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La lutte existait alors dans toute sa vigueur. Elle était surtout conduite et soutenue par la plus jeune des religieuses, sœur Marie de la Fouge, habilement dirigée par M. Douhèret, notaire à Charolles. Pour mieux réussir à vaincre cette résistance dont elle était l'âme, Marie de la Fouge fut exilée au monastère d'Iseure. C'est de ce lieu de son exil qu'elle ne craignit pas d'adresser, le 1er janvier 1763, à M. de Gouvenain, subdélégué à Charolles, la lettre suivante: «Si les oppositions que ma maison forme à sa destruction ont un heureux succès, ce sera à Dieu à qui j'en rendray des actions de grâces. Notre principe est fondé sur la raison et la justice, et c'est ce qui me soutient dans mon exil. J'y suis dans l'inaction, étant inconnue et ne connoissant personne. La pitié seule a conduit M. Douhèret jusqu'icy, mais l'ambition ne peut s'éfaroucher de son voyage; il n'en avoit point, et jamais je ne luy en ay connue que de l'équité. Il seroit bien heureux pour nous que tous ceux à qui nous avons eu affaire eussent remply les devoirs de la religion et de la justice avec autant d'exactitude que luy. Je suis d'ailleurs persuadée que si M. le chancelier étoit au fait de la violence que l'on exerce contre nous, qu'il se rendroit notre défenseur. Le roy ne viole point le droit des gens. Mais Dieu dominant sur tout, j'ay mis ma confiance en luy. Sa sainte volonté soit la règle de la mienne. Je souffre persécution pour la justice, mais j'ay un bon garant. » Le subdélégué envoya cette lettre à l'intendant de la province, M. Dufour de Villeneuve, qui la transmit à l'évêque avec l'expression de son indignation: « Je viens d'écrire à mon subdélégué à Charolles pour qu'il fasse au notaire de cette ville, qui traverse les opérations nécessaires pour la suppression du monastère de Champchanoux, la réprimande la plus vive, et qu'il le menace des ordres du roy pour le faire enfermer. Il faudra en effet avoir recours à cette voye s'il ne se comporte pas mieux à l'avenir. Je ne suis point étonné, Monseigneur, des obstacles que vous rencontrez pour par

TOME XI.

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venir à la suppression de ce monastère. Vous jugerez du caractère de madame de la Fouge par la copie de la lettre qu'elle a écrite à mon subdélégué et que je joins icy. En vérité, elle seroit bonne à reléguer dans quelque monastère situé au fond d'une province étrangère et dont la supérieure méritât votre confiance. » Voilà bien le langage de tous les pouvoirs arbitraires : la menace, qui ne l'a entendue siffler à ses oreilles? la violence, qui ne l'a subie? Pendant ces débats, une nouvelle prieure fut donnée au monastère.

MAGDELEINE-FÉLICITÉ DE BOUILLÉ, religieuse à l'abbaye de Chelles, nommée au prieuré de Champchanoux, dont elle fut la dernière titulaire, prit possession par procureur le 25 août 1763.

Intimidées par l'exil de Marie de la Fouge, exposées à un sort semblable, les religieuses, presque octogénaires, se résignèrent à la soumission. Par acte capitulaire du 30 septembre 1763, elles déclarèrent se désister de leur opposition à l'exécution de l'arrêt du 23 janvier 1762 et à toutes autres. Le 22 décembre suivant, elles adressèrent à l'évêque une humble supplique pour conjurer la dispersion dont elles étaient menacées, disant « que par un mouvement de zèle pour la conservation de leur communauté, elles crurent pouvoir s'opposer à l'arrêt du conseil, du 23 janvier 1762, qui en ordonne la suppression; qu'elles ignoroient entièrement les raisons supérieures qui en ont été le motif; qu'elles craignoient même que leur disgrâce ne fût le fruit de quelque calomnie, et que, sous ce point de vue, l'intérêt pressant de leur honneur se trouvant notablement lézé, elles se flattoient, en justifiant leur conduite, de trouver, dans la bonté du Roi et de Votre Grandeur, une ressource certaine contre l'exécution dudit arrêt; que ce ne fut qu'en conséquence de ces idées qu'elles ozèrent réclamer contre l'arrêt et tout ce qui s'étoit fait ensuite. Néanmoins, désabusées du depuis et rassurées sur ce qui pouvoit intéresser

leur honneur; bien informés que la volonté absolue du roi et de Votre Grandeur est d'anéantir leur communauté pour des raisons qu'il ne leur est pas permis d'examiner ni de contredire; jalouses de donner des preuves de leur soumission parfaite à des ordres si respectables, elles ont solennellement révoqué, par une délibération capitulaire en forme, du 30 septembre, et de nouveau révoquent unanimement, sans y être induittes par aucune force, suggestion ni contrainte, l'acte de leur opposition audit arrêt; ont consenti et consentent à l'extinction de leur communauté aux termes de l'arrêt, en un mot se soumettent entièrement et sans restriction aux ordres de S. M. et de V. G. Appuyées sur ces preuves de leur soumission et sur la connoissance qu'elles ont de la bonté de votre cœur, elles ozent vous demander' avec confiance, Monseigneur, que vous veuillés leur permettre seulement de finir leurs jours dans la maison dudit prieuré, à Toulon, sous la pension qu'il vous plaira de leur fixer leur grand âge, leurs infirmités rendroient leur changement très difficile; elles seroient certainement beaucoup à charge dans quelque maison qu'on les transportât, et les incommodités qu'elles y causeroient, retombant sur ellesmêmes, rendroient leur situation plus pénible. Elles conjurent V. G. de leur épargner ce surcroit de disgrâce. »

Qu'advint-il de cette touchante prière? Les pauvres suppliantes obtinrent-elles la consolation de finir leurs derniers jours dans l'asile qu'elles avaient choisi, ou leur fallut-il, au déclin de la vie, quitter tristement les lieux où s'était écoulée leur existence? Il y a lieu de croire que leur soumission fit abandonner la menace de dispersion et qu'elles furent autorisées à attendre en paix la fin d'une vie que leur grand âge ne pouvait rendre encore bien longue. Il fallait donc que la mort ait fait son office pour que les revenus du prieuré, devenus libres, pussent recevoir la destination projetée. En attendant, Magdeleine de Bouillé, qui avait été invitée à prolonger sa résidence à Chelles, ayant obtenu la permission

de prendre possession personnelle et de se faire installer dans son bénéfice, se rendit, le 20 août 1767, au prieuré de Champchanoux où elle trouva encore six religieuses survivantes. Sur la demande de M. de Marbeuf, évêque d'Autun, elle s'en éloigna bientôt, après avoir rendu les derniers devoirs à Éléonore de Vallerot de Beaudésir, qui mourut pendant son séjour. Elle s'y établit de nouveau, au mois de mai 1768, et y séjourna jusqu'au 30 septembre suivant. A l'époque de son départ, qui ne devait plus être suivi d'aucun retour, une seule religieuse, Louise de Grandchamp, habitait encore le monastère : la plupart étaient mortes ou dispersées et Marie de la Fouge expiait, dans son exil d'Iseure, l'amour qu'elle avait eu pour sa maison et l'ardeur qu'elle avait apportée à la défendre 1. Magdeleine de Bouillé se retira à Meaux, près de sa sœur, l'abbesse de NotreDame, pourvue d'une pension de 3,000 livres sur les revenus de son bénéfice, à la charge d'une retenue de 500 livres pour l'entretien de Louise de Grandchamp qui jouissait en outre des bâtiments et de l'enclos.

Ces conditions furent observées jusqu'en 1776. A cette époque, Magdeleine de Bouillé se sentit prise du désir subit de se fixer dans son monastère pour y faire refleurir la conventualité. Elle adressa donc un ample mémoire à la Commission des Réguliers pour solliciter le rétablissement du prieuré dans son ancien état. S'appuyant sur les traditions qui avaient cours dans la maison, elle exposait que le prieuré avait été fondé par un duc de Bourgogne pour recevoir douze religieuses nobles et que le nombre de douze, fixé par le fondateur, a toujours été rempli; que l'acquittement des dettes de la communauté ne laisse plus subsister aucune des causes qui avaient motivé la lettre de cachet de 1737 et l'arrêt de 1762; que le revenu peut facilement atteindre la

1. Marie de la Fouge était encore confinée au monastère d'Iscure en 1777. La mort seule lui en ouvrit sans doute les portes.

somme de dix à douze mille livres, bien suffisante pour entretenir douze religieuses; que le rétablissement du prieuré sera très utile à la noblesse de Bourgogne, parce que « les jeunes filles qui voudroient faire des vœux y trouveront une retraite honorable et de l'agrément »; aux ouvriers du pays, qui y trouveront un travail assuré; aux pauvres, qui y recevront d'abondantes aumônes; aux habitants de Toulon, dont les filles pourront recevoir l'éducation comme avant l'arrêt de 1762. « Si la dame de Bouillé, conclut ce mémoire, consultoit son repos et l'agrément de sa vie, elle devroit souhaiter de rester dans l'état où elle est, puisqu'elle jouit, sans peine et sans soins, d'une pension honnête. Mais elle aspire au rétablissement de son prieuré afin de procurer aux filles de condition un asyle utile à leur salut et aux jeunes filles du canton les instructions dont elles sont privées. Ces motifs tendent à la gloire du Maître de l'univers, à l'utilité publique et à satisfaire aux vues du fondateur. »

Cette phraséologie pompeuse manquait un peu de sincérité. La Commission des Réguliers, on le sait, avait été instituée pour un tout autre objet que le rétablissement des monastères supprimés, et, d'autre part, la prieure eût été peut-être bien embarrassée d'obtenir gain de cause. En réalité, Magdeleine de Bouillé aspirait surtout au paiement de ses dettes, qui étaient assez considérables, et à l'élévation de sa pension au chiffre de 4,000 livres. La mise au jour de tous ces beaux projets avait surtout pour but de créer une diversion favorable à ses désirs et de lui procurer plus aisément ce double avantage qu'elle sollicitait vivement, au moyen de lettres et de démarches incessantes. Aussitôt qu'elle l'eut obtenu, il ne fut plus question de rien de tout cela la gloire du « maître de l'univers » s'évanouit en fumée, l'utilité publique dut se montrer satisfaite et la prieure s'empressa de donner son adhésion à l'extinction de son monastère.

La jurisprudence, alors en usage en cette matière, exigeait

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