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LES ROMANS AMÉRICAINS

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The Lamplighter (l'Allumeur de réverbères). - Speculation, or, the Glen-Luna family (la Spéculation ou la famille de Glen-Luna), par Amy Lothrop. The Sunny side (le presbytère en plein soleil), par H. Trusta Paris, Ch. Meyrueis et comp. The Rifle Rangers (Les Tirailleurs au Mexique). The Scalp Hunters (Les Chasseurs de Chevelures), par le capt. Mayne Reid.

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Le doyen des romanciers américains, celui qu'à juste titre on avait salué en Europe du nom de « Walter-Scott du Nouveau-Monde, » James-Fenimore Cooper tenait encore d'une main ferme cette plume qui a popularisé chez nous les Yankees et les Peaux-Rouges, lorsque déjà des tentatives presque heureuses furent faites pour briser le moule classique du roman que l'Amérique avait reçu de nous, et rompre en ce point comme en d'autres avec les traditions européennes. Dans un pays où tout diffère du vieux continent, où une sève nouvelle monte incessamment dans un jeune tronc, et se répand en rameaux touffus sur un terrain vierge, il était naturel qu'une littérature originale se format et que cette littérature, dégagée des entraves de l'imitation, cherchât sur son propre sol son caractère et son inspiration. C'est surtout dans les œuvres d'imagination que ce mouvement a été sensible et profond. Tous les efforts ne furent point des triomphes, tous les succès eux-mêmes ne furent point des conquêtes. On chercha longtemps, et si l'on semble avoir aujourd'hui trouvé la voie où le génie américain doit marcher, il s'en faut encore que l'on ait atteint le but qu'on se propose. Ce but, il diffère essentiellement de celui que nos romanciers ont en vue. Une intention morale guide presque toujours le romancier américain, presque toujours il veut améliorer, il veut éclairer, il veut convertir. La religion emprunte l'arme qu'elle repousse chez nous ; l'esprit de secte se fait conteur, la passion du prosélytisme s'épanche en fictions. L'écrivain se donne une mission, et il tend à la remplir; mission providentielle sans doute dans un pays où la pensée n'a d'autre frein qu'elle-même, devoir imposé d'en haut chez un peuple où la volonté n'a guère que celle d'autrui pour limites, contrepoids utile, nécessaire avec des institutions qui mettent la bride sur le cou de toutes les folies humaines et qui permettent à chacun presque autant de perversité qu'il en veut prendre. Aussi, dans l'Amérique du Nord, les bonnes âmes qui se sentent des dispositions pour sermonner écrivent-elles des romans. Ce rôle est surtout dévolu aux femmes et particulièrement aux femmes qui appartiennent aux sectes ferventes, comme les méthodistes et les quakers. Mistriss

1 Voir tome Ier, page 420, et tome IV, page 615.

Beecher Stowe est le type excellent de la sermonneuse d'imagination, l'Uncle Tom's cabin est le chef-d'œuvre du genre.

Le roman américain ne brille pas par cette habileté que nous prisons si fort ici; il s'inquiète peu de produire des coups de théâtre et d'amener des péripéties; il ne sait pas préparer de longue main, et avec une science toute stratégique, l'assaut du cœur humain; il marche un peu à l'aventure, disant ce qu'il sait, racontant ce qu'il voit, tel qu'il le voit, sans prendre la peine de colorer sa pensée, de ménager ses effets et de coordonner ses forces; il est naïf jusqu'au niais, sensible jusqu'aux larmes, vrai jusqu'à la sécheresse, vertueux jusqu'à l'ennui, intime et profond jusqu'à l'idéal; l'esprit chrétien l'anime, le sentiment moral l'inspire, la droiture du cœur lui donne sa trempe et son titre. Il est moins une œuvre d'art et plus un acte de dignité que le nôtre; aussi exerce-t-il plus que chez nous son influence souveraine, et naguère encore n'avons-nous pas vu un de ces romans porter un coup plus terrible à l'esclavage que les speeches des plus ardents abolitionnistes? La femme, honorée et respectée en Amérique comme elle ne l'est plus en Europe et particulièrement en France, y tient d'une main virile le sceptre de cette royauté du cœur ; elle n'est point comme chez nous mise en suspicion par cela même qu'elle s'est taché d'encre le bout des doigts; elle n'a point les légèretés et les travers de notre « femme artiste; » elle ne se fait point une vie à part dans le groupe social; elle peut écrire des volumes et rester une excellente mère de famille. C'est presqu'un saccrdoce qu'elle exerce, et nul ne s'aviserait d'en sourire. Si le sacerdoce se trouve d'accord avec les intérêts et la gloire de l'auteur, tant mieux; mais on ne l'a pas cherché; c'est une rencontre heureuse, et, ajoutonsle, logique et nécessaire.

Un de ces livres obtient en ce moment un immense succès en Amérique, et ce livre, qui n'est pas signé, est encore l'œuvre d'une femme, miss Cumming, la fille d'un clergyman. Il en a été vendu en six mois plus de cinquante mille exemplaires aux États-Unis, et les différentes éditions publiées à Londres ont encore dépassé ce chiffre. Comme le roman de madame Harriett Beecher Stowe, Uncle Tom's Cabin, comme celui de miss Wetherell, The Wide, Wide World, le nouveau livre offre une difficulté grande dans la traduction de son titre, The Lamplighter. Ce mot signifie proprement allumeur de lampes, de lanternes, de réverbères; mais on verra bientôt que sous cette expression se cache aussi un sens mystique. Dans le langage des personnes dévotes de l'Angleterre et de l'Amérique, l'âme est souvent appelée figurativement une lampe, en souvenir de la parabole des Vierges folles et des Vierges sages. Le roman même qui nous occupe nous offre plusieurs exemples de cette expression ainsi appliquée. La mère de William Sullivan, l'un des principaux personnages, s'apercevant qu'elle n'a plus que peu de temps à vivre, reprochait à sa jeune et dévouée garde-malade de ne l'avoir pas avertie de sa fin prochaine. « Pourquoi l'aurais-je fait? répondit >> Gertrude, dont la voix tremblait d'émotion. Je savais qu'il était impossible que >> le Seigneur vous appelât à un moment où votre lampe ne serait pas en parfait » état et bien allumée.-Oh! elle brûle faiblement, bien faiblement, dit l'humble » chrétienne. » — Ce titre The Lamplighter, donné à ce récit, dont le but est de faire ressortir la beauté morale de l'éducation et de la résignation chrétiennes au milieu du grand monde, pourrait donc avoir, dans l'intention de l'auteur,

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un double sens : l'un positif, s'appliquant au modeste héros du livre ; l'autre symbolique, destiné à élever la pensée jusqu'à Celui qui éclaire les ámes. Ce sens tout symbolique paraît avoir échappé à l'auteur d'une traduction en voie de publication, et qui, pour tourner la difficulté, n'a rien trouvé de plus commode que de supprimer le titre véritable, et de le remplacer par le nom d'un des principaux personnages, celui de Gerty.

Que le lecteur veuille bien nous suivre ; nous sommes à Boston:

ll faisait déjà presque sombre dans la ville; peut-être, en pleine campagne, le jour pouvait-il durer encore une demi-heure ou davantage; mais dans les rues étroites où nous entraîne ce récit, la brune s'était déjà répandue. Sur le seuil en bois d'une maison basse, obscure et d'une apparence malsaine, était assise une petite fille, les yeux fixés vers le haut de la rue avec une expression de vive anxiété. La porte de la maison, ouverte derrière elle, touchait au trottoir, et le degré sur lequel elle était assise était si bas que ses petits pieds nus reposaient sur le pavé froid. C'était une soirée glaciale de novembre, et une légère chute de neige, qui avait donné un air brillant et propre aux larges et charmants squares autour desquels sont bâties les belles maisons de la ville, n'avait servi qu'à rendre les rues étroites et les sombres ruelles plus sales et plus tristes que jamais; mêlée avec la boue et les immondices qui abondent dans ces quartiers où s'entassent les pauvres, la neige avait perdu sa blancheur immaculée.

>> Beaucoup de gens passaient dans un sens ou dans l'autre, allant aux divers rendez-vous du devoir ou du plaisir; mais personne ne remarquait la petite fille, car il n'y avait personne dans le monde qui s'occupât d'elle. Elle était insuffisamment vêtue des plus misérables haillons. Ses cheveux étaient longs et très épais, mal soignés et mal arrangés. A la vérité, l'arrangement pouvait être de peu d'importance, eu égard à un ensemble de traits qui n'avait rien pour plaire à un observateur ordinaire; ils étaient maigres, allongés; le teint était jaune, et tout l'extérieur annonçait un mauvais état de santé.

» Elle avait cependant de beaux yeux noirs; mais ils semblaient d'une largeur si peu naturelle, et faisaient si bien contraste avec son visage mince et chétif, qu'ils ne servaient qu'à en augmenter l'étrangeté sans l'embellir. Si quelqu'un eût pris intérêt à cette enfant (ce que personne ne faisait), si elle avait eu une mère (mais hélas! elle n'en avait pas), peut-être les yeux de cet ami, les yeux de cette mère eussent-ils trouvé en elle quelque chose à louer. Mais la pauvre enfant s'entendait dire, une douzaine de fois par jour, qu'elle était la plus laide créature qui fût au monde, et qui pis est la plus méchante. Personne ne l'aimait et elle n'aimait personne, personne ne la traitait affectueusement; personne ne s'occupait de la rendre heureuse, ne songeait à savoir si elle l'était. Elle n'avait que huit ans et elle était seule au monde.

» Il n'y avait qu'une chose, une seule chose qui lui fit plaisir. Elle aimait à épier la venue de l'homme qui allumait le réverbère en face de la maison où elle demeurait, à voir vaciller au vent la torche qu'il portait; puis, quand il avait monté les degrés de son échelle, qu'il allumait le réverbère si vivement, si aisément, et répandait ainsi tout à l'entour un air de gaîté, alors un rayon de joie entrait dans ce petit cœur désert, auquel le bonheur était étranger; et, bien que le vieil allumeur ne l'eût jamais remarquée, ne lui eût jamais parlé, elle l'attendait chaque soir comme on attend un ami.

Gerty! cria une voix rude à l'intérieur, as-tu été chercher le lait? » L'enfant ne répondit pas; mais se glissant le long de la porte, elle s'enfuit au coin de la maison et y resta cachée.

» — Qu'est devenue cette enfant? dit la femme qui l'avait appelée et qui parut alors sur le seuil.

>> Un petit garçon qui passait avait vu Gerty courir; il était du quartier, et comme tout le voisinage, il la prenait pour une sorte de lutin, d'esprit malfaisant; il partit d'un éclat de rire, montra le coin où elle était cachée, et s'en alla en tenant la tête tournée pour voir ce qui arriverait, et se disant à luimême : « elle va avoir sa volée. »

>> Un moment après Gerty fut tirée de sa cachette, et reçut une tape pour sa laideur et une autre pour son impudence; car elle faisait force grimaces à Nancy Grant qui, la poussant dans un petit passage voisin, l'envoya quérir le lait.

» Elle courut bien vite de peur que l'allumeur de réverbères n'arrivât et ne disparût pendant son absence; à son retour, comme elle approchait de la maison, elle fut tout heureuse de le voir justement monter à son échelle, au pied de laquelle elle alla se placer; elle y resta clouée, les yeux fixés sur la lumière avec tant d'attention, qu'elle ne s'aperçut pas que l'homme descendait. Comme elle se trouvait complètement sur son passage, il la heurta et la fit tomber. - Holà! ma petite! s'écria-t-il, comment ça se fait-il done? et il se baissa pour la relever.

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» En une seconde elle fut debout, car elle était habituée aux coups, et ne s'inquiétait pas de quelques meurtrissures de plus ou de moins. Mais le lait.... complètement répandu!

» — Oh! ça, ma foi, dit le brave homme, c'est trop de malheur! qu'est-ce que maman va dire?...

» Il s'interrompit en apercevant Gerty de face pour la première fois : » — Tiens! la drôle de figure de petite fille! elle a l'air d'une sorcière! » Puis remarquant qu'elle contemplait avec effroi le lait renversé et jetait un regard rapide du côté de la maison, il ajouta avec bonté :

» — N'aie pas peur, chérie, un petit corps grêle comme le tien!... qui est-ce qui voudrait?... Console-toi, ma mignonne! ne t'effraie pas si elle te gronde un peu. Je t'apporterai demain quelque chose qui te fera peut-être plaisir. Tu as l'air si abandonnée! surtout, si la vieille se fâche, dis-lui bien que c'est moi qui suis cause.... Mais est-ce que je ne t'ai point fait mal, dis? Et que faisais-tu là, auprès de mon échelle?

» — Je vous regardais allumer le réverbère, dit Gerty, je n'ai pas de mal du tout; mais je voudrais bien n'avoir pas renversé le lait.

>> En ce moment Nan Grant vint regarder à la porte, vit ce qui était arrivé et poussa rudement l'enfant dans la maison, sans ménager les coups, les menaces, jes grossiers propos ni les jurons. L'allumeur essaya de l'apaiser, mais elle lui ferma la porte au nez. Gerty fut grondée, battue, et sans avoir eu la croûte de pain sec, son souper ordinaire, fut enfermée dans sa noire mansarde pour toute la soirée et la nuit. Pauvre petite enfant! sa mère était morte dans la maison de Nan Grant cinq ans auparavant; et depuis elle y avait été tolérée, non point parce que Ben Grant, en s'embarquant, avait recommandé à sa

femme de ne pas manquer de garder l'enfant jusqu'à son retour, il y avait si longtemps qu'il était parti que personne ne l'attendait plus;-mais parce que Nan Grant avait ses raisons à elle d'agir ainsi; et bien qu'elle regardât Gerty comme une lourde charge sur ses bras, elle ne voulait pas donner lieu à des questions en essayant de la remettre en d'autres mains.

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» Quand Gerty se vit renfermée pour la nuit dans l'obscur grenier, — Gerty avait horreur et peur de l'obscurité, elle resta pendant une minute parfaitement tranquille; puis tout à coup elle se mit à trépigner et à essayer d'enfoncer la porte, en criant de toutes ses forces: « Je vous hais, Nan Grant! vieille Nan Grant, je vous hais! » Mais personne ne vint; et bientôt après elle s'apaisa, se jeta sur son misérable lit, se couvrit la figure de ses deux petites mains, et sanglota et cria comme si son cœur allait se fendre. Elle pleura jusqu'à complet épuisement; puis peu à peu elle devint plus calme, ne laissant plus échapper de temps à autre qu'un faible sanglot lorsqu'elle s'efforçait de respirer. Bientôt elle retira ses mains de dessus son visage, les serra convulsivement l'une contre l'autre, et leva les yeux vers une petite lucarne vitrée, à côté du lit. C'était le seul jour que possédat la chambre: trois morceaux de vitre inégalement ajustés. Il n'y avait pas de lune, mais, à travers la lucarne, Gerty vit une brillante étoile qui jetait sa lumière directement sur elle. Elle crut n'avoir jamais rien vu de moitié si beau. Souvent elle était sortie lorsque le ciel était étoilé, et elle n'y avait jamais fait beaucoup d'attention; mais cette étoile-là, solitaire, large, brillante, et pourtant si douce et si plaisante à regarder, avait l'air de lui parler; elle semblait dire : « Gerty! Gerty! pauvre petite Gerty!» L'enfant s'imagina que l'étoile ressemblait à un bon visage comme elle en avait vu et rêvé, il y avait bien longtemps. Tout à coup la pensée lui vint : « Qui l'a allumée? quelqu'un l'a allumée! quelqu'un de bon, bien sûr! oh! comment a-t-il pu monter si haut? » Et Gerty s'endormit, se demandant qui avait allumé l'étoile.

» Pauvre petite âme ignorante et ténébreuse, qui t'éclairera! Tu es l'enfant de Dieu, petite! Le Christ est mort pour toi. N'enverra-t-il pas homme ou ange pour illuminer tes ténèbres, pour allumer en toi une lumière qui ne s'éteindra jamais, la lumière qui brillera éternellement ! »>

Gerty passa la journée du lendemain toute seule, cachée derrière les planches, sous un hangard qui était son refuge habituel; car Nancy Grant ne l'employait jamais qu'à aller chercher du lait le soir, et soit par instinct, soit par un souvenir des recommandations de sa mère, elle évitait de frayer avec les enfants qui jouaient dans le voisinage. Elle pensa à l'allumeur de réverbères et à la promesse qu'il lui avait faite la veille. Elle se demanda ce que pourrait être le cadeau du brave homme. Serait-ce quelque chose à manger?... Si c'étaient des souliers! Non. Ce fut un petit chat que le bonhomme tira de sa poche et déposa sur les bras de Gerty, à la grande stupéfaction de l'enfant.

Ce chat devint la première affection de Gerty; impossible de dire combien elle l'aima; elle le nicha dans un vieux chapeau, loin des regards de Nancy Grant; elle partagea avec lui ses maigres rations. Cette communauté d'existence durait déjà depuis un mois, lorsqu'un soir, comme un joueur d'orgues qui faisait danser un singe captivait toute l'attention de Gerty à la fenêtre, le petit chat entra, sauta sur la table et se mit à goûter les restes du

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