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et noble par l'étude assidue d'une science immense; enfin, l'œuvre conçue depuis si longtemps et si dignement préparée, jaillissant à grands jets d'une âme passionnée et éprouvée telles seraient, selon nous, les phases successives par lesquelles aurait passé la vie morale d'Alighieri. C'est une « histoire psychique» comme une autre, et elle a de plus l'avantage de ne pas être fabuleuse, d'avoir des témoignages précis et des textes irrécusables pour soutiens, de ne faire enfin violence, ni à la lettre d'une chronique naïve, ni à l'esprit de tout un siècle croyant. L'élégante ordonnance ou l'unité logique, telle que nous la trouvons dans le récit de M. Wegele ou dans celui de M. Witte, manque certainement à cette simple histoire; mais l'élégance est rarement le garant de la vérité, et l'unité logique s'introduit presque toujours au détriment de la vie réelle; et si le Dante, tel que nous le comprenons, n'est plus le Faust du dix-neuvième siècle, il resterait à savoir s'il ne devient par cela même bien plus le Dante du quatorzième. - A tous ceux, du reste, qui «adoptent et rajeunissent» ce génie immortel et qui en font «un homme de circonstance », à tous ceux qui relèguent la Divine Comédie au rang de ces créations audacieuses de l'art moderne, produits de nos douleurs et de nos désenchantements; à ceux qui saluent dans ce poème l'œuvre d'une époque critique pareille à la nôtre et au Verbe poétique d'un monde à naître,—à tous ceux-là nous adresserions l'humble prière de vouloir murement réfléchir sur le sens de leurs paroles enthousiastes, et de bien regarder s'ils ne s'abusent pas sur la nature de leur prédilection! Car si Dante correspond par quelques accents aux instincts ou plutôt aux déchirements de notre époque, il en differe encore bien davantage, non-seulement par l'idéal vers lequel il aspirait, mais encore par la position qu'il gardait envers son passé et le respect qu'il portait à l'ordre social consacré par le temps. A cet égard, nous ne saurions imaginer de plus grande et de plus profonde différence que celle qui existe entre le chantre de la Divine Comédie et ces poètes de douleur et de désespoir qui se détachent majestueusement sur l'horizon orageux de notre siècle. Dante savait ce qu'il voulait ; il connaissait ou il croyait connaître le remède suprême pour les maux de son temps; il avait son idéal tout prêt, et, ce qui plus est, cet idéal avait déjà existé et avait passé par le creuset de l'histoire, tandis que Goethe et Byron, Mickiewiez et l'auteur de l'Iridion ne font que poser des questions auxquels les temps futurs seuls peuvent répondre, ils signalent les maux de notre monde sans indiquer le remède, et leur idéal se perd dans les ombres d'un avenir mystérieux. C'est pour cela aussi, peut-être, que toutes ces créations titaniques modernes, ces œuvres de désespoir et de douleur, sont restées inachevées ou même ont été conçues comme fragments; tandis que la Divine Comédie a pu arriver jusqu'au dernier tercet de son

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dernier cantique. C'est pour cela, peut-être, que l'on n'a jamais su que faire de la seconde partie du Faust, que Manfred se meurt sans nous donner le mot de son énigme, que Konrad disparaît sans avoir reçu la réponse de Dieu, et qu'Iridion ne se réveille que pour s'acheminer « vers le pays des tombeaux et des croix... » tandis qu'il a été donné à Dante de chanter son chant jusqu'au dernier accord, et de voir non-seulement l'Enfer, mais le Purgatoire aussi et le Paradis! - Ce n'est pas un reproche que nous formulons ici contre les poètes de notre temps; ce n'est non plus une louange que nous adressons à l'auteur de la Divine Comédie : c'est un fait que nous constatons, et ce fait n'a du reste rien qui doive nous surprendre. Car la mort peut bien être calme et digne, malgré les regrets qu'elle provoque, tandis que la naissance sera toujours agitée et fiévreuse, malgré les espérances qu'elle apporte. Il exigeait bien, le grand peuple artiste, un rhythme mélodieux et sagement mesuré de tous ceux qui lui racontaient les temps qui ne sont plus; mais il permettait les cris entrecoupés et les contorsions violentes à cette Pythie qui lui annonçait les temps futurs. En un mot, il pouvait bien finir son chant celui qui chantait un ordre fini, tandis qu'ils ne doivent laisser que des fragments, ceux qui prévoient et prédisent un ordre naissant ; ils sont des précurseurs, ces maîtres de notre époque, tandis que Dante fut le dernier défenseur d'un monde qui s'en allait à pas précipités; ils sont les poètes de l'avenir, lui, fut le poète du passé!... Cette proposition pourrait sembler étrange et même un peu paradoxale; aussi avons-nous hâte de la justifier en étudiant de plus près le système politique d'Alighieri.

JULIAN KLACZKO.

HISTOIRE LITTÉRAIRE

GOETHE ET WERTHER

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Gæthe und Werther. Briefe Gathe's, meistens aus seiner Jugendzeit, mit erlauternden Documenten. Herausgegeben von A. Kestner. Goethe et Werther. Lettres de Goethe, pour la plupart de sa jeunesse, et autres documents inédits, publiés par A. Kestner. Stuttgard, Cotta, 1854.

Wetzlar est une petite ville des Etats prussiens, dans le duché de Solms-Solms, bien située, bien environnée de collines et de prairies. Peu de voyageurs la connaissent aujourd'hui; mais vers la fin du dixhuitième siècle, elle était de quelque renom parmi les diplomates, en ce sens qu'étant le siége de la haute-cour germanique, chaque puissance y envoyait des ambassadeurs de plus ou moins haute qualité.

En 1772, un jeune homme de vingt-trois ans, docteur en droit, fort lettré, fils d'un riche bourgeois, d'une figure aristocratique, distingué en toutes façons, y arriva par le coche de Francfort un matin de printemps. Il se nommait Wolfgang Goethe.

Ce n'était point comme touriste que ce M. Goethe venait à Wetzlar, il y venait la tête remplie d'idées laborieuses, riche en préméditations littéraires, l'esprit tout prêt aux sciences: il loua une chambre et il s'installa. Sa venue à Wetzlar ne fut pas celle d'un inconnu, la petite gazette du lieu en fit un fait divers, et ceux qui chaque jour prenaient des notes la signalèrent sur leur calepin. Voici pour preuve quelques lignes bien nettes: « Au printemps de 1772 est arrivé ici un certain Goethe de Francfort, de son métier (handthierung) docteur en droit, âgé de vingt-trois ans, l'unique fils d'un très riche père. D'après l'intention paternelle, il vient ici pour compléter ses études, mais d'après la sienne pour étudier Homère, Pindare et autres choses que son esprit, sa manière de penser et son cœur lui indiqueront..... On l'a annoncé comme un collaborateur de la Gazette suvante

de Francfort et dans le public comme un philosophe; les beaux esprits le recherchent; comme je n'en suis pas, etc., etc. »

Le modeste et véridique personnage qui signa ces lignes avait le même. âge que M. Goethe. Il s'appelait Kestner et était alors secrétaire de l'ambassadeur de Hanovre à Wetzlar. Il ne se trompait guère en ne se donnant pas pour un bel esprit, mais nous pouvons et nous devons dire de lui qu'il était un honnête homme dans toute la force du mot, qu'il avait le cœur des plus droits, que son bon sens était aussi grand que son imagination était petite, qu'il apportait au zèle,, au dévouement, à l'amitié, à l'accomplissement de ses devoirs, la sincérité d'une âme loyale et simple. Entre les mains de M. de Balzac, il eût été une honnête fleur des pois de la vie privée.

Le jeune M. Gæthe passait à Wetzlar des heures enchantées par l'étude. Aimant les fleurs, les prairies, le silence des campagnes, il sortait souvent de la petite ville et gagnait les bois voisins avec quelque livre ou quelque ami : « Je me trouve très bien ici, dit Werther au commencement de son journal, la solitude de ces célestes campagnes est un baume pour mon cœur dont les frissons s'apaisent à la douce chaleur de cette saison où tout renaît. Chaque arbre, chaque haie est un bouquet de fleurs; on voudrait se voir changé en papillon pour nager dans cette mer de parfums et y puiser sa nourriture. » C'est une première allusion aux campagnes de Wetzlar, c'est un ressouvenir fortuné des heures de rêveries passées « couché sur la terre, dans les hautes herbes, découvrant dans l'épaisseur du gazon mille petites plantes inconnues. >>

J'ai toujours estimé que les livres qui font époque méritent une biographie tout autant que ceux qui les écrivent. C'est du reste une chose curieuse de voir combien le public-lecteur aime à savoir leur vie privée. Rien de ce qui concerne les livres ne paraît indifférent; on recherche l'origine de leur naissance littéraire, la source des types dont ils sont le cadre, toutes choses enfin constituant pour eux le Res augusta domi. Lecteurs enthousiastes, lectrices enchantées, quels chemins ne feriez-vous pas pour donner à vos yeux et à vos âmes le charme de se complaire, le plaisir d'errer dans les modestes villes ou les vieux manoirs écossais, qui ont inspiré les récits de l'hôte Jedeiah Cleisbosham sir Walter Scott!

Parmi les œuvres que la plume de Gothe a écrites, on peut avouer sans crainte que les Souffrances du jeune Werther1 sont bien de celles qui ont fait le plus époque. Elle a amené des tempêtes, elle a exalté, elle a fait dévier, elle a bouleversé les imaginations, elle a élevé un piédestal aux amants incompris, elle a fait de la mélancolie un bois sacré ; l'Allemagne à l'apparition de Werther n'eut plus que deux voix; voix 1 La première édition parut sous ce titre.

pour, voix contre, frénétiques des deux parts; Werther remplit tous les cœurs; on en perdit la tête et la vie aussi, car beaucoup de jeunes hommes d'outre-Rhin se tuèrent pour la seule satisfaction d'avoir cela de commun avec le héros des désenchantements amoureux. Jamais Vénus sensible, Vénus pudique, Vénus platonique ne reçurent plus de sacrifices, le sang de l'amour coula à flots et le Cupidon germanique crut devoir alors remplacer son arc et ses flèches par une paire de pistolets chargés. Le suicide devint un Dieu; il eut un autel dont le livre de Werther fut le missel. La voix de quelques rieurs eut beau s'élever! Caricature et moquerie, parodies et facéties, vous fûtes sans puissance! On voulut aimer quand même, on voulut honorer la mélancolie, on voulut rêver; on désira même quelquefois sans oser se l'avouer que l'amour restàt incompris pour avoir une raison raisonnable de se tuer... se tuer... se tuer comme Werther! Aberrations bien faites pour être plaisantes si elles ne montraient pas les hommes sous un côté pénible! On avait soin que la mise en scène matérielle du suicide fût absolument la même que celle de Werther; vers six heures du soir, on écrivait à un ami : « J'ai vu pour la dernière fois les champs, les forêts et le ciel » A son rival: « J'ai troublé la paix de ta maison, j'ai porté la méfiance entre vous; adieu, je vais y mettre fin. » On disait à son domestique, si on en avait un, ou, dans le cas contraire à sa femme de ménage « d'être prêt ou prête de grand matin,» prenant pour prétexte qu'on partirait en poste ou en coche à six heures; puis, quand onze heures sonnaient, on s'approchait de la fenêtre, on disait adieu aux étoiles, on invoquait l'image bien-aimée de Marguerite B..... ou de Sarah D..... ou de Gretchen Z... en face de son portrait-silhouette; on priait par écrit un parent de vous mettre en terre sous deux tilleuls autant que possible, ou au moins dans une campagne solitaire; on ouvrait, comme Werther, sur son bureau, le drame sentimental de Lessing, Emilia Galotti, et à minuit, à l'heure fatale, au dernier coup des douze tintements, on en terminerait avec le vrai songe de la vie par un coup de pistolet!

De tout ce tumulte, de tout ce temps de dépits heureux pour les fabricants d'armes à feu, rien sans doute ou au moins peu de chose en fût advenu sans le séjour du jeune Goethe dans la petite ville de Wetzlar. Sans elle, pas de Charlotle S..., sans elle, pas d'Albert, sans elle, pas de Werther... Aussi demandez aux hôtelleries du pays combien elles reçurent de blonds pèlerins rêveurs dans les dernières années du dernier siècle. Wetzlar est donc la source positive du livre de Werther; si ce n'est point là qu'il a été écrit, c'est là qu'il fut inspiré, c'est là qu'ont vécu les héros de cet épisode domestique, c'est là que se sont écoulées les heures de méditation et de passion dépeintes avec cette plénitude de talent achevé et de génie naissant qui caractérisaient

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