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aussi l'avis des habitants des lieux. Consultés sur l'extinction projetée, les habitants de Toulon, qui avaient été très favorables à l'établissement du monastère, se montrèrent conséquents avec eux-mêmes en repoussant hautement sa suppression. Par trois délibérations des 30 novembre 1755, 20 janvier 1759 et 11 juillet 1762, ils s'étaient prononcés vivement en faveur de la conservation du prieuré. Chaque fois qu'ils avaient eu l'occasion de faire entendre leur voix, ils s'étaient trouvés unanimes à demander le maintien d'une maison dont ils appréciaient les services. Mis de nouveau en demeure, par exploit du 9 mars 1776, d'exprimer leur sentiment à cet égard, ils persévérèrent dans leurs conclusions précédentes. Réunis le 8 avril suivant, sous la présidence de Philippe Saclier, maire, Louis Verneret, échevin de la communauté « rière le Charollais », et Claude Monbrau, échevin « rière Bourgogne », ils apportèrent quatre raisons principales à l'appui de leur opinion.

Le premier motif concerne l'éducation des filles : « En effet, on confioit avec complaisance les jeunes personnes aux soins vigilants et empressés des religieuses de Champchanoux qui leur donnoient des leçons utiles et précieuses qu'il faut aujourd'hui aller chercher à grands frais dans les villes voisines, ce qui devient très onéreux aux pères de famille, même à ceux qui sont le moins chargés d'enfans, parce qu'il n'y a presque point de particuliers en cette ville en état de supporter cette dépense, qui étoit très modique pour les habitans lorsque leurs filles recevoient cette éducation sur les lieux. » Le second est tiré de la nécessité d'avoir une troisième messe à Toulon, « soit à cause du peu d'étendue de l'église paroissiale, soit à cause des habitans des paroisses voisines qui affluent ici et y assistent aux offices divins, soit à cause des convalescents, voyageurs et autres. » Le troisième est inspiré par la bienfaisance du prieuré et par les aumônes qu'il distribuait autour de lui: « Il est certain que cette maison répandoit d'utiles aumônes en cette ville. Les

pauvres, qui y sont très nombreux, trouvoient des secours dans la bienfaisance de ces religieuses qui vivoient fort sobrement. Depuis que cette ressource a été enlevée aux pauvres, le nombre s'en est multiplié et il augmente journellement. L'on en compte plus de six cents dans cette ville, et malheureusement les ressources manquent jusqu'à présent pour occuper ceux qui sont valides : n'ayant dans cette ville nuls attraits pour y fixer des gens riches afin de soulager ces malheureux, en sorte que les habitans en sont surchargés, surtout depuis que le prieuré de Champchanoux n'y répand plus aucunes aumônes. » Le dernier est la perte qu'éprouve la ville en étant privée de la consommation et du travail dont la présence des religieuses était la source : « Ces revenus, répandus sur les lieux mêmes, circuloient entre les mains des journaliers, artisans, ouvriers et marchands en tout genre; le bourgeois même, comme propriétaire de biens fonds, débitoit mieux ses danrées, et les pauvres participoient assez bien au soulagement du peu de gens aisés qui habitent cette ville. Cette consommation, quoique peu considérable pour les autres villes, est un objet précieux pour celle-cy. Les impôts royaux et les charges locales ont plus que doublé, et ils sont devenus encore plus onéreux par la privation de la consommation de ces revenus, qui, par leur circulation, aidoient le peuple à se libérer envers l'État de sa dette de citoyen. » Ils concluent donc que « par toutes ces considérations, on ne peut douter de l'utilité de cette maison religieuse et de la perte considérable que cette petite ville souffriroit si ce monastère vient à être supprimé. »

L'instruction des ignorants, l'accroissement du service religieux, le soulagement des pauvres, l'utile répartition des fruits du travail, tel était le devoir chrétien et social que les monastères, fidèles à leur mission à la fin comme au commencement de leur existence, accomplissaient autour d'eux. Ces observations, présentées en 1776, par les habitants de Toulon, n'ont pas perdu toute leur actualité et elles peuvent

être encore invoquées aujourd'hui pour la défense des institutions monastiques.

Mais l'arrêt d'extinction, du 24 février 1775, qui mettait les habitants en face d'un fait consommé, ne laissait de place qu'à leurs regrets. Après les avoir exprimés ainsi, ils émettent le vœu, par la même délibération, qu'il soit donné aux revenus du prieuré une destination plus conforme à leurs propres intérêts. Ils proposent donc qu'il soit établi à Toulon un petit collège, pour l'instruction de la jeunesse, pourvu de quatre régents : l'un pour les classes de huitième et de septième; le second pour les classes de sixième et de cinquième; un autre pour celles de quatrième et de troisième; et la dernière place « seroit donnée à quelque habile maître d'écriture qui, avec les éléments de cet art, enseigneroit en même temps l'arithemétique et donneroit des leçons sur la langue françoise et sur l'histoire, si négligée dans la plupart des écoles. Beaucoup de petites villes ont de semblables institutions où elles réussissent parfaitement. » Ils ajoutent que l'enseignement serait donné gratuitement en prélevant sur les revenus du prieuré 800 livres pour chacun des régents des classes inférieures et 900 livres pour le régent des classes de quatrième et de troisième qui devrait appartenir à l'état ecclésiastique, pour remplir l'office du troisième prêtre dont l'utilité était reconnue. Ils proposent d'affecter 5,000 1. sur les revenus du prieuré pour l'entretien de ce collège dont l'administration appartiendrait à un bureau formé du maire, des échevins, du juge de Toulon, du procureur fiscal, du curé et de deux notables choisis parmi les habitants. Quant au surplus des revenus, ils en demandent l'affectation à l'hôpital dont les ressources ne dépassaient pas 1,100 livres : « et il est malheureusement trop certain que cette maison si utile en cette ville, ne suffit pas pour soulager le quart des pauvres malades malgré la plus économe administration, étant notoire que près de la moitié des habitans, par leur pauvreté sont réduits à demander des secours à la

moindre maladie. » Tels étaient les moyens proposés pour venir en aide à l'instruction de la jeunesse, au soulagement des pauvres, à la célébration du culte public, et satisfaire les besoins que la suppression du prieuré laissait en souffrance: << l'augmentation des revenus de l'hopital et le collège, disentils en terminant, dédommageront les habitans de la perte irréparable qu'ils essuieroient si les biens et revenus de la seule maison religieuse qui y soit établie étoient portés et consommés ailleurs. » Ce sage emploi des revenus leur tenait vivement au cœur et ils concluent en donnant mission au maire « de former opposition à l'union des biens dudit prieuré à tous autres établissements qu'à ceux du plan proposé.

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Toutes les espérances qu'avait fait naître la suppression du prieuré, tous les calculs dont ses biens étaient l'objet, devaient être trompés. A peine les procédures nécessaires à son extinction étaient-elles terminées, à peine le séminaire diocésain était-il mis en possession de ces ressources, destinées à distribuer des pensions aux prêtres âgés et infirmes, que le souffle révolutionnaire vint dissiper toutes ces combinaisons : la nation survint et mit tous les prétendants hors de cause. Les biens furent mis à la disposition des particuliers qui avaient les quelques louis ou les paquets d'assignats nécessaires pour en acquitter le prix les pauvres et les ignorants attendent encore les établissements cantonaux de secours et d'instruction dont la charité chrétienne avait, pendant dix siècles, préparé les éléments et que le contribuable sera toujours impuissant à susciter et à soutenir.

Magdeleine de Bouillé, qui de Meaux s'était retirée à l'abbaye de Préaux, survécut à ces évènements. En 1792, elle recevait encore la pension de 4,000 livres qui lui avait été attribuée sur les revenus de son bénéfice.

Avant de terminer, il convient d'apprécier, comme dans un inventaire après décès, les divers éléments qui formaient la dotation du prieuré. Elle comprenait, sur la paroisse de SaintEugène, les cinq domaines suivants, avec justice haute,,

moyenne et basse: celui de Champchanoux, qui s'ensemençait chaque année d'environ 50 boisseaux; celui de la Grange, d'égale valeur; celui du Bouley, de 40 boisseaux; celui de Bornay, donné au prieuré en 1312 1, de 28 boisseaux; celui des Champeaux, amodié seulement 180 livres en 1663, del 54 boisseaux; la dîme des quatre premiers, rendant 120 boisseaux par an; celle de Thély, alternative des paroisses de la Boulaye et de Toulon, valant 60 boisseaux; les locateries de Champchanoux et de Bois - Feuilloux, sur la paroisse de Saint-Eugène, et celles de la Loge-Noire et du Mont-Baraut, sur celle de Saint-Berain-sous-Sanvignes; les étangs dits l'Etang-Neuf, qui s'empoissonnait de deux milliers, de Vieux-Moulin, de 400, de Poilvillain, de 250, l'Étang-Carnaux, sur Saint-Berain, de 150, et ceux de Sanvignes, des Châteaux et des Champeaux, pour élever l'empoissonnement; un moulin dit le Moulin-Neuf, une vigne à Bornay, quelques rentes foncières, s'élevant au chiffre de 32 livres. Cet ensemble de domaines, pourvus d'un capital de bétail de 5,873 livres, était affermé au prix de 3,600 livres, par bail du 7 mars 1757. Le prieuré possédait en outre le domaine des Bidauts, sur la paroisse de Saint-Berain-sousSanvignes, qui s'ensemençait de 130 boisseaux; celui de la Tour-du-Soir, sur la paroisse de Toulon, de 32 boisseaux; celui de la Grange-Morambault, près de Rosière, de 50 boisseaux, pourvus ensemble d'un capital de 3,435 livres; l'étang au Lyon, au Grand-Bost, en la paroisse de Sanvignes, s'empoissonnant de 400, et ceux de Sezau, près Rosière, propres à élever l'alevin: le tout loué pour la somme de 1,000 livres, par bail du 3 janvier 1757; le Moulin-du-Soir, près Toulon, loué au prix de 250 livres. Le domaine de Pierre-Cervau ou du Petit-Champchanoux, affermé à Pierre Defosse, pour 180 livres en 1602; à Nicolas Benoît, pour 200 livres en 1641; au même, pour 170 livres en 1648; au même, pour 185 1.,

1. V. pièce V.

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