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-Oui, on peut être reconnaissant et mieux que cela d'un enfant comme Léonard, mais je ne pouvais pas savoir qu'il serait si gentil. - Mais revenons à Ruth. Qu'avez-vous dit à mistriss Bradshaw?

—Oh! j'ai accepté avec empressement, et je l'ai répété à M. Bradshaw quand il m'a demandé si sa femme m'avait parlé de leurs projets. Ils comprennent bien qu'il fallait vous consulter ainsi que Ruth avant de pouvoir considérer la chose comme arrangée.

Et lui en avez-vous parlé?

- Oui, répondit miss Benson, qui craignait un peu d'avoir été trop vite.

-Et qu'a-t-elle dit?

- D'abord elle a eu l'air enchanté, elle est entrée dans tous mes arrangements pour garder Léonard pendant qu'elle serait chez M. Bradshaw, mais peu à peu, elle est devenue pensive, elle s'est mise à genoux près de moi, et elle a caché son visage sur mes genoux, elle tremblait comme si elle pleurait, et puis elle m'a demandé très bas sans relever la tète : « Croyez-vous que je sois digne d'élever des petites filles, miss Benson?» Elle disait cela si humblement et si timidement, que je n'ai pensé qu'à l'encourager, et je lui ai demandé si elle n'espérait pas être digne d'élever son fils pour être un vrai chrétien? Elle a relevé la tête et elle m'a regardée avec des yeux brillants et pleins de larmes en disant : « Avec l'aide de Dieu, j'essaierai d'élever mon enfant pour lui. » Alors j'ai dit : « Ruth, il faudra travailler et prier pour Marie et pour Elisabeth si on vous les confie, comme vous travaillez et comme vous priez pour votre enfant. » Elle a caché de nouveau son visage, mais elle a répondu très nettement : « Je travaillerai et je prierai. » Vous n'auriez point de craintes, Thurstan, si vous l'aviez entendue hier soir.

-Je n'ai plus de crainte, dit-il; décidément, que les choses s'arrangent; mais je suis bien aise qu'elles en fussent à ce point avant que j'en susse rien, car je crois que mes indécisions sur les principes et leurs conséquences augmentent tous les jours.

-Vous êtes fatigué, mon cher frère, votre corps est plus à blàmer que votre conscience en pareil cas.

-Dangereuse doctrine!

Le sort en était jeté, et ils ne prévoyaient pas l'avenir; quelque terrible, pourtant, qu'il eût pu leur paraître au premier abord, ils auraient remercié Dieu s'ils avaient pu le deviner tout entier.

(La deuxième partie à la prochaine livraison.)

Mme GASKELL.

VOYAGES

SOUVENIRS

DE

L'AMBASSADE FRANÇAISE EN CHINE

CANTON*.

VIII

Nous allons abandonner la terre ferme, et parcourir, avec le tanka de la belle A-Moun, la ville flottante et les rues agitées dont le TchouKiang berce sans relâche les innombrables habitants. Notre batelière, assise à l'avant de son embarcation, manœuvre avec adresse les légers avirons; A-Fay, sa petite sœur, debout sur l'arrière, agite vivement la godille qui sert de gouvernail, tandis que Rondot et moi, couchés sous la toiture de bamboux et avides de voir, nous laissons à notre charmant équipage le soin de nous promener suivant les caprices de sa fantaisie. La ville flottante de Canton est, pour tous les Européens qui visitent l'Empire du Milieu, l'objet d'une prédilection exclusive; pour eux, la Chine, la vraie Chine, la Chine fantastique des paravents, des éventails et des laques est tout entière sur le fleuve qui balance sur sa surface mobile une population plus nombreuse que celles de Marseille, de Naples, de Vienne ou de Turin. La vue de la merveilleuse cité produisit sur moi son effet magique; en visitant le lit habité du Tchou-Kiang, je fus pris d'un véritable enthousiasme; et aujourd'hui, * Voir tome xv, page 631; tome XVI, page 122.

en rassemblant mes souvenirs, je sens que jamais impression ne fut plus légitime. Mais comme la plupart des grandes choses qu'on rencontre sur le globe, la ville des eaux doit être étudiée silencieusement pour en comprendre l'étrange grandeur. Il est certaines beautés dans les œuvres humaines qu'on ne découvre que par la réflexion. Lorsque le voyageur s'assied pour la première fois au pied de la grande pyramide de Gisel, il n'éprouve pas une émotion plus vive qu'un Parisien devant la butte Montmartre. Cet entassement cyclopéen ne dit rien à son imagination. Mais s'il fait à pied le tour de la base, s'il gravit les assises de pierre pour atteindre le sommet, il suppute alors dans sa pensée les efforts humains qu'un pareil travail a nécessités, et il est saisi d'étonnement. Le formidable monument prend aussitôt à ses yeux des proportions colossales; le spectateur multiplie en quelque sorte la masse par le nombre de bras qui l'ont élevée, et il éprouve une réelle admiration pour l'œuvre dont la grandeur révèle d'une manière aussi frappante ce que peuvent produire les hommes par l'union de leurs efforts. L'esprit fait une opération analogue devant la ville flottante de Canton. Le premier sentiment que l'on éprouve à la vue de cette plaine ligneuse, de cette rade immense, populeuse comme nos plus grandes cités, est celui de la stupéfaction. Mais lorsqu'on descend dans les moindres détails de la vie intime de ces habitants isolés au milieu des eaux, lorsqu'on voit que cette ville, unique au monde, est, comme les plus grands centres de population, un résumé de l'univers, où rien ne manque pour la satisfaction des besoins de l'homme, on s'enthousiasme pour le peuple industrieux qui a su approprier ainsi aux exigences de notre nature le lit agité d'un fleuve.

La ville des bateaux occupe un espace de plusieurs lieues le long du Tchou-kiang; elle est divisée par quartiers, comme Londres et Paris, et comme nos grandes cités, elle a ses faubourg populeux, ses rues marchandes et ses arrondissements fashionables. Les faubourgs, c'est-à-dire la partie du fleuve habitée par la classe infime, se composent de rues étroites et sinueuses ayant toutes la même physionomie : ce sont de longues files de tankas, avec leur toiture de bambous, amarrés à contre-bord et présentant tous la disposition particulière à ces embarcations que j'ai déjà décrites en parlant de Macao. Pendant le jour, on ne voit jamais d'hommes dans ces bateaux; les enfants et les femmes restent seuls dans la pauvre habitation, tandis que le père est occupé le long du fleuve à charger les navires des Barbares, ou à débarquer les marchandises renfermées dans les jonques qui fournissent l'énorme approvisionnement de Canton.

La rue des Pêcheurs est voisine des quartiers habités par ces populations laborieuses; leurs demeures sont plus vastes que celles des pauvres portefaix, et il y règne une animation plus grande. Dès

qu'on revient de la pêche, à peine a-t-on jeté l'ancre et s'est-on établi côte à côte avec l'embarcation du voisin habituel, que chacun se met à l'œuvre les enfants nu-pieds courent le long des bordages, ils passent d'un bateau à l'autre pour étendre les filets; les hommes, accroupis sur le sol, examinent les réseaux, ils réparent les mailles rompues dans l'expédition précédente, et les femmes préparent à l'arrière de la petite maison, sur un fourneau portatif en plâtre, le dîner de la famille. Les pêcheurs, dans cette société amphibie, représentent les horticulteurs, les maraîchers, qui approvisionnent les grandes villes: tous les matins, ils vont sillonner les plaines inépuisables de l'Océan, et ils fournissent les marchés du principal objet de consommation. La rue des Pêcheurs est certainement la rue la plus mobile de l'univers; lorsque le temps est beau, chaque habitation se détache de l'habitation voisine, et cette partie de la ville flottante s'absente pendant plusieurs jours; puis, lorsque la pêche est terminée, la marée montante ramène au point de départ le logis voyageur, et les deux rangées de maisons reprennent leur place dans la grande cité. Du reste, sur ce sol liquide, les rues changent fréquemment d'aspect; il suffit d'un mouvement dans la marée, d'un coup de vent au large, d'un abaissement subit dans la pression atmosphérique pour opérer un revirement complet dans la disposition de la ville. Aux approches d'une tempête, par exemple, les grandes barques tournent sur elles-même; elles opposent au vent leur masse dans sa partie la moins saisissable; les petits bateaux se rapprochent les uns des autres; ils viennent se mettre sous l'abri des plus forts navires, et ces changements suffisent pour rendre méconnaissable un quartier qu'on a parcouru quelques instants auparavant.

Il y a cependant des rangées de maisons qui conservent presque toujours leur physionomie habituelle, ce sont les demeures des marchands, celles des rentiers, et quelques établissements publics. Ces habitations paisibles, qui ne pourraient jamais porter la voile, et à bord desquelles il serait fort difficile de manœuvrer des avirons, changent rarement de place; ce sont de vraies maisons à un seul palier, posées sur la coque d'un navire. L'entrée est à l'arrière, si toutefois on peut dire qu'il y ait un arrière; elle est largement ouverte pour permettre à l'air de circuler, et les appartements sont percés de fenêtres garnies de stores de nankin. Le fronton de la porte extérieure est orné de sculptures; il porte de grands caractères écrits sur papier rouge ou ciselés en relief; ces inscriptions signifient ordinairement bonheur, prospérité, longévité; les Chinois, peu mystiques de leur naturel, ne souhaitent guère que les biens de ce monde. Ces quartiers marchands et bourgeois avec leurs habitations flottantes, peintes à la façade de diverses couleurs et artistement ornées, pré

sentent réellement l'apparence des rues chinoises de la terre ferme. L'illusion serait même complète si l'on ne parcourait ces rues en bateau, et si l'on ne voyait le balancement que le courant et la vague impriment aux plus grands édifices; car on trouve là, comme dans Physic-street, des magasins de toute espèce et des industries de toute sorte. J'ai visité dans la cité du Tchou-Kiang, non-seulement des ateliers de menuiserie, de tailleurs, des officines de pharmacien, des magasins d'habillements confectionnés, des échoppes de sorciers et d'écrivains publics, mais encore un mont-de-piété !

Ces banques de la misère et du vice ne sont pas exploitées en Chine par des sociétés philanthropiques, elles sont livrées à l'industrie privée, laquelle exerce son petit trafic sous la surveillance des mandarins. Il est vrai que cette surveillance n'est que nominale, les fonctionnaires ne se rappellent au souvenir de ces établissements qu'en les rançonnant de temps à autre. C'est ainsi en général que les inspecteurs des finances du Céleste Empire exercent leurs fonctions: rien n'est parfait sous le soleil! Le mont-de-piété du Tchou-Kiang occupait un des plus beaux bateaux de la rue des Marchands; la façade bien vernissée, bien décorée, portait une inscription dont l'impertinent à propos a dû plus d'une fois exciter la colère des habitués de l'établissement, la voici : «Economise pour ne pas emprunter! » Les Chinois seuls sont capables d'écorcher leurs clients en leur faisant de la morale. Lorsque nous montâmes à bord, nous trouvâmes le maître du logis confortablement installé dans l'intérieur de l'appartement, à gauche de la porte d'entrée, au-dessous du petit autel de rigueur; il était assis devant une table où se trouvaient rangées avec ordre des liasses de papier et sur laquelle reposait triomphalement une magnifique machine à calculer. C'était un beau Chinois épanoui et avenant, sa tête, prise dans son ensemble était lisse et arrondie comme une citrouille, sa queue bien nattée était d'une longueur remarquable et reposait douillettement sur une belle robe fourrée, enfin il avait plutôt la tournure et la physionomie d'un joyeux compagnon que d'un usurier;.. mais l'apparence est souvent trompeuse. En nous apercevant, notre homme nous fit un petit salut protecteur qui semblait dire: Je sais ce qui vous amène! Mais lorsque notre interprète chinois lui eut fait comprendre que nous étions des voyageurs curieux et non pas des clients, il se leva et nous accabla des témoignages les plus empressés de la politesse chinoise. Les objets consignés étaient disposés sur des étagères qui portaient écrit sur leurs rayons l'époque à laquelle remontaient les dépôts et le temps accordé aux débiteurs pour acquitter leur dette. Pendant que nous examinions avec curiosité la salle qui renfermait cette grande collection de bric-à-brac, notre guide voulut nous démontrer la moralité de sa profession en cherchant à nous persuader que les gages dont il était nanti gagnaient beaucoup à passer par ses mains.

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