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S'il est impossible de nier que l'homme espère jusqu'au tombeau, s'il est certain que tous les biens de la terre, loin de combler nos souhaits, ne font que creuser l'ame et en augmenter le vuide; il faut en conclure qu'il y a quelque chose au-delà du temps. Vincula hujus mundi, dit S. Augustin, asperitatém habent veram, jucunditatem falsam: certum dolorem, incertam voluptatem : durum laborem, timidam quietem: rem plenam miseriae, spem beatitudinis inanem. « Le monde a des » liens pleins d'une véritable âpreté et d'une >> fausse douceur; des douleurs certaines, des plaisirs incertains; un travail dur, un repos inquiet; des choses pleines de misère, et une » espérance vuide de bonheur (1). » Loin de nous plaindre que le desir de félicité ait été placé dans ce monde, et son but dans l'autre, admirons en cela la bonté de Dieu. Puisqu'il faut tôt ou tard sortir de la vie, la Providence a mis au-delà du terme fatal un charme qui nous attire, afin de diminuer nos terreurs du tombeau : quand une mère veut faire franchir une barrière à son enfant, elle lui tend de l'autre côté de la barrière un objet agréable pour l'engager à passer.

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(1) Epist. 30.

CHAPITRE II.

Du Remords et de la Conscience.

LA conscience fournit une seconde preuve de l'immortalité de notre ame. Chaque homme a au milieu du cœur un tribunal où il commence par se juger soi-même, en attendant que l'arbitre souverain confirme la sentence.. Si le vice n'est qu'une conséquence physique de notre organisation, d'où vient cette frayeur qui trouble les jours d'une prospérité coupable? Pourquoi le remords est-il si terrible, qu'on préfère souvent de se soumettre à la pauvreté et à toute la rigueur de la vertu, plutôt que d'acquérir des biens illegitimes?. Pourquoi y a-t-il une voix dans le sang, une parole dans la pierre ? Le tigre déchire sa proie, et dort; l'homine devient homicide, et veille. Il cherche les lieux déserts, et cependant la solitude l'effraie; il se traîne autour des tombeaux, et cependant il a peur des tombeaux. Son regard est mobile et inquiet; il n'ose fixer le mur de la salle du festin, dans la crainte d'y voir des caractères funestes. Tous ses sens semblent devenir meilleurs pour le tourmen-: ter: il voit, au milieu de la nuit, des lueurs menaçantes; il est toujours environné de l'odeur du carnage; il découvre le goût du poison jusques dans le mêts qu'il a lui-même

apprêté; son oreille d'une étrange subtilité, trouve le bruit où tout le monde trouve le silence; et en embrassant son ami, il croit sentir sous ses vêtemens un poignard caché.

O conscience! ne serois-tu qu'un fantôme de l'imagination, ou la peur des châtimens des hommes ? Je m'interroge; je me fais cette question : « si tu pouvais, par un seul desir >> tuer un homme à la Chine, et hériter de sa » fortune en Europe, avec la conviction surna>>turelle qu'on n'en sauroit jamais rien, con» sentirois-tu à former ce desir? » J'ai beau m'exagérer mon indigence; j'ai beau vouloir atténuer cet homicide, en supposant que, par mon souhait, le Chinois meurt tout-à-coup sans douleur, qu'il n'avoit point d'héritier, que même à sa mort, par telle position de ses affaires, ses biens seront perdus pour l'état; j'ai beau me figurer cet étranger comme accablé de maladies et de chagrins, me dire que la mort est un bien pour lui, qu'il l'appelle luimême, qu'il n'a plus qu'un instant à vivre : malgré tous mes vains subterfuges, j'entends au fond de mon cœur, une voix qui crie si fortement contre la seule pensée d'une telle supposition, que je ne puis douter un instant de la réalité de la conscience..

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C'est donc une triste nécessité que d'être obligé de nier le remords, pour nier l'immortalité de l'ame et l'existence d'un Dieu yen

geur. Toutefois nous n'ignorons pas que l'athéisme, poussé à bout, a recours à cette négation honteuse. Le sophiste, Jans le paroxisme de la goutte, s'écrioit : « O douleur ! je n'avouerai jamais que tu sois un mal! » Et quand il seroit vrai qu'il se trouve des hommes assez infortunés pour étouffer le cri de la conscience, cela ne prouveroit rien encore ne jugeons point celui qui a l'usage de tous ses membres ? par le paralytique qui ne sent plus la moitié des siens; le crime, à son dernier degré, est une maladie de l'ame qui la cautérise: en renversant la religion, on a détruit le seul remède qui pouvoit rétablir la sensibilité dans les parties mortes du cœur. Cette étonnante religion du Christ étoit une sorte de supplément à ce qui manquoit à l'humanité. Péchoit-on parexcès, par trop de prospérité, par violence de caractère? Elle étoit là pour nous avertir de l'inconstance de la fortune et du danger des emportemens. Etoitce, au contraire, par défaut qu'on étoit exposé, par indigence de biens, par indifférence d'ame? Elle nous apprenoit à mépriser les richesses, en même temps qu'elle réchauffoit nos glaces, et nous donnoit, pour ainsi dire, des passions. Avec le criminel sur-tout sa charité étoit inépuisable: il n'y avoit point d'homme si souillé qu'elle n'admît à repentir, point de lépreùx si dégoûtant, qu'elle ne tou

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chât de ses mains pures. Pour le passé, elle ne demandoit qu'un remords; pour l'avenir qu'une vertu, Ubi autem abundavit delictum disoit-elle, superabundavit gratiâ. « La grâce » a surabondé où avoit abondé le crime (1). Toujours prêt à avertir le pécheur, J. C. avoit établi sa religion comme une seconde conscience pour le coupable, endurci qui auroit eu le malheur de perdre la conscience, naturelle; conscience évangélique, pleine de pitié et de douceur, et à laquelle le Fils du Tout-puissant avoit accordé le droit de faire grâce, que n'a pas la première.

Après avoir parlé du remords qui suit le crime, il seroit inutile de parler de la satisfaction qui accompagne la vertu. Le contentement intérieur qu'on éprouve en faisant une bonne œuvre, n'est pas plus une combinaison de la matière, que le reproche de la conscience lorsqu'on commet une méchante action, n'est la crainte des loix. Que si des sophistes qu'on ne sauroit trop détester, soutiennent que la vertu n'est qu'un amour-propre déguisé, et que la pitié n'est qu'un amour de soi-même; ne leur demandons point, s'ils n'ont jamais rien senti dans leurs entrailles après avoir soulagé un malheureux, ou si c'est la frayeur de retomber en enfance, qui les attendrit sur

(1) Rom. v. 20.

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