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imagination d'artistes nés sur les rivages de l'Attique ou de l'Ionie. A l'art chrétien, au contraire, la beauté tout idéale de l'expression, beauté plus facile à comprendre qu'à définir, parce que, parlant moins aux sens qu'à l'âme, elle rappelle par sa nature même la spiritualité de la religion qui lui donna naissance. De là l'effet particulier produit par ces vieilles basiliques italiennes ou byzantines, par ces églises romanes ou ogivales de nos pays d'Occident; par ces vitraux, ces peintures du treizième et du quatorzième siècle, où toute notre histoire religieuse resplendit en si magnifiques tableanx.

Dans ces diverses productions de l'art hiératique du moyen-âge, on retrouve toujours un je ne sais quoi de ce souffle pénétrant, inspirateur et divin, que les Hébreux, dans leur langue sacrée, appelaient le souffle de Jéhovah, et qui, faisant parler la pierre, le bois ou l'airain, anime et transfigure toute œuvre inspirée par le génie du catholicisme. C'est que la Foi éleva ces monuments; c'est que la Charité respire toujours dans ce monde de statues qui les décorent; c'est que l'Espérance, passant du cœur de l'artiste dans la matière façonnée par ses mains, prêta ses alles aux innombrables légions d'anges, d'apôtres et de saints personnages qui, sur l'échelle mystique de nos églises, semblent monter de la terre au ciel. Voilà ce qui vous donne un si puissant attrait, vénérables basiliques de Saint-Jean-de-Latran et de Saint-Marc de Venise, baptistères de Pise et de Florence, cathédrales de Noyon, de Reims et d'Amiens, peintures du Campo-Santo; et vous Saintes Madones de Giotto et du Pérugin! Déjà consacrée par l'art et la religion, la beauté qui vous est propre a reçu du temps une consécration nouvelle, et chaque siècle, en passant sur vous, y a laissé d'impérissables souvenirs. A ces souvenirs s'est joint le concert de louanges qui vous a salués d'àge en âge, et il semble que par une gradation toujours croissante, l'hommage des générations passées rende encore plus vive l'admiration que vous inspirez aujourd'hui.

En passant de l'église dans le cloître, on peut se rendre compte de la vérité des principes que nous venons d'énoncer. Sous les arcades de la galerie méridionale de ce cloître, sont réunis un grand nombre de fragments et d'objets d'art trouvés dans les fouilles et parmi les ruines de l'abbaye; c'est comme un petit musée composé de statues, de basreliefs, d'inscriptions et d'ornements qu'on a disposés dans un certain ordre, et qui paraissent n'avoir échappé à la destruction que pour mieux faire ressortir la différence entre les produits de l'art contemporain et ceux d'une époque plus ancienne. Quoique ces débris, mutilés pour la plupart, et isolés du monument dont ils faisaient partie, aient perdu beaucoup de l'effet qu'ils devaient primitivement produire, cependant chaque fois que je passais dans le cloître ils exerçaient sur moi une telle attraction, que je ne pouvais, pour ainsi dire, m'en détacher. Je vois

encore d'ici, malgré le temps et la distance, la belle statue de l'apôtre saint Jacques, avec sa besace et son bourdon de pélerin, et sous la même arcade un bas-relief représentant la mort d'un abbé qu'entoure un groupe de religieux en pleurs. Plus loin, sous la quatrième et la cinquième arcade, sont incrustés deux autres fragments de sculpture figurant, le premier, une apparition de la Sainte-Vierge à saint Bernard; le second, Jésus-Christ sortant vainqueur du tombeau. Sous la derniére arcade, je me rappelle avoir encore remarqué la pierre tumulaire d'un abbé de Hautecombe; une statue couchée de Jeanne de Montfort, avec un ange priant au-dessus de sa tête; enfin, une partie de la pierre qui recouvrait l'ancien tombeau du comte de Romont, où le seul fragment visible de l'inscription ne laisse plus voir que cette triste sentence appliquée aux fins dernières de l'homme: Tali in domo clauditur omnis homo.

En terminant par la mention de cette épitaphe la description de l'abbaye consacrée aux sépultures de la maison de Savoie, jetons un rapide coup-d'œil sur l'état actuel de la congrégation, à laquelle se rattache le monastère de Hautecombe. L'ordre de Citeaux, représenté aujourd'hui en France par les austères religieux de la Trappe, en Belgique, par quelques maisons, dont la principale est celle de Bornheim, ne compte plus, en Italie, qu'un petit nombre des riches et puissantes communautés qu'il y possédait autrefois. Répandu, dès son origine, au-delà des Alpes, il y avait pris un vaste développement, qui fut tout naturellement favorisé par différents papes, et une foule de cardinaux et de prélats illustres sortis des divers monastères cisterciens. A la fin du quinzième siècle, tous les religieux des provinces de Toscane et de Lombardie furent réunis en une seule congrégation, dite de Saint-Bernard, et les statuts en furent successivement confirmés par les papes Jules II, Léon X, Sixte-Quint et Urbain VIII. En 1621, une autre association, formée des monastères des États de l'Église et du royaume de Naples, s'établit sous le titre de Congrégation romaine, et rallia, entre autres abbayes, celles de Fossa-Nuova, de Casa-Maria, de Real-Valle et de Notre-Dame de Ferrare. Par suite de la suppression des communautés de la province de Toscane, la congrégation de Lombardie s'unit à celle de Rome dans les dernières années du dixhuitième siècle, et, en 1802, le pape Pie VII rattacha à la même association tous les monastères des Feuillants d'Italie. Enfin le Souverain-Pontife Grégoire XVI, en modifiant toutes les constitutions antérieures, a donné à la congrégation romaine de Citeaux l'organisation qui la régit actuellement.

Cette congrégation, qui se compose d'environ 150 religieux, répandus dans les différentes maisons d'Italie, a pour siége principal le mo

nastère de Sainte-Croix-de-Jérusalem, à Rome 1. C'est là, près de l'ancienne basilique fondée par Constantin et sainte Hélène au penchant du mont Esquilin, et sur l'emplacement des jardins de l'empereur Héliogabale, que réside le vicaire-général de l'ordre de Citeaux. L'antiquité de cette basilique, les précieux souvenirs qu'elle rappelle, les priviléges accordés au monastère qui s'y rattache, la belle bibliothèque et les objets d'art qu'on y trouve, font du couvent de SainteCroix un séjour vraiment digne de sa destination. Parmi les autres maisons que l'ordre possède en Italie, on remarque celle de Pérouse, placée sous la direction du savant abbè dom Venceslao Marchini, et qui mérite d'ètre visitée par tous ceux qu'attire une ville honorée, avec raison, comme le berceau de cette grande école, dont Pérugin fut le chef, et Raphaël, le plus illustre élève. Citons encore le monastère cistercien de Vico-Mondovi, sur lequel un travail a été publié par le Père dom Gerolamo Bottini, autrefois bibliothécaire de SainteCroix-de-Jérusalem, et l'un des hommes les plus érudits de la congrégation 2.

Après avoir pris sur l'abbaye de Hautecombe tous les renseignements qui m'étaient nécessaires, j'aurais été heureux de pouvoir répondre à l'invitation qu'on me faisait de prolonger mon séjour dans cette charmante retraite. Appelé ailleurs par des circonstances indépendantes de ma volonté, je dus me résigner à quitter le monastère beaucoup plus tôt que je ne l'eusse désiré. Ayant pris mes dispositions en conséquence, le lendemain, dès l'aube du jour, j'étais prèt à m'embarquer sur le lac pour aller prendre au passage le bateau à vapeur qui fait le service de Lyon à Aix-les-Bains. Malgré l'heure matinale et les devoirs qui pouvaient le retenir, le R. Père dom Félix voulut, par une attention toute délicate, veiller lui-même à ce que les

1 La basilique Sainte-Croix-de-Jérusalem, ainsi appelée parce qu'elle reçut de l'impératrice sainte Hélène une portion considérable de la vraie croix, fut consacrée par le pape saint Sylvestre. Dès l'année 436, un concile y fur tenu sous le pape Sixte III, et saint Grégoire-le-Grand lui donna le titre d'église cardinale. Relevée en 720, elle fut rattachée, en 976, à un monastère contigu, qui fut habité tour à tour par des religieux du Mont-Cassin, des chanoines de Saint-Jean-de-Latran, des chartreux, et enfin par des moines de Citeaux. Ces derniers, qui possédaient à Rome les couvents de Saint-Vincent et de Saint-Anastase, et celui de Sainte-Saba sur l'Aventin, sont établis au monastère de Sainte-Croix depuis le seizième siècle, époque où le pape Pie IV leur en fit donation, sur la demande de son neveu saint Charles-Borromée. Benoit XIV, qui avait été cardinal du titre de l'église Sainte-Croix-de-Jérusalem, la restaura extérieurement, tout en conservant les anciennes formes du monument. La basilique est divisée en trois nefs: on y voit encore huit grosses colonnes de granit égyptien, de belles fresques de Pinturricchio, et des mosaïques exécutées sur les dessins de Balthasar Peruzzi. La bibliothèque du couvent, quoique dépouillée d'une partie de ses trésors, est encore remarquable, et conserve notamment une copie du traité De Senectute de Cicéron, transcrite par la princesse Hyppolite Sforza, femme du roi de Naples Alphonse II, si célèbre au quinzième siècle par son amour pour les lettres latines. Consult. storia della basilica di S. Croce in Gerusalemme, par le P. Raimond Besozzi.

Le Père dom Gerolamo Bottini a publié, en outre, plusieurs articles intéressants sur son ordre et sur d'autres congrégations monastiques, dans le Dizionario di erudizione storicoecclesiastico, de Gaetano Moroni.

ordres donnés pour mon départ fussent ponctuellement exécutés. Après des adieux pleins de cordialité, échangés entre nous, il me fit Phonneur de m'accompagner jusque sous les beaux platanes qui ombragent l'entrée de l'abbaye, et dont la cîme commençait à se colorer aux premiers feux du matin. Là, comme au moment de nous séparer je lui souhaitais des jours longs et prospères au fond de la solitude qu'il habite : « On est toujours heureux dans la solitude, me dit-il, quand on sait y trouver Dieu et l'admirer dans ses œuvres. » Et de la main il me montrait en même temps le ciel, la verdure des bois et le lac, sur les eaux duquel le soleil venait de se lever.

A quelques pas, je rencontrai maître Pierre, à qui j'avais donné rendez-vous, et qui m'attendait avec l'exactitude un peu intéressée du batelier qui désire profiter d'une brise favorable pour faire plus facilement sa traversée. J'étais content, du reste, de retrouver là mon fidèle pêcheur savoisien, avec sa chevelure toujours hérissée, ses bras velus, et ses grands yeux bleus dont rien ne pouvait troubler l'inaltérable limpidité. Quelques instants s'étaient écoulés à peine, que tout était disposé pour le départ, et que notre barque glissait déjà rapidement sur le lac. Bercé par le mouvement doux et régulier que lui imprimait la voile, j'admirais tout à l'aise le réveil de cette nature que j'avais vue si bien endormie dans le silence du soir, le jour de mon arrivée à Hautecombe. De la rive qui fuyait peu à peu devant nous, s'élevaient déjà quelques-uns de ces murmures confus qui annoncent la venue du jour, et forment ce qu'on peut appeler les premières harmonies du matin. La brise nous apportait en même temps les fortes émanations qui s'échappent des bois pendant l'automne, et auxquelles se mêlait la senteur des foins récemment fauchés au penchant des collines. Avant d'arriver au canal de Savières, notre navigation fut ralentie par une énorme quantité de roseaux dont les tiges se courbaient en frissonnant au-dessus de nos têtes, et qui de loin font ressembler cette partie du lac à un vaste champ couvert d'une moisson verdoyante. Parvenu au point où j'allais, non sans regret, quitter la barque de maître Pierre, je montai sur le bateau qui m'emporta bientôt avec toute la rapidité de la vapeur. Mais plus rapide encore dans son élan, ma pensée volait en sens contraire, et, me transportant aux lieux que je venais de quitter, me faisait revoir avec bonheur le cloître et les grands platanes du monastère bénédictin.

ALPHONSE DANTIER.

BIOGRAPHIE

SILVIO PELLICO

SA VIE, SES OEUVRES, SES AMITIÉS

SES LETTRES INÉDITES*

II

La physionomie morale de Silvio Pellico resplendit dans tout son éclat à sa sortie du Spielberg. Les tortures endurées dans cette prison ont achevé de briser son être physique, frèle et souffreteux. Ces voûtes sombres, imprégnées de salpêtre, privées d'air et de lumière, ont communiqué au prisonnier une maladie lente, indéfinissable, qu'on ne saurait ni classer ni saisir, mais qui se révèle par des songes affreux, des nausées fréquentes, un asthme étouffant. Les fers dont il fut chargé l'ont affaibli, brisé. Ses jambes, dont une porte l'empreinte visible du fer qui l'a déformée, peuvent à peine le porter. Ce que ni le temps, ni l'humidité du cachot, ni l'horreur du climat, ni le défaut de nourriture, ni le poids des chaînes, n'ont pu faire, c'est altérer la sérénité de cette noble figure de croyant et de poète. La chevelure ombrage encore ce noble front sur lequel le temps et les douleurs ont fait de vains efforts pour graver leurs sillons. Son visage est pâle et maigre; mais il est tel qu'il convient à un homme rongé par une méditation constante, usé par de longues aspirations vers l'idéal. Ce n'est pas là un de ces prisonniers vulgaires que les tortures abrutissent et qu'une longue captivité rendent effrayants et méconnaissables: ses yeux ont conservé l'éclat de son innocente jeunesse, et n'ont pris à la prison qu'une teinte de mélancolique résignation; sa bouche garde encore

* Voir tome xv de la Revue, page 497.

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