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En effet, sa vie déjà si paisible devient encore plus retirée. Comme s'il eût voulu rompre lui-même tous les liens qui le rattachaient à la terre, on le voit supprimer ses voyages d'amitié, diminuer le nombre de ses lettres, restreindre ses visites, rétrécir le cercle de ses lectures.

<< Mon parti est pris de renoncer aux visites promises à » Sens et à Pont-sur-Yonne. Décidément je suis trop vieux » pour me déplacer et courir ainsi les grands chemins gare >> aux meubles vermoulus. » 1

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.......

Je n'ai plus, Dieu merci, de communication au >> monde qu'avec mes livres et avec les amis d'écritoire, et » par conséquent de cœur plein et pleinement libre. »

2

« Depuis assez longtemps mes facultés morales sont telle» ment engourdies, qu'une lettre à écrire est devenue pour » moi une véritable désolation dont je repousse le remède » d'un jour à l'autre, et que le peu qui me reste de mémoire >> finit par ne plus me présenter.

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..... Plus de lettres pour moi que celles obligatoires » pour toucher mes petites rentes, et quelquefois les éven»tuelles; quelques signes de vie dans ma famille, plus sou» vent encore en secours qu'en écritures. »

« En voilà bien long pour une tête faible, des doigts >> engourdis et des yeux larmoyants; ces sortes d'enseignes » et beaucoup d'autres encore font présumer que la fin ne » peut pas être bien loin. Mais là dessus comme il plaira à » Dieu Sat diu, si sat bene. Mon âme, Dieu merci, n'en est » ni alarmée ni troublée. Elle se tient sur ses gardes et >> voilà tout. » 4

....... Mes livres ne me tiennent plus guère au cœur. » La Bible, l'Imitation, Horace et les Fables de La Fontaine ; » voilà aujourd'hui toute la bibliothèque qu'il me faut pour

1. B. Lettre du 14 mai 1834.

2. B. Lettre du 11 septembre 1835. 3. B. Lettre du 29 décembre 1835. 4. B. Lettre du 25 février 1836.

TOME XI.

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» satisfaire pleinement à mes besoins et à mes jouissances » de cœur et d'esprit. Le même ouvrage, relu mille fois » comme toujours nouveau pour moi, me tient largement et >> commodément lieu de mille volumes. >>> 1

Le père Chapet n'était plus capable de cataloguer les 3,500 volumes de sa bibliothèque, mais son cœur lui donna la force d'accomplir un dernier pèlerinage à Valence pour consoler une fois encore son ami, M. de la Tourette 2. II considérait ce voyage comme un devoir et rien ne put l'arrêter.

<< Mon voyage de Valence est absolument indispensable, >> écrivait-il à son ami, et il aura lieu, quoi qu'il m'en doive » coûter, à la mort comme à la vie. » 3

Il partit le 18 mai 1837 et revint à la fin d'octobre « bien. » étourdi de la tête, bien meurtri par le cœur et un peu » éclopé dans le reste 4. » Ce long voyage avait profondément ébranlé sa santé, et sans avoir jamais perdu son calme, sa sérénité, sa gaieté même, il mourut le 11 février 1838, à trois heures de l'après-midi, après avoir reçu avec une foi » vive les suprêmes consolations de la religion. 5

Nous avons été assez heureux pour retrouver deux lettres dans lesquelles un ancien élève du père Chapet, écrivant à un camarade de collège, donne d'assez nombreux détails

1. B. Lettre du 5 décembre 1836.

2. Le père Chapet était resté plus d'un an à Valence en 1827 et 1828. Voici comment il annonçait ce voyage à M. Jourdain :

« Quant au long voyage auquel je me dispose, en voicy l'occasion. Vous con> naissez, je crois, ma vieille liaison d'amitié intime avec l'évêque de Valence. » Le brave homme avec ses 63 ans vient d'être violemment secoué par une de ces > infirmités de l'âge qui ne se guérissent point, dont le retour et les crises menacent » habituellement et qui exigent un régime continu, sévère et gênant. C'est une rude » chose que tout cela, avec le sentiment vif des obligations auxquelles on est tenu » et une conscience très susceptible de s'alarmer et de s'affliger. Il m'appelle à son » secours pour lui épargner quelques petites épines, et pour lui adoucir par ci » par là les piqures des plus longues. J'y vais donc.....» (B. Lettre du 24 décembre 1826.)

3. B. Lettre du 13 mai 1837.

4. B. Lettre du 1er novembre 1837.

5. M. Fortin, Souvenirs, p. 196, 197.

sur son vieux maître. La première, qui n'est pas datée mais que l'on peut avec certitude reporter à l'année 1836, est un long récit d'une visite faite au père Chapet dans son ermitage d'Auxerre; la seconde est de 1838, elle a été écrite peu après la mort du père Chapet et nous apprend ce qu'est devenue sa bibliothèque.

Voici ces deux lettres que nous reproduisons ici pour compléter le portrait que nous avons essayé de tracer :

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« MON CHER CAMARADE,

» Quelle joie trop courte, hélas! m'a causée ta bonne visite imprévue quand, passant à Sens dans cette diligence qui » t'emmenait aux forges de Longuyon, tu t'es fait conduire >> chez moi. Revoir, après plus de dix ans, un ami de collège, » un émule qui me rappelait tant de bons vieux souvenirs, » c'est là une rencontre qu'il eût fallu savourer en longues >> causeries; nous n'avions que des minutes, aussi furent» elles gaspillées. Mais nous nous sommes alors solennelle>>ment promis de nous écrire souvent et, pour te rappeler >> cette promesse, je saisis l'occasion d'une visite que je >> viens de faire au père Chapet, dans son ermitage d'Auxerre. » Tu sais qu'il est resté peu de temps à Juilly depuis notre départ, en septembre 1825; je l'avais revu, une fois seule» ment, à Paris, venant faire une visite à mes parents; mais » on n'oublie pas un maître comme le père Chapet, et nous >> trouvant à douze lieues de distance, l'aller visiter m'a » paru un devoir aussi impérieux que doux.

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>> Me voilà donc parti, un beau matin d'août, dans une » carriole publique frétée par une société assez mélangée » de mariniers et de saltimbanques, pour le chef-lieu du » département.

» Auxerre est bâti sur des collines qui descendent brus» quement à l'Yonne, et domine le faubourg Saint-Martin» Saint-Marien situé en plaine sur la rive droite, où l'on me

>> conduisit pour trouver le logis du père Chapet. C'est une >> maison de bonne apparence sur le quai. J'entre dans » une cour remplie de fleurs et, comme je demandais avec une >> certaine hésitation M. Chapet, j'aperçois le vieil oratorien » sortant, un bouquet à la main, d'un petit pavillon à gauche » de la porte d'entrée et se dirigeant, à travers la cour, vers » le principal corps de logis. Ma visite lui était annoncée, » il m'accueille avec effusion et me montrant son petit bou» quet : « Accordez-moi quelques minutes, mon cher ami, » c'est aujourd'hui la fête de Mme Lesscré, je vais lui offrir >> ces fleurs; entrez, je vous rejoins dans un instant. » Je » pénètre dans une petite bibliothèque basse, la vénérable » odeur des bouquins me monte la tête, il me semblait venir » dans le sanctuaire de l'érudition pour consulter l'oracle.

>> Bientôt le brave père Chapet rentre les bras ouverts, » l'œil joyeux, les lèvres épanouies et me comble de démons>>trations de tendresse paternelle. Il m'emmène dans la >> seconde pièce plus vaste et formant son cabinet d'étude, » toute garnie aussi de rayons chargés de livres fort bien >> rangés.

<< Ah! me dit-il, j'ai eu un pied d'eau ici pendant dix jours >> au mois de mai dernier, tous mes in-folio ont été mouillés, » déshonorés. J'ai eu beau essayer de les sécher!..... N'en >>> parlons plus. » Puis il s'informa de ma position, de mes » espérances; je lui dis que peut-être je serais bientôt nommé » à Auxerre; il parut enchanté de cette perspective en ajou>>tant tout bas : « Je suis bien vieux! »>

» Si le corps a vieilli et s'est quelque peu courbé sous le >> poids de ses 82 ans, l'esprit est toujours jeune, le cœur est » toujours chaud. Je voudrais pouvoir te redire toute notre >> conversation avec ses incidents imprévus, ses brusques » saillies; mais on n'écrit pas ces bonnes causeries qui >> touchent à tout sans se fixer sur rien.

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Ai-je besoin de te dire que nous avons parlé des souve» nirs de Juilly, mais je n'osai pas l'interroger sur le Juilly

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>> actuel, lui demander des détails sur la transmission du collège en d'autres mains; cette pensée l'attristait, et je » devinai que sa part de copropriété avait été cédée presque » pour rien. Tu ignores peut-être que l'abbé de Lamennais » a fait une apparition à Juilly, je ne sais à quel propos; le » père Chapet y était encore à ce moment; dans la conver»sation, il glissa très sobrement sur ses relations forcées et » très passagères avec celui dont il cherchait le nom et qu'il désignait ainsi : « Vous savez..., ce fougueux métaphysicien. » » Je compris au ton de notre vieux savant que, fidèle à sa règle de ne rien lire qui ait été imprimé depuis 1800, il >> connaissait peu les ouvrages de l'abbé de Lamennais.

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>> Mais si le renom poétique de Lamartine n'est parvenu à >>ses oreilles que comme un écho bien affaibli, s'il regarde » avec quelque pitié les admirateurs de Châteaubriand et >> surtout de Victor Hugo; en un mot, s'il est un peu difficile » de s'expliquer avec lui sur les contemporains, comme il » reprend sa supériorité dès qu'il se trouve sur son terrain, » dès qu'il parle de ses médailles et de ses livres. Les médailles, les vieux livres, voilà le champ d'activité où se complait, depuis soixante ans, l'esprit du père Chapet. » Tout en me montrant ses belles suites, il me conta qu'un » M. A. d'H. avait la réputation de glisser volontiers dans sa » poche, quand son confrère numismate avait l'imprudence » de ne pas surveiller, toute pièce rare qu'on lui donnait à >> admirer; comme il avait reçu parfois sa visite, il observait » ses doigts et surtout ses longues oreilles qui se mettaient » à rougir au vif de la tentation; c'était un symptôme infail>> lible.

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» Jamais je n'ai plus vivement regretté de n'être pas »> numismate, mais mon ignorance ne découragea pas la » complaisance du père Chapet, j'admirai de confiance les >> fleurs de coin, les belles patines, les médailles gouailleuses » et certaines légendes qui le ravissaient. L'entends-tu s'ex»tasier sur celle-ci : Imperia signata, souvenir des grands

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