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se-Chen. Pendant notre séjour à Macao, lorsqu'on eut fini de traiter les affaires diplomatiques, le commissaire-impérial adjoint, le beau, l'élégant Huan-ñgen-Tun offrit à dîner à de Ferrières dans la pagode de Lien-Foun-Miao qu'il habitait. Par une exception charmante, le savant mandarin voulut bien m'engager à faire partie de cette réunion intime, à laquelle ne furent admis, en dehors du héros de la fête, que MM. Callery, Bernard d'Harcourt et moi. Pendant le dîner, dont de Ferrières a certainement donné une charmante relation dans le livre qu'il vient de publier, on parla de tout et de beaucoup d'autres choses encore de Paris, de Pékin, des spectacles, des miaotse, et enfin du somnambulisme et de la catalepsie. Huan-ngen-Tun alors (je ne sais si de Ferrières n'a pas omis ce détail) nous raconta comme un fait positif, que certains individus endormis avaient nonseulement le privilége de comprendre toutes les langues, celles même qui dans l'état de veille leur étaient tout à fait étrangères, mais aussi de voir à distance et de faire connaître tout ce qui se passait à plusieurs centaines de lieues!

Lorsque Callery nous eut rendu les paroles de Huan-ngen-Tuñ, je priai mon ami de dire au brillant académicien que nous étions plus avancés que cela en Europe, et qu'il existait dans notre pays nombre de jongleurs qui affirmaient produire de pareils effets à l'aide de signes cabalistiques. Mais que c'était surtout au moyen de certaines femmes qu'ils prétendaient obtenir ces merveilleux résultats. A cette révélation Huan-ngen-Tuñ poussa force exclamations; quand à Panse-Chen, alors il ne souffla mot; mais il nous prouvait maintenant qu'il s'était parfaitement souvenu des paroles de notre interprète!

A cette requête de Pan-se-Chen, Callery fut tellement étonné, que notre Chinois prit cette surprise pour de l'hésitation.

Je vous en supplie, s'écria-t-il, ne me refusez pas, d'autant mieux que la séance ne sera pas longue; je ne ferai voyager ces jeunes filles ni au Japon ni en Corée, ni à Formose ni à Siam; je veux tout simplement les envoyer à quelques pas d'ici, dans ma demeure de Chi-paPou. Ah! reprit-il en passant la main sur son front, quand on a chez soi une femme légitime et douze dames de compagnie, il ne faudrait jamais quitter le seuil de sa porte! Si j'avais le bonheur de posséder une femme qui pût constamment, de son lit, me dire ce qui se passe dans les appartements intérieurs, j'en ferais ma compagne inséparable; elle ne me quitterait jamais!

Si notre ami Pan-se-Chen, sept à huit fois millionnaire, avait exprimé à Paris sa pensée en langage intelligible, devant une réunion féminine semblable à celle qui nous entourait, que de sujets lucides il eût trouvés à l'instant!

Eh bien! répondit Callery, nous allons vous rendre aussi savants

que nous qui ne le sommes guère. Voyons, d'abord il faut avoir le ferme désir d'endormir le sujet...

Je l'ai le l'ai! interrompit Pan-se-Cheñ, et surtout de savoir ce qui se passe chez moi. Commençons au plus tôt....

Après les explications relatives aux passes et aux attouchements, nous installames les trois demoiselles sur trois grands fauteuils, et nous nous assîmes en face d'elles. Tant que nous leur tinmes les pouces et que les genoux restèrent paisiblement en contact, les choses se passèrent très bien, les sujets riaient; mais lorsque nous levâmes les mains pour faire des passes, ils poussèrent des cris aigus, et de leurs petits doigts ils s'accrochèrent à nos bras pour les abaisser. Pan-seChen se leva alors pour leur faire une remontrance, et passant alternativement de l'une à l'autre, il s'écriait:

- Mais des femmes barbares ne se conduiraient pas comme vous ! On veut faire de votre esprit un miroir dans lequel se reflètera le monde entier, et vous vous y refusez! Mais il n'y aura personne qui vous égale si vous nous laissez faire notre œuvre.

Le serpent n'avait certainement pas une éloquence plus persuasive que notre ami; aussi, en l'écoutant, les jeunes filles promirent-elles d'être dociles. Mais dès que nous reprimes nos exercices, ce furent de nouveaux gestes de frayeur et de nouveaux cris. Le mandarin abandonna une seconde fois son sujet, répéta sa remontrance, alla de l'une à l'autre, frappa du pied... mais sans succès; tant qu'il parlait, les donzelles riaient; quand nous recommencions, à leur tour elles recommençaient leur scène. A la fin, Pan-se-Chen se leva, et les congédia en termes tellement énergiques que Callery soutient qu'ils sont intraduisibles dans notre langue.

Il paraît que ces demoiselles ne demandaient pas mieux que de s'en aller; elles ne se firent pas répéter l'injonction; trotinant et riant, elles se dirigèrent vers la porte sans nous faire leurs adieux. Quand elles furent sorties, Pan-se-Chen se jeta sur un fauteuil en s'écriant:

On ne peut rien faire de sérieux avec les femmes; ce sont des êtres plus déraisonnables que des enfants. Quel malheur qu'on ne puisse se passer d'elles!... Après un moment de silence, il reprit: - Est-ce qu'on n'opère jamais sur des hommes?

Mais oui, parfois, répondit Callery.

- Eh bien! alors, dit le mandarin, me voilà à votre disposition: voyons, commencez...

-Notre ami demande que nous le magnétisions, dit Callery en s'adressant à moi, qu'en dites-vous ?

- Répondez-lui, répartis-je, que je lis sur sa figure qu'il est un très mauvais sujet.

Ce que notre cher interprète traduisit ainsi :

- Le docteur prétend qu'en état de somnambulisme on ne voit jamais bien clair dans ses propres affaires.

Alors c'est comme dans l'état de veille! s'écria Pen-se-Cheñ avec découragement.

Nous passȧmes quelques instants sans mot dire, Pan-Se-Chen ruminait probablement, dans sa pensée, un moyen pour rendre les filles de l'empire des fleurs sensibles à l'action magnétique, et nous, nous repassions avec étonnement dans notre pensée les incidents bizarres de cette soirée; enfin, Callery rompit le premier le silence, et le dialogue suivant s'établit entre notre interprète et le riche mandarin. Vous nous avez dit que ces dames étaient des femmes des bateaux de fleurs; est-ce que c'est vrai ?

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Très-vrai, ce sont même les plus belles qu'on trouve aujourd'hui dans les établissements de Hañ-Leou-Hañ.

Le sort de ces femmes doit être bien à plaindre ?...

-Comment à plaindre ! mais ce sont les feinmes les plus heureuses de Canton elles sont recherchées par tous les hommes riches, et constamment entourées d'hommages. Avez-vous vu comme leurs doigts sont surchargés de bagues, leurs poignets et leurs pieds de bracelets? Ce sont les présents offerts à leur beauté; jugez par là de leur opulence.

-Pendant leur jeunesse je comprends qu'elles n'aient pas trop à se plaindre du sort, mais plus tard que deviennent-elles ?

- Ce que deviennent les autres femmes; elles soignent leurs enfants en vivant tranquillement dans la maison qui les a adoptées, auprès de leur mari.

- Comment de leur mari! est-ce qu'elles se marient, ces femmes-là? - Presque toutes; mais celles qui ne se marient pas sont très recherchées pour tenir la seconde place dans les grandes maisons.

- Allons! il est impossible qu'on introduise dans un intérieur honnête des femmes qui ont de pareils antécédents.

Et pourquoi pas? j'ai chez moi deux jeunes filles que j'ai prises dans les han-leu, et ce ne sont ni les moins belles, ni les moins charmantes de mon gynécée.

Oh! je ne puis croire que vous ayiez placé chez vous deux femmes qui ont mené cette triste existence !

A ces mots Pan-se-Chen fit un geste d'étonnement, il se leva, et se plaçant devant Callery, il lui dit :

Je ne comprends pas votre susceptibilité! Nous autres Chinois nous n'avons pas de ces préventions, et nous nous en trouvons bien. A nos yeux, une femme est un beau bijou qui ne perd pas de sa valeur pour avoir été admiré par beaucoup de monde. Lorsque je vais chez un lapidaire et que je vois une pierre précieuse d'une belle eau, une

agrafe de jade, un Pan-Che antique d'une belle conservation, dois-je les dédaigner, méconnaître leur beauté et refuser de m'en parer, sous le spécieux prétexte que d'autres ont porté ces objets avant moi? Quand on vous donne en paiement des lingots d'argent, songez-vous à déprécier leur valeur parce que d'autres les ont touchés avant vous? Eh bien! croyez moi, la femme est pareille à la pierre précieuse, au bijou de jade, au lingot d'argent, elle garde tout son prix tant qu'elle conserve son éclat, sa beauté, ses formes, sa grâce, et bien sot serait celui qui refuserait de se l'approprier par des scrupules qui n'ont pas le sens commun...

J'ai donné les idées des Chinois sur la beauté, voilà leur théorie sur l'amour; c'est un peu brutal, mais c'est net, précis, intelligible comme un axiome. Lorsque nous sortimes de la petite maison de Pan-se-Chen il était trois heures du matin; les quartiers des bateaux de fleurs étaient toujours en fête, les gongs continuaient à retentir, le salpêtre à détonner et les voix à chanter. Ces bruits se confondaient avec les manifestations matinales et bruyantes que faisaient les matelots à bord des joncques prêtes à mettre à la voile. Ainsi, l'oisif opulent finissait sa nuit de dissipation au son des mêmes instruments et au bruit des mêmes explosions qui annonçaient au pauvre travailleur le commencement de sa journée laborieuse.

(La suite prochainement.)

TOME XVI.

Dr M. YVAN.

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CRITIQUE

HISTOIRE

DE LA TURQUIE

PAR M DE LAMARTINE; TOMES I ET II.

Les graves événements qui s'accomplissent à l'orient de l'Europe ont appelé l'attention publique sur un peuple dont personne ne s'occupait plus que pour le plaindre et pour signaler sa décadence. Du dédain que les Turcs nous inspiraient naguère, nous sommes passés subitement à l'enthousiasme. Tout ce qui touche à la Turquie, tout ce qui tend à nous faire connaître cette contrée hier encore presque oubliée, excite notre intérêt et commande notre attention. Il est naturel de se demander quel est et d'où vient ce peuple, que l'on avait cru mort, et que l'on voit se lever, dans une attitude si fière, au bruit des pas de l'étranger. La curiosité du présent éveille la curiosité du passé. On interroge l'histoire pour deviner l'avenir. On veut savoir s'il y a dans cette race, longtemps insultée, assez d'énergie vitale pour suffire encore à de longues destinées. Le public, qui se souciait peu, il y a deux ans, de la tribu d'Othman, est devenu aujourd'hui insatiable de détails. Le livre de M. de Lamartine répond à cet immense mouvement de sympathie éveillée par la guerre. Il a un incontestable mérite d'àpropos; il aura, comme on dit dans le jargon de la librairie, un infaillible succès d'actualité.

Une critique sévère pourrait demander à M. de Lamartine s'il est de sa dignité de mettre ainsi son génie à la remorque des événements. On pourrait, au nom des intérêts supérieurs de l'art, contester cette grande loi de l'actualité que subit servilement la littérature contemporaine.

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