rome.

Athéniens modernes, nous ne sommes jamais satisfaits, nous rêvons toujours un idéal supérieur à la réalité, nous avons toujours des aspirations qui dépassent les faits, des ardeurs qui précèdent les événements, et qui souvent les amoindrissent à force de les exagérer. Nul ne niera les efforts tentés par le ThéâtreItalien, depuis quelques années, pour se remettre à flot et rappeler chez lui son ancien monde; nul ne contestera qu'il n'ait fait passer devant nous, tous ou à peu près tous les artistes les plus éminents de l'art du chant : mesdames Alboni, Cruvelli, Sontag, Frezzolini, Bosio; MM. Ronconi, Lablache, Tamburini, Bettini, et pourtant qui oserait prétendre que ce public difficile ait rendu ses bonnes gràces au Théâtre-Italien? Cette année encore il nous apporte tout ce qu'il a pu trouver de plus fameux dans la nouvelle génération des chanteurs et des cantatrices; c'est trop peu, nous sommes exigeants et nous avons de la mémoire : Tamburini, disons-nous, était un autre Assur que M. Gassier, il avait plus d'acquit, plus de fond, plus de souplesse et plus de style. M. Gassier est jeune, il ne faut pas le décourager, mais M. Gassier n'est pas encore digne du premier rang qu'il occupe. Madame Bosio est assurément une cantatrice distinguée qui a de la passion, de la souplesse, une belle voix, et qui chante juste; mais vous rappelez-vous la Grisi? vous souvenez-vous de cette beauté sculpturale, de cette voix vibrante et passionnée, de ces élans superbes qui enlevaient toute la salle? Et Arsace! qui n'a vu Arsace joué par madame Malibran n'a rien vu; heureux toutefois ceux qui ont entendu l'Alboni dans ce rôle. Comment madame Borghi-Mamo, malgré sa réputation méritée, pourrait-elle l'aborder chez nous avec succès? Sans doute cette dame a de l'agilité dans le haut, mais elle manque de goût dans ses traits, elle fait des tenues d'une longueur ridicule, elle n'a ni médium ni cordes basses, c'est une voix fatiguée avant d'avoir été formée;-elle aurait besoin d'apprendre à chanter, dit l'un; - son organe est usé, dit l'autre. Quant à M. Luchesi, il est très propre à remplir le rôle secondaire d'Idreno, mais lui confier Almaviva!... c'était bon en 1848, encore sa voix blanche s'est-elle à peu près effacée depuis lors c'est un ténor fruste comme M. Roger, il faut le mettre aux antiques.

Voilà les réflexions que font tout haut les dilettanti, ceux du moins qui se piquent de sincérité, et, par malheur, ils sont assez nombreux pour paralyser les efforts de la réclame. La vérité se fait jour quoiqu'on tente pour l'étouffer, et c'est un sot calcul que d'acheter d'injustes éloges et de soudoyer de honteux mensonges. Il est rare que cette arme empoisonnée ne se retourne pas un jour ou l'autre contre ceux qui l'ont employée. La lâcheté,

TOME XVI.

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comme

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la vertu, trouve toujours sa récompense, et ceux qui ont payé l'impôt à la plume vénale sont destinés à devenir ses victimes, ce dont personne ne les plaindra.

Le Théâtre-Italien a ouvert sa campagne par la Semiramide, il la continue par le Barbier. Après les vaines tentatives que l'on a faites depuis quelques années pour acclimater chez nous la musique bruyante et emphatique dont l'Italie fait aujourd'hui ses délices, il est difficile de nier que le goût français ne la repousse énergiquement. Il faut que les novateurs en prennent leur parti, leur cause est perdue en France. Cette vérité reconnue enfin par notre ThéâtreItalien, rendra plus rares ces essais infructueux dont le public n'était pas seul à souffrir. Mais pour chanter les grands chefs-d'œuvre que nous aimons, il faut d'autres artistes que pour crier les phrases de M. Verdi, il faut des artistes qui n'aient pas étranglé leur voix dans les gorges des partitions montueuses; et malheureusement tous les chanteurs qui nous viennent aujourd'hui d'Italie ont passé par ces dangereux défilés. Malgré ces causes d'infériorité, si le Théâtre-Italien poursuit énergiquement le plan que l'expérience lui trace, sans se préoccuper des clameurs de l'intérêt et de l'attaque des mauvaises passions, il ralliera chez lui les débris encore épars de son ancien monde, il se donnera le temps de refaire de toutes pièces cet ensemble qui lui manque, cette compagnie homogène qui fait défaut à son répertoire. L'occasion n'a jamais été plus belle, le Grand-Opéra lui rend la partie facile à jouer. Descendu peu à peu des hauts sommets de l'art, ce théatre a vainement essayé en rappelant Mme Stoltz de substituer le drame à la musique. Madame Stoltz est un talent de premier ordre, plein de feu, plein d'àme, une artiste enfin, mais l'organe qui chez elle n'a jamais été bon, ni sûr de ses intonnations, a subi du temps « l'irréparable outrage. » La chaleur subsiste, mais la flamme n'a plus d'aliments. C'est une belle cendre. Le Grand-Opéra se reposait de son avenir sur les belles épaules de mademoiselle Sophie Cruvelli, mais ces épaules sont capricieuses; les bras célèbres de la cantatrice se sont métamorphosés en aîles, et après une rentrée triomphante dans le rôle de Valentine, les ailes se sont déployées et l'oiseau moqueur s'est envolé. L'Opéra, en attendant qu'il ait trouvé une autre Valentine, en est réduit à mademoiselle Poinsot.

La littérature dramatique est muette depuis longtemps, et n'était la Médée de M. Legouvé, qui point à l'horizon, on pourrait croire que cet art, qui s'éleva si haut en France, n'existe plus aujourd'hui que dans le mélodrame à grand spectacle et dans le vaudeville grivois. M. Legouvé a des prétentions à l'Académie, et il compte sur sa Médée pour lui en ouvrir les portes. C'est une belle espérance, et Médée est une si grande magicienne !

Seuls les théâtres lyriques ne se lassent pas de mettre en lumière des œuvres nouvelles et de rajeunir les anciennes. L'Opéra-Comique, si heureux à bon droit dans sa reprise du Pré-aux-Clercs, vient de représenter un acte, les Sabots de la Marquise, dont la musique est écrite par M. Boulanger. C'est une pauvre pièce, mais une jolie partition. Le Théâtre-Lyrique, dont la vie longtemps chancelante semble maintenant parfaitement assurée, a rouvert ses portes par la Promise de M. Clapisson. C'est une jolie œuvre, facile, mélodieuse, et qui rachète la vulgarité de ses formes par une verve remarquable. Madame Marie Cabel est la cantatrice qui convient à cette musique, dont elle a toutes les qua

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