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L'ABBAYE DE CITEAUX

Le clergé, au moyen âge, n'était pas seulement une grande puissance dans l'ordre moral et politique, c'était encore une grande puissance terrienne. Il disposait de ressources matérielles considérables, qui s'accroissaient incessamment par la libéralité des princes et les legs des fidèles, grâce aussi à une administration plus intelligente et mieux ordonnée que celle des seigneurs laïques. L'établissement du système féodal fut pour le clergé une nouvelle cause d'accroissement de richesse. La souveraineté s'étant confondue avec la propriété, les abbés devinrent des seigneurs temporels. Une foule de droits nouveaux, des services de différents genres, qui étaient nés de l'obligation féodale, augmentèrent la valeur des biens. des seigneurs ecclésiastiques et en grossirent les revenus. Puis, quand la féodalité eût succombé sous les efforts incessants de centralisation du pouvoir personnel du roi de France, l'Église continua de jouir jusqu'à la Révolution d'une foule d'immunités, qui défendaient son patrimoine contre la convoitise des hommes puissants et les envahissements fiscaux des représentants de l'autorité royale.

Les archives de l'ancienne province de Bourgogne nous ont permis d'étudier, dans les cartulaires et dans les fonds si riches de la célèbre abbaye de Citeaux, le développement

de la puissance terrienne de cet ordre. Les chartes de donation des ducs de Bourgogne, des chapitres des églises voisines, des seigneurs et des simples fidèles, les actes d'acquisition ou d'échange, les reconnaissances des droits d'usage de l'abbaye dans les forêts royales qui l'environnaient, ou des paroisses voisines dans les bois de l'abbaye, forment un ensemble de titres de propriété très complet. Les procèsverbaux de délimitation et de bornage suffisent pour rétablir la situation, la consistance et les limites des forêts. La Visitte générale dans la totalité des bois de Cisteaux, faite et rédigée en 1726 par Albert Prinstet, chevalier de l'ordre de SaintLouis, conseiller du roi et maître particulier au siège de la maîtrise des eaux et forêts de Dijon, indique en détail la composition des peuplements des différents cantons de bois et leur aménagement. De nombreux documents épars dans les comptes du cellerier 1 et maître des bois de l'abbaye, et dans la correspondance des abbés avec les représentants du pouvoir royal, montrent la résistance des ecclésiastiques à l'établissement des réserves dans leurs forêts et au martelage de la marine. L'administration proprement dite, l'exploitation des bois de l'abbaye, les prix des coupes et des différents produits, la valeur de la main-d'œuvre et des transports, les questions de pâturage et de panage et la répression des délits sont aussi l'objet de notes très précieuses pour l'histoire des forêts de la Bourgogne avant la Révolution.

Les débris de la richesse forestière de l'abbaye de Citeaux se trouvent situés dans les circonscriptions des inspections de Dijon et de Beaune, où nous avons occupé les fonctions de garde général et de sous-inspecteur des forêts.

1. Le cellerier (cellarius) était, d'une manière générale, sous l'autorité de l'abbé, chargé de l'administration financière de l'abbaye. Il recevait les comptes des convers placés à la tête des exploitations agricoles, des usines et des divers corps d'ouvriers. Il en avait l'inspection. L'auteur du Grand Exorde de l'ordre de Citeaux nous représente un cellerier parcourant les fermes de l'abbaye pour remplir les obligations de sa charge. (D'Arbois de Jubainville, Études sur l'état intérieur des abbayes cisterciennes, p. 227 et 228.)

Les recherches auxquelles nous nous sommes livré pour connaître le passé du domaine dont la gestion nous était confiée, nous ont paru assez intéressantes à résumer. Si le mémoire où nous avons consigné ces recherches peut entraîner nos camarades à entreprendre l'historique de leurs forêts, nous aurons ainsi apporté une utile contribution à l'histoire de la Bourgogne et à celle de la sylviculture.

« L'abbaye de Citeaux, église matrice et chef d'ordre des bernardins, située en Bourgogne, dans le diocèse de Chalon, à quatre lieues de Dijon et à deux lieues de Nuits, qui fut fondée en 1098, est redevable en partie de son établissement à la piété et à la libéralité d'Eudes, duc de Bourgogne, premier du nom, qui permit à saint Robert, pour lors abbé de Molesmes, et aux religieux qui étaient avec lui, de la bâtir dans l'endroit de ses états appelé Cysteaux, qui était une espèce de fief appartenant alors à Regnard, vicomte de Beaune, à cause d'Hodierne, son épouse, du consentement de laquelle et de ses enfants, ce seigneur donna à ce saint abbé autant de terrain dans ce lieu qu'il lui en fallait pour bâtir un monastère. Le duc de Bourgogne, ayant acheté le reste des dépendances de cette terre, en gratifia saint Robert. La sainteté de ces premiers religieux rendit ce monastère si célèbre que plusieurs personnes d'une naissance illustre et de mérite, abandonnant tout ce qui les pouvait flatter dans la vie, s'y retirèrent; tels furent le prince Henry, second fils de ce duc, et saint Bernard, avec les autres gentilshommes qui le suivirent; en sorte que dans l'espace de dix-huit années au plus, la communauté de Citeaux fut si nombreuse que la maison n'étant plus suffisante pour loger tous les religieux qui y étaient alors, l'abbé fut obligé d'envoyer des colonies dans les diocèses de Chalon, d'Auxerre et de Langres pour fonder les abbayes de la Ferté, Pontigny, Clairvaux et Morimond, appelées les quatre filles de Citeaux. » C'est ainsi qu'un religieux cistercien, dom Marc-Antoine Crestin, résume les commencements de l'abbaye dans une

notice qu'il rédigca en 1724 et où il trace à grands traits le récit des principaux évènements de l'histoire de ce monastère jusqu'au schisme de 1642.

« Citeaux, dit-il plus loin, aida de ses deniers les princes chrétiens qui entreprirent les croisades contre les infidèles, et soutint les papes d'Avignon de 1378 à 1410. »

Après la mort de Charles le Téméraire, le prince d'Orange, qui défendait la cause de Marie de Bourgogne, confisqua tout ce que l'abbaye, qui tenait pour Louis XI, possédait en Franche-Comté.

Pendant les guerres de la succession de Bourgogne, l'abbaye de Citeaux, tour à tour au pouvoir des deux partis, fut pillée une première fois, puis imposée à de grandes sommes pour le rachat de François Ier après la bataille de Pavie. La guerre avec Charles-Quint lui fit perdre les rentes qu'elle avait en Espagne.

Les schismes de Luther et de Calvin lui portèrent le même coup en Angleterre, quand Henri VIII se sépara de l'Église romaine. Sous Charles IX, pendant les guerres de religion, Citeaux fut imposé à 1,500 écus dans la répartition que firent les députés du clergé du diocèse de Chalon, par suite de l'édit du 23 mai 1563, qui ordonnait que le clergé du royaume aliénerait de ses fonds jusqu'à concurrence de 100,000 écus de rente. Ce fut par suite de cette ordonnance que le comte de Chabot, seigneur de Pagny 1, qui convoitait la terre de Toutenant, appartenant à Citeaux, se la fit adjuger pour 19,850 livres, le 18 décembre de la même année. Ce domaine comprenait plus de 700 journaux de bois futaie.

Dès le 2 octobre 1564 l'abbaye racheta cette terre, mais en 1574, le prince de Condé, à la tête des huguenots, taxa Citeaux à 3,000 écus de contribution, à peine d'exécution militaire. La contribution fut payée, et pour solder les arrérages de l'emprunt qu'ils avaient dù contracter, les religieux

1. Pagny-le-Château, cant. de Seurre, arr. de Beaune (Côte-d'Or).

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