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Hautecombe. Cet usage se perpétua régulièrement pendant plusieurs siècles, jusqu'à Louis, fils du duc Philippe II, mort en 1502. Aussi, durant cette période, l'histoire de Hautecombe est comme le nécrologe de la maison de Savoie. La chronique latine de l'abbaye, véritable registre de l'état civil des princes de cette maison, semble n'avoir d'autre destination que de constater brièvement leur existence et leur décès1. Peu ou point de détails sont donnés sur la vie de ces personnages, dont plusieurs tiennent pourtant une grande place dans l'histoire du temps, et avec sa sécheresse désespérante, le chroniqueur ne croit pas devoir faire plus de frais pour les bienfaiteurs de la maison que pour les autres princes. Après quelques lignes sur la vie, le mariage et la mort du défunt, chaque paragraphe se termine invariablement par ces mots : « Puis, il fut enseveli et enterré avec honneur dans son monastère de Hautecombe: que son âine repose en paix. » Cette phrase sacramentelle, répétée de distance en distance à toutes les pages du livre, retentit avec la régularité lente et mélancolique d'une cloche qui sonne pour un convoi funèbre. Rien n'est triste, selon nous, comme la lecture de ces notices nécrologiques dont chaque ligne donne le frisson; mais aussi rien n'est plus instructif ni plus capable de montrer tout ce qu'il y a de vide au fond des grandeurs humaines. Cà et là une mention tout exceptionnelle d'un événement glorieux, d'une alliance illustre, fait encore mieux ressortir le néant de ces grandeurs, qui se terminent toutes par un récit de funérailles et par la formule tristement consolante: « Cujus anima requiescat in pace. » Comblée de priviléges et de donations par la munificence d'Humbert III, qui, outre des rentes diverses, lui concéda tous les biens qu'il possédait sur le lac du Bourget, qu'on appelait alors le lac de Châtillon, l'abbaye s'éleva bientôt au plus haut point de prospérité. Saint Bernard rapporte qu'étant venu la visiter, il trouva déjà deux cents moines réunis dans son enceinte. Outre ce témoignage, il est constant que, peu d'années après sa fondation, l'abbaye était assez florissante pour envoyer une colonie de moines fonder en Italie le monastère de Fossa-Nuova, près de Terracine. Une autre abbaye, celle

1 De la chronique latine de Hautecombe, commençant par les mots: Gerardus non erat comes, et allant jusqu'à la fin du règne d'Amédée VIII, deux copies anciennes sont conservées à Turin: l'une aux archives de la chambre, l'autre dans celles de la cour. La première fut composée certainement avant 1416, et selon toute probabilité, dans les dernières années du quatorzième siècle. L'exemplaire des archives de la cour est assez correct, et se rapporte par l'écriture à la première partie du seizième siècle. Outre cette chronique, insérée dans le recueil intitulé: Monumenta Historia Patriæ, Guichenon cite une chronique française de l'abbaye, d'après Delbene, abbé commendataire de Hautecombe, lequel fait mention d'anciens manuscrits relatifs aux annales de son monastère. Cette chronique française, écrite sur parchemin et longtemps conservée dans la chapelle dite des Princes, commençait ainsi : «S'ensuit la généalogie des illustres seigneurs comtes de Savoye jadis », etc., et elle se poursuivait jusqu'à la mort d'Amédée VII.

2 Le monastère de Fossa-Nuova, dédié à saint Etienne et à saint Martin, devint plus tard célèbre

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de Saint-Ange, près de Constantinople, est également indiquée dans les tables de Citeaux, comme l'une des filles de Hautecombe. L'état prospère de cette dernière abbaye se maintint sous l'administration de Rodolphe, qui la gouverna de 1155 à 1161. Elle passa ensuite sous la direction de Henri, qui, après y avoir fait fleurir l'ordre et la discipline, fut appelé, en 1176, à régir les destinées de tout l'ordre de Citeaux.

Son successeur, comme abbé de Hautecombe, fut Godefroi, qui, tour à tour disciple d'Abailard et secrétaire de saint Bernard, administra l'abbaye pendant les vingt dernières années du douzième siècle. Il écrivit un certain nombre d'ouvrages, parmi lesquels on distingue un commentaire sur le livre des Proverbes et le Cantique des Cantiques, et la Vie de saint Pierre, archevêque de Tarentaise1. Sous l'abbé qui lui succéda, en 1201, l'abbaye obtint du comte Thomas Ier le droit de posséder des fiefs, d'y exercer la juridiction féodale, et en même temps l'exemption de toute taxe sur l'achat, la vente ou le transport des marchandises nécessaires aux besoins de la maison". Peu d'années après, usant de son influence pour faire accorder à d'autres qu'à ses religieux les priviléges dont ils jouissaient, l'abbé Gui réclame pour les habitants de la ville d'Ienne une charte d'affranchissement qui leur est en effet octroyée par le même comte de Savoie. Par une autre charte du mois de mars 1232, et datée de Pierre-Chatel, Thomas Ier donna au monastère de Hautecombe les villages de Meyrieux, de Frisine, de Clarafous et autres lieux, et à cette donation, qui inféodait l'abbaye à la suzeraineté des princes de Savoie, les barons de Vaud ajoutèrent plus tard d'autres droits, tels que la juridiction seigneuriale de la forteresse de Lavour en Bugey*.

L'abbé Robert, qui eut une large part aux libéralités du comte Thomas Ier, fut chargé par le Pape Grégoire IX de réconcilier le Roi de France Louis IX avec Henri III, Roi d'Angleterre. D'autres missions pacifiques qui lui furent encore confiées attestent que les abbés de Hautecombe restaient fidèles à cet esprit de conciliation dont un de leurs prédécesseurs, le cardinal Henri, leur avait donné un si noble exemple. Sous Burchard, élu abbé en 1239, une touchante cérémonie

par la chronique que composa l'un de ses religieux, et par le séjour et la mort de saint Thomasd'Aquin, qui, en 1274, y termina sa vie, au moment où il allait se rendre au concile général de Lyon.

1 Manriq. Annales Cisterc., ad ann. 1180 et 1201.

2 Guichenon, Preuves, t. 1, p. 47.

3 Besson, p. 129.

Guichenon, ouvrage déjà cité. t. 1, p. 1088. Par suite du traité conclu, en 1601, entre le Roi Henri IV et Charles-Emmanuel Ier, la Bresse et le Bugey ayant été donnés à la France, en échange du marquisat de Saluces, il arriva que les abbés de Hautecombe relevèrent du Roi de France pour la seigneurie de Lavour.

fut célébrée dans l'église du monastère, lorsque, de Rome, on y rapporta le corps de Guillaume de Savoie, ce prélat guerrier qui venait de mourir empoisonné à Assise. Ce fut aussi vers ce temps qu'Anselme, évêque de Patras, fit don à l'abbaye des reliques de sainte Erine, et lui légua en outre une somme d'argent dont une partie fut consacrée à reconstruire le réfectoire et le cloître. Au commencement du quatorzième siècle, Pierre de Savoie, archevêque de Lyon, confia la direction de l'hôpital et de la grande aumônerie de cette ville aux religieux de Hautecombe, dont il avait pu apprécier le zèle charitable. L'hospice de Lyon, l'un des plus anciens établissements de ce genre, puisque sa fondation, due au Roi Childebert, remonte à l'an 548, fut administré pendant quelque temps par les moines de l'abbaye, puis remis par eux entre les mains des religieux de Chassagne, qui, en raison de leur proximité, pouvaient plus facilement se charger de cette administration 1. Pendant le mème siècle, l'abbaye de Hautecombe continue d'être l'objet de la sollicitude et des libéralités des comtes de Savoie. Sous l'abbé Humbert de Seyssel, le comte Aymon fait construire dans l'église du monastère la chapelle dite des Princes, et destinée à recevoir les restes de ses prédécesseurs, qui, jusque là, pour la plupart, avaient été déposés dans le cimetière du cloître. Cette chapelle, terminée en 1342, fut ornée de peintures par Georges d'Aquila, de Florence, et décorée en outre de douze statues d'apôtres, dont le temps n'a point encore effacé les riches couleurs d'or et d'azur qui les rehaussaient..

Si, durant cette période, l'abbaye n'a qu'à se louer de ses rapports avec les princes du siècle, elle est traitée non moins libéralement par les Souverains Pontifes, qui l'enrichissent alors de plusieurs priviléges. Il faut dire, pour expliquer ces faveurs, que, dès le treizième siècle, Hautecombe avait eu la gloire de voir deux de ses religieux élevés tour à tour au Saint-Siége. Le premier, Geoffroi de Castiglione, fut, en 1241, élu Pape sous le nom de Célestin IV. Né à Milan, d'une famille noble et ancienne, il se fit de bonne heure distinguer par la pureté de ses mœurs, l'étendue de ses connaissances et son habileté à traiter les affaires publiques. Après avoir été moine à Hautecombe, puis chancelier de la cathédrale de Milan, il fut, à cause de son rare mérite, nommé par Grégoire IX cardinal-évêque de Sabine. Appelé lui-même à remplacer ce dernier Pape, il ne fit que passer sur le siége pontifical, car, faible, âgé et infirme, il mourut avant d'avoir été couronné. Cette mort soudaine fut une calamité pour l'Eglise, qui, après lui, sous l'influence oppressive de Frédéric II, resta sans chef

1 Dagier, Histoire de l'Hôtel-Dieu de la ville de Lyon.

pendant plus de dix-huit mois'. Le corps de l'ancien religieux de Hautecombe fut déposé, à côté des Papes ses prédécesseurs, dans la crypte du Vatican, et sur son tombeau, qui n'existe plus aujourd'hui, fut gravée une épitaphe rappelant sa vie, ses vertus et ses travaux. Outre le souvenir de ses mérites, attestés par cette inscription, Célestin IV a laissé un certain nombre de lettres et un recueil d'homélies que, selon Guy de Clairvaux, il composa pendant son séjour à Hautecombe 2.

Le second des religieux de l'abbaye qui s'éleva aux honneurs du souverain pontificat fut Jean-Gaetan Orsini, de la célèbre famille romaine de ce nom. Une tradition rapporte qu'étant encore enfant, il fut présenté par son père à saint François-d'Assise, qui, après l'avoir considéré, prédit que, bien qu'il ne portàt pas l'habit de son ordre, il en serait pourtant le défenseur, et qu'un jour il étendrait sa puissance sur toute la terre. Plus tard, en eflet, étant sorti de son couvent, Gaetan Orsini fut créé cardinal par Innocent IV, devint en cette qualité le protecteur des Franciscains, et en 1277, après la mort du Pape Jean XXI, fut appelé, sous le nom de Nicolas III, à régir tout le monde chrétien. On sait que pendant son pontificat, qui ne dura pas trois années, ce Pape fit restituer par Rodolphe de Habsbourg plusieurs villes importantes des États de l'Église, et obligea Charles d'Anjou de renoncer au titre de patrice romain et de vicaire impérial en Toscane. Moins heureux dans ses projets de réunion des Églises grecque et latine, Nicolas III mourut en 1280, après avoir également vu son rôle de médiateur échouer dans la querelle des Rois de France et de Castille. Son séjour dans l'abbaye de Hautecombe, qu'il n'oublia jamais, était autrefois rappelé dans le cloître du monastère par cette inscription, que nous n'y avons pas retrouvée :

ALTA-CUMBA

SABAUDIOE. NATUM. GENUISTI. SAPIENTIÆ

NICOLAUM. TERTIUM. PONTIFICEM. MAGNUM

AT-QUE GENEROSUM.

A mesure que les princes et les princesses de la maison de Savoie viennent prendre leur place dans les caveaux funèbres de Hautecombe,

1 La longue vacance du Saint-Siége à cette époque eut en partie pour cause la captivité d'un certain nombre de cardinaux, qui étaient retenus prisonniers par Frédéric II, captivité pendant laquelle les hommes les plus éminents de l'Eglise furent d'avis qu'on ne devait point élire de Souverain Pontife. Sur les instances de Beaudouin, Empereur de Constantinople, Frédéric II s'étant enfin décidé à rendre la liberté aux cardinaux captifs, ceux-ci se réunirent bientôt à Anagny, et y nommèrent, en 1243, le Pape Innocent IV, qui deux années après devait, au Concile de Lyon, prononcer l'excommunication et la déchéance de l'Empereur d'Allemagne.

2 Dans ses Eloges historiques de la famille Castiglione, Antonio Negrini a recueilli les faits relatifs à la vie de Célestin IV, et conservé en même temps l'épitaphe autrefois gravée sur son tombeau.

l'église de l'abbaye se décore de chapelles et de monuments, dus à la munificence des illustres défunts. Aux libéralités de Thomas II, d'Amédée IV, d'Aimon et de Sybille de Baugé, Louis II, baron de Vaud, et Bonne de Bourbon, femme d'Amédée VI, ajoutent encore le tribut de nouvelles donations. Humbert, comte de Romont, après avoir subi sept années de captivité chez les Turcs, élève à son retour et en mémoire de sa délivrance une chapelle qu'il dédie à la Vierge, à saint Jacques et à saint Maurice 1. Fils naturel d'Amédée VII, il était allé prendre part à l'aventureuse croisade tentée par Sigismond, Roi de Hongrie; mais vaincu à la bataille de Nicopolis, comme tant d'autres vaillants chevaliers, il n'avait échappé à la mort que pour tomber au pouvoir des infidèles. Le vœu fait pendant cette douloureuse captivité n'était pas la seule cause de sa dévotion particulière envers l'église de Hautecombe. Ce qui l'attachait encore à l'abbaye, c'était un sentiment de pitié filiale, et le souvenir toujours présent des funérailles de son père, mort à la fleur de l'àge et à la suite de circonstances qui rendaient sa perte encore plus regrettable. Jamais convoi funèbre n'avait été accompagné d'un deuil plus grand et de marques de douleur plus sincères. Le corps du prince, conduit de Ripailles à Hautecombe par le patriarche de Jérusalem, avait été inhumé avec une pompe extraordinaire. La ville de Chambéry, s'associant à de légitimes regrets, avait fait célébrer, pour le repos de l'âme du comte, un service solennel, et la douleur publique y avait été encore augmentée par de sinistres rumeurs dont nous allons expliquer ici la cause et les conséquences.

Amédée VII, comte de Savoie, surnommé le Comte-Rouge à cause de la couleur de ses cheveux, était fils du célèbre Amédé VI et de Bonne de Bourbon. L'un des plus aimables et des plus brillants chevaliers du quinzième siècle, il s'était déjà signalé dans les tournois, lorsqu'une expédition contre le sire de Beaujeu, puis la guerre du Roi Charles VI contre les villes de Flandre, ouvrirent à sa valeur un champ de bataille plus sérieux. Après s'être distingué à Ypres et à Rosebeck, il était revenu en Savoie, avait réuni à ses États les provinces de Nice et de Barcelonnette, et, protecteur éclairé des lettres, il avait fondé l'Université de Turin. Trois années s'étaient à peine écoulées depuis qu'il avait reçu, devant le monastère bénédictin de Saint-Pons, l'hommage des nouveaux sujets qui étaient venus volontairement se soumettre à son autorité, quand Amédée VII, à qui tout présageait un règne long et prospère, mourut soudainement à Ripailles, en l'an 1394. Une mort si prompte, précédée d'atroces douleurs, fit croire tout d'a

↑ Une inscription, gravée sur pierre en caractères gothiques et rappelant la fondation de cette chapelle par le comte de Romont, a été trouvée sous les décombres de l'église,

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