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infiniment parfait qu'ils connoissent, que ces païens croyoient devoir donner à une idée abstraite et confuse de l'ordre, de la justice et de la vertu ?

Platon dit souvent que l'amour du beau est tout le bien de l'homme; que l'homme ne peut être heureux en soi, et que ce qu'il y a de plus divin pour lui, c'est de sortir de soi par l'amour; et en effet le plaisir qu'on éprouve dans le transport des passions n'est qu'un effet de la pente de l'ame pour sortir de ses bornes étroites, et pour aimer hors d'elle le beau infini. Quand ce transport se termine au beau passager et trompeur qui reluit dans les créatures, c'est l'amour divin qui s'égare et qui est déplacé : c'est un trait divin en lui-même, mais qui porte à faux: ce qui est divin en soi, devient illusion et folie quand il tombe sur une vaine image du bien parfait, telle que l'être créé, qui n'est que l'ombre de PÊtre suprême; mais enfin cet amour qui préfère le parfait infini à soi est un mouvement divin et inspiré comme parle Platon. Cette impression est donnée à l'homme dès son origine. Sa perfection est tellement de sortir de soi par l'amour, qu'il yeut sans cesse persuader et aux autres et à soi-même qu'il aime, sans retour sur soi, les amis auxquels il s'attache. Cette idée est si forte, malgré l'amour-propre, qu'on auroit honte d'avouer qu'on n'aime personne, sans y mêler quelque motif intéressé (1). On ne déguise si subtilement tous les motifs d'amour-propre dans les amitiés, que pour s'épargner la honte de paroître se rechercher soi-même dans les autres. Rien n'est si odieux que cette idée d'un

(1) Mais qui est-ce qui sera choqué, si on lui dit qu'on l'aime parcequ'on trouve du bonheur et du plaisir à l'aimer?

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cœur toujours occupé de soi: rien ne nous flatte tant que certaines actions généreuses qui persuadent au monde et à nous que nous avons fait le bien pour l'amour du bien en lui-même sans nous y chercher. L'amour-propre même rend hommage à cette vertu désintéressée par les subtilités avec lesquelles il veut en prendre les apparences : tant il est vrai que l'homme, qui n'est point par lui-même, n'est pas fait pour se chercher, mais pour être uniquement à celui qui l'a fait ! Sa gloire et sa perfection sont de sortir de soi, de s'oublier, de se perdre, de s'abîmer dans l'amour simple du beau infini.

Cette pensée effraie l'homme amoureux de lui-mème et accoutumé à se faire le centre de tout. Cette pensée suffit seule pour faire frémir l'amour-propre, et pour révolter un orgueil secret et intime, qui rapporte toujours insensiblement à soi la fin à laquelle nous devons nous rapporter.

Mais cette idée qui nous étonne est le fondement de toute amitié et de toute justice. Nous ne pouvons ni accorder l'amour-propre avec cette idée, ni l'abandonner; elle est ce qu'il y a de plus divin en nous : on ne peut point dire que cette pensée n'est qu'une imagination creuse. Quand les hommes inventent des chimères, ils les inventent à plaisir et pour se flatter. Rien n'est moins naturel à l'homme injuste, vain et enivré d'orgueil, que de penser ainsi contre son amour-propre. Non seulement la pratique de cette pensée est un prodige de vertu au-dessus de l'homme, mais encore cette seule pensée est une merveille que nous devons être étonnés de trouver en nous. Ce ne peut être qu'un principe infiniment supérieur à nous qui ait pu nous en

seigner à nous élever ainsi entièrement au-dessus de nous-mêmes. Qui est-ce qui peut avoir donné à l'homme malade d'un excès d'amour-propre et d'idolâtrie de soimême, cette haute pensée de se compter pour rien, de devenir étranger à soi-même, de ne s'aimer plus que par charité, comme le prochain? Qui est-ce qui peut lui avoir appris à être jaloux de lui-même contre luimême, pour un autre objet invisible qui doit à jamais effacer le moi (1), et n'en laisser aucune trace ? Cette seule idée rend l'homme divin, elle l'inspire, elle met P'infini en lui,

J'avoue que les païens, qui ont tant loué la vertu désintéressée, la pratiquoient mal. Personne ne croit plus moi que que tout amour sans grace et hors de Dieu ne peut jamais être qu'un amour-propre déguisé. Il n'y a que l'Être infiniment parfait qui puisse, comme objet par son infinie perfection et comme cause par son infinie puissance, nous enlever hors de nous-mêmes, et nous faire préférer ce qui n'est pas nous à notre propre être. Je conviens que l'amour-propre se glorifioit vainement des apparences d'un pur amour chez les païens; mais enfin il s'en glorifioit: ceux même que leur orgueil dominoit le plus, étoient charmés de cette belle idée de la vertu et de l'amitié sans intérêt (2) ; ils la portoient au dedans d'eux-mêmes, et ils ne pouvoient ni l'effacer ni l'obscurcir; ils ne pouvoient ni la suivre ni la contre

(1) Ce moi ne sera parfaitement effacé que dans le ciel. On doit travailler à le contenir, mais il ne mourra qu'avec nous.

(2) Le sentiment qu'on éprouve en aimant n'est-il pas un plaisir! peut-il se séparer de l'amour? et si ce plaisir est un intérêt, est-il possible d'y renoncer, au moins habituellement, et de conserver l'amour.

dire. Des chrétiens la contrediront-ils ? Ne se contenteront-ils pas, comme les païens, de l'admirer sans la suivre fidèlement? La vanité même des païens sur cette vertu montre combien elle est excellente. Par exemple la louange que toute l'antiquité a donnée à Alceste eût porté à faux et seroit ridicule, s'il n'eût pas été réellement beau et vertueux à Alceste de mourir pour son époux ; sans ce principe fondamental son action eût été une fureur extravagante, un désespoir affreux. L'antiquité païenne toute entière décide autrement : elle dit avec Platon que ce qu'il y a de plus divin est de s'oublier pour ce qu'on aime (1).

Alceste est l'admiration des hommes pour avoir voulu mourir et n'être plus qu'une vaine ombre, afin de faire vivre celui qu'elle aime. Cet oubli de soi, ce sacrifice total de son être, cette perte de tout soi-même pour jamais est aux yeux de tous les païens ce qu'il y a de plus divin dans l'homme; c'est ce qui en fait un Dieu; c'est ce qui le fait presque arriver au terme.

Voilà l'idée de la vertu et de l'amitié pure, imprimée dans le cœur des hommes qui n'ont jamais connu la création, que l'amour-propre aveugloit, et qui étoient alié

nés de la vie de Dieu.

IV. Avis sur la prière et sur les principaux exercices

de piété.

I. L'EXCELLENTE prière n'est autre chose

que

l'a

mour de Dieu. L'excellence de cette prière ne consiste

(1) Mais ils trouvoient une sorte de plaisir à s'oublier ainsi ; ils espéroient de la gloire de cet acte de générosité.

pas dans la (1) multitude des paroles que nous prononçons; car Dieu connoît, sans avoir besoin de nos paroles, le fond de nos sentiments. La véritable demande est donc celle du cœur, et le cœur ne demande que par ses désirs. Prier est donc désirer, mais désirer ce que Dieu veut que nous désirions. Celui qui ne désire pas du fond du cœur fait une prière trompeuse. Quand il passeroit des journées entières à réciter des prières, ou à méditer, ou à s'exciter à des sentiments pieux, il ne prie point véritablement s'il ne désire pas ce qu'il demande.

II. O qu'il y a peu de gens qui prient! car où sont ceux qui désirent les véritables biens? Ces biens sont les croix extérieures et intérieures, l'humiliation, le renoncement à sa propre volonté, la mort à soi-même, le règne de Dieu sur les ruines de l'amour-propre ne point désirer ces choses, c'est ne prier point : pour prier il faut les désirer sérieusement, effectivement, constamment, et par rapport à tout le détail de la vie; autrement la prière n'est qu'une illusion semblable à un beau songe où un malheureux se réjouit, croyant posséder une félicité qui est bien loin de lui. Hélas! combien d'ames pleines d'elles-mêmes, et d'un désir imaginaire de perfection au milieu de toutes leurs imperfections volontaires, qui n'ont jamais prié de cette véritable prière du cœur ! Voilà le principe sur lequel saint Augustin disoit : Qui aime peu, prie peu ; qui aime beaucoup, prie beaucoup.

III. Au contraire on ne cesse point de prier quand on ne cesse jamais d'avoir le vrai amour et le vrai désir

(1) Matth. 6, v. 7.

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