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très bien M. du Boys, l'ordre féodal avait cela de particulier et de tout opposé aux traditions germaniques, qu'il reposait sur le sol; il était essentiellement territorial, à l'encontre des institutions germaniques qui étaient essentiellement personnelles. Sous Charlemagne, chaque homme vit encore sous sa loi distinctive; le Franc, le Burgonde, l'Aleman, quoique mêlés les uns aux autres, obéissent chacun à leur code national, que le délégué de l'Empereur fait observer par chacun d'eux. Mais lorsque ce délégué impérial s'est transformé en duc ou en comte héréditaire; lorsque le moindre château-fort est le séjour d'un seigneur qui gouverne, non pas à titre de magistrat, mais à titre de suzerain, non pas les sujets de l'empire, mais ses propres vassaux; ce monarque territorial, tout-puissant d'une borne à l'autre de son domaine, réunissant là tous les pouvoirs, ne reconnaît sous lui qu'un seul titre d'obéissance, une seule race, une seule loi; en cela, la révolution féodale fortifie le principe de la souveraineté qu'elle affaiblit sous tant d'autres rapports.

Mais, sauf cette exception, la féodalité se trouva l'asile et comme la résurrection des traditions sociales du paganisme germanique, de même que la royauté et l'Eglise en combattant contre elle soutenaient la cause de la civilisation romano-chrétienne. Le combat recommença comme à nouveau, quoique sur un terrain différent; le système des vengeances privées reparut, non plus d'homme à homme, puisque là pouvait intervenir la justice féodale, mais de suzerain à suzerain, entre lesquels la justice du Roi n'était guère plus forte que n'aurait été celle du Konungr dans les forêts tudesques. Les Fehdes germaniques se reproduisirent aussi sous une forme plus vaste; château contre château, territoire contre territoire, armée contre armée, et il fallut en venir à bout par les mêmes moyens, la paix de l'Eglise et la paix du Roi, la trève de Dieu et la sentence royale. A plus forte raison, les institutions germaniques, qui n'avaient pas cessé de se pratiquer, trouvèrent asile dans la forteresse féodale, et ne furent vaincues qu'après de longs siècles par le travail uni de l'Eglise et de la royauté. Ainsi arriva-t-il pour les épreuves judiciaires, ces institutions à la fois si barbares et si tenaces, que pendant quelques siècles le clergé même toléra, que certains évêques semblent autoriser par leurs rituels, tant l'entraînement était puissant! Ce fut ici la tête de l'Eglise qui résista : les Papes, plus Romains par la naissance et par la civilisation, plus indépendants des entraînements germaniques; les conciles provoqués par eux; les évêques ramenés au besoin par le pontificat dans les voies que l'entraînement féodal leur avait fait quitter, prononcèrent les premières condamnations. Philippe-Auguste, Saint-Louis, Henri III en Angleterre, mirent, non sans peine, en honneur la loi de l'Eglise. Ainsi arriva-t-il encore pour le combat judiciaire, qui n'était qu'une épreuve d'un autre genre, un appel fait par la voie du sort à la justice de Dieu; le champ

clos, ce grand moyen de la justice féodale, contre lequel lutta saint Thomas de Cantorbéry, que saint Louis lui-même ne put que restreindre, qui se vit en France, une dernière fois, sous Henri II.

Il est temps que je m'arrête dans cette analyse. Elle me ramène du reste à la pensée qui m'a guidé dans les premières pages. Les épreuves judiciaires sont, elles aussi, du nombre de ces institutions qui semblent appartenir à toutes les barbaries. Sophocle parle de l'épreuve du feu; les lois de l'Inde mentionnent les diverses épreuves juridiques; les codes germaniques et scandinaves en sont pleins; il y en a des traces dans l'ancienne Russie. Le duel judiciaire, plus approprié aux nations militantes, de même que les autres sont surtout connues des nations sacerdotales, le duel judiciaire se retrouve en Pologne; plusieurs peuplades africaines pratiquent l'épreuve par le fer rouge et l'épreuve par le poison. Est-ce hasard que cette coïncidence? Est-ce emprunt fait à une source commune? Est-ce une tendance primitive que cette unanimité dans la barbarie? Ou n'est-ce pas plutôt l'unité de la nature humaine se révélant par les mêmes habitudes, par les mêmes appréhensions, par les mêmes espérances, par les mêmes peurs?

Mais sur ce sujet et sur tout le reste, je suis forcé de m'en tenir à quelques mots et de donner au livre de M. du Boys une forme sommaire et étriquée, peu propre à le faire apprécier comme il doit l'être. Je supprime les détails qui font la vie d'un livre, et je laisse le canevas nu. Non que je donne le livre comme anecdotique et pittoresque; il l'est au besoin, mais il l'est dans la mesure et selon les dictées de la science. C'est un livre sérieux auquel l'auteur a mis toute la droiture de sa conscience, toute la puissance de son esprit, tout l'emploi de son loisir; un livre fait, non pour l'effet, mais pour la vérité. J'ai très imparfaitement analysé la partie principale de ce livre, celle qui concerne les peuples germaniques et scandinaves; je n'ai pas dit que la législation criminelle du Koran y est esquissée comme objet de comparaison plus que comme une portion du sujet; que les législations musulmanes modernes y figurent jusque et y compris le hatti-schérif de Gulhané, en 1839; que les voyageurs modernes ont fourni à l'auteur, par l'étude des peuplades sauvages de l'Océanie, des rapprochements très précieux; qu'enfin la législation des peuples slaves de la Russie et de la Pologne est placée en pendant des législations germaniques, semblables dans le début, semblables aussi dans les phases de leur développement, sauf l'accident de la féodalité territoriale, particulier à l'Ouest de l'Europe. On voit jusqu'à quel point je suis obligé de mə restreindre. Dans le livre de M. du Boys, les faits et les idées abondent, et son ouvrage se prête aussi difficilement au resserrement de l'analyse que certains autres semblent naturellement l'appeler.

Cte FRANZ DE CHAMPAGNY.

QUINZE ANS

DE

L'HISTOIRE DE LORRAINE

(1610-1634)

Histoire de la réunion de la Lorraine à la France, par M. le comte d'Haussonville. Un volume in-8°. 1854.

Tome 1er.

Lorsqu'après les guerres de religion, nos Rois, maîtres chez eux, travaillaient, aidés par d'habiles ministres, à établir en France ce gouvernement monarchique qu'aimèrent nos aïeux, et qui donna, pendant un siècle, tant de grandeur à notre patrie, la politique intérieure n'était pas l'objet unique de leur préoccupation, et leurs pensées ambitieuses franchissaient la frontière. La Gaule de César s'étendant des Alpes à l'Océan, du Rhin aux Pyrénées, semblait aux princes de la maison de Bourbon l'apanage naturel réservé par la Providence à leur glorieuse famille. Pendant deux cents ans, les souverains qui se succédèrent sur le trône d'Henri IV poursuivirent avec une patience que rien ne lassait le but que leur indiquaient à la fois le sentiment patriotique et l'orgueil de la race, et s'ils ne l'atteignirent pas complétement, six provinces réunies à la France par des liens indissolubles témoignent à la fois de leur habileté et de leur puissance. Plus tard, la nation, mue par cette force irrésistible, mais éphémère et trompeuse, que donne la fièvre révolutionnaire, atteignit et franchit d'un bond les limites tant désirées; mais ce brillant triomphe fut promptement suivi d'amères défaites le temps respecte peu ce qui s'est fait sans lui; il fallut abandonner les fruits de trop rapides succès et reporter les

bornes de notre territoire jusqu'au point où la monarchie les avait placées, dans ses jours de bonheur. Plus d'un homme d'État étranger eût voulu alors, dans l'enivrement d'une victoire inespérée et chèrement achetée, revendiquer nos anciennes conquêtes; mais la sage pensée prévalut dans les conseils des souverains alliés qu'un pareil abus de la force amènerait une réaction terrible. Nous enlever la Belgique et la Savoie, c'était, pour ainsi parler, nous faire rentrer au logis; nous arracher la Flandre ou l'Alsace, l'Artois ou le Roussillon, la Franche-Comté ou la Lorraine, c'eût été nous démembrer. Aux jours de nos malheurs, les populations de ces provinces restèrent fidèles à la patrie envahie, et les traités de 1814 et de 1815 furent la preuve la plus éclatante qu'il n'en était pas de plus françaises.

Un résultat si complet avait exigé de longs et pénibles efforts. Pour ne parler que de la Lorraine, que de temps et de combats ne fallut-il pas pour réunir à la France un pays qui, cependant, par sa position géographique, par la similitude presque absolue des mœurs et de la langue, semblait devoir être la plus facile des conquêtes! Nulle frontière naturelle, nul voisin puissant ne le protégeait efficacement; néanmoins, une race de princes intrépides, une population peu nombreuse, il est vrai, mais guerrière et dévouée à la famille qui régnait paternellement sur elle depuis des siècles, réussirent, grâce à leur étroite union, à défendre longtemps leur indépendance; ni la hardiesse de Richelieu, ni la finesse de Mazarin, ni la puissance même de Louis XIV, ne triomphèrent d'une résistance qui, épuisée par tant d'assauts, finit par se rendre à la politique débonnaire du cardinal de Fleury. C'est l'histoire de cette longue lutte que M. le comte d'Haussonville a entrepris d'écrire, et dans un premier volume, le seul qu'il ait encore publié, il en raconte les commencements. A lui plus qu'à tout autre convenait pareille tâche, car il devait la remplir, non pas avec cette impartialité qui glace le récit, mais avec l'intérêt partagé que lui inspire sa double qualité de Français et de Lorrain. Sa raison applaudissait aux efforts de nos Rois pour l'agrandissement de la patrie, mais le sang qui coule dans ses veines ne pouvait rester froid aux infortunes d'une cause qui fut celle de ses ancêtres. D'ailleurs, qui oserait reprocher à l'historien son innocente sympathie pour des sentiments qui n'ont et n'auront plus jamais de défenseurs actifs? Après le siècle qui s'est écoulé, après que tant de Lorrains sont glorieusement tombés sur tant de champs de bataille sous notre drapeau, la Lorraine est aussi Française que la Normandie, et il est aussi permis de s'émouvoir des malheurs du duc Charles IV que de ceux de Robert Courte-Heuse.

Le duc Charles III de Lorraine, qui occupa le trône pendant plus d'un demi-siècle (1543-1608), était d'un caractère prudent et paisible. Fidèle aux traditions qu'il avait reçues de ses ancêtres, il gouverna

doucement ses peuples, leur laissant l'usage de leurs vieilles franchises et respectant les antiques priviléges du pays'.

Pendant presque tout son règne, la France fut agitée par des troubles religieux et ne fut guère en état d'inquiéter ses voisins; Charles, de son côté, chercha peu à se mêler aux différentes factions qui déchiraient le royaume. S'il avait pu un moment rêver qu'en sa qualité prétendue de descendant de Charlemagne il pourrait être appelé à porter la couronne de France, à l'extinction des Valois, il avait promptement compris que c'était entre ses cousins de Guise, le Roi de Navarre et le Roi d'Espagne que se disputerait ce précieux héritage. Philippe II eût été un voisin bien incommode, et si le chef de la maison de Lorraine n'avait pu refuser tout appui à ses cadets au moment de leur plus grande prospérité, il ne les eût pas vus sans jalousie atteindre un degré de puissance si supérieur à la sienne. Il n'eut donc pas de grands efforts à faire pour traiter avec Henri IV, dès que la fortune eut souri à ce prince, et pour entretenir avec lui de bons rapports que resserrérent le mariage du fils aîné du duc avec Catherine de Bourbon, sœur du Roi; et jusqu'à la mort de Charles III (1608), aucune difficulté ne s'éleva entre les deux cours.

Avec le règne d'Henri II commencèrent les malheurs de la Lorraine. Ce prince n'avait point eu d'enfants de Catherine de Bourbon, morte prématurément en 1604, et sa seconde femme, Marguerite de Gonzague, nièce de la Reine de France, Marie de Médicis, ne lui avait donné que des filles. Cette circonstance était funeste, car la question de la succession féminine n'était point décidée en Lorraine; une seule fois le cas s'était présenté, et un mariage avait amené une transaction; le duché était donc menacé du fléau le plus terrible qui puisse frapper une monarchie, d'une guerre de succession. Un moment il avait été question de l'union de la princesse Nicole, fille aînée du duc Henri, et du Dauphin; un prince aussi puissant aurait bien su faire prévaloir les droits de sa femme; mais le coup de poignard de Ravaillac mit ce projet à néant; Marie de Médicis, qui attachait un grand prix à l'alliance espagnole, fit épouser à son fils l'Infante Anne d'Autriche. La question de succession restait donc tout entière et l'héritier de la ligne masculine n'était guère d'humeur à abandonner les prétentions des agnats. C'était le propre frère du duc, le comte de Vaudemont. Un mariage entre le fils du comte, le prince Charles, et la princesse Nicole, eût pu terminer le différend; mais le vieux ¡duc, soit qu'il répugnât à ce qui aurait pu paraître un abandon dissimulé des droits de sa fille, soit qu'il

1 Les notes du premier volume de M. d'Haussonville contiennent un intéressant exposé des institutions de la Lorraine à la fin du seizième siècle. Ce petit pays avait conservé une grande partie des coutumes du moyen-âge; la noblesse, surtout, avait su maintenir des droits qui la laissaient dans une grande indépendance vis-à-vis du souverain.

TOME XVI.

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