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LE

LIVRE DU PAUVRE.

CHAPITRE PREMIER.

DU. PAUVRE EN GÉNÉRAL.

Bienheureux qui du pauvre a compris la misère !

DU PAUPERISME EN FRANCE.

C'est une triste tâche que de dresser la statistique des pauvres qui encombrent les grandes villes de l'Europe; et lors même qu'on se trompe sur le chiffre exact, en le diminuant il est encore trop élevé pour que le cœur ne saigne pas à la vue de ces misères, en songeant à cette foule presque incalculable d'êtres qui végètent, qui souffrent et qui meurent dans leurs greniers, sur le pavé de nos rues, ou dans les hôpitaux. Je ne m'occuperai pas de l'Angleterre ni de Londres (1), où le paupérisme est la grande plaie de l'État; de Londres, où la mendicité, complétement inconnue, force le

(1) Il a été déclaré, en Angleterre, que tout pauvre a droit d'être nourri par l'État, héritier des richesses des couvents. C'est en 1595, sous le règne d'Élisabeth, que la charité légale a reçu son organisation et sa forme régulière... Les hommes les plus sages, tout en rendant justice aux intentions du législateur, l'accusent d'erreur et d'imprévoyance.—La taxe, en 1817, s'est élevée à 200,000,000 de francs, et depuis elle a encore augmenté.

Avant 1834, à peine se préoccupait-on de loin en loin de quelque incident extraordinaire de charité légale.-Rapport de lord Ashley sur la distribution des secours nécessiteux en Angleterre. Jamais les douleurs humaines ne furent analysées d'une manière plus accablante. C'est d'après cette admirable enquête que, dans la dernière semaine de 1845, furent modifiées les lois sur les aliénés.

pays à nourrir presque avec luxe (1), dans leur domicile, jusqu'à cinquante mille individus par an (quatre millions dans toute l'Angleterre, à peu près le quart de sa population!); ni de l'Irlande, pays classique du pauvre, dont les incroyables souffrances, décrites par un observateur vraiment philanthrope, seraient incroyables si les débats des deux chambres ne les proclamaient chaque année (2); ni de l'Espagne, berceau de cette nation si brave et si dévouée, « de l'Espagne, féconde sous l'empire des Romains, noblement guerrière, brillante et peuplée aux temps chevaleresques des Abencerrages, de l'Espagne qui depuis rêva l'empire du monde, de l'Espagne qui se couvre aujourd'hui tout entière de mendiants; l'étudiant, le soldat invalide, l'enfant, le vieillard se réunissent dans une commune misère. L'arriero famelico espagnol, chargé de son escopette; le berger appuyé sur sa longue carabine, sont comme à l'affût de l'aumône. » (Le prince de MONACO, dans son ouvrage récent sur le Paupérisme.) Je laisse l'Italie, et Rome en particulier, où la charité chrétienne, indulgente, aveugle parfois, alimente et encourage peut-être la mendicité; Rome, où tant d'établissements de bienfaisance ont été fondés, comme il convenait de le faire dans la ville où fut placé le siége d'une religion qui ne prêche que l'amour du pauvre et des malades, le soulagement de la veuve et de l'orphelin. Je n'ai point à parler non plus en détail de l'Allemagne, où le nombre des indigents est modéré,

(4) n'est pas rare de voir une famille anglaise inscrite sur le registre des pauvres de la paroisse, assise autour d'une table couverte de linge blanc et d'une nourriture abondante !

(2) Charité anglaise, charité avilissante, confiée à l'aristocratie anglaise et, par conséquent, mauvaise jusqu'à la seconde moitié du dernier siècle. La misère publique croît en Irlande dans des proportions effrayantes. Les émeutes se renouvellent chaque jour devant les portes des boulangers. Une pétition, signée par 40,000 personnes, a été remise au chancelier de l'échiquier (septembre 1846). (Voir à la fin de ce chapitre l'article du Paupérisme en Irlande.)

ni des vastes états de la Russie, où l'esclavage subsiste encore, et où il n'y a guère de pauvres que les serfs (1); ni des cantons suisses, où l'administration, qui connaît presque chaque individu, est toute paternelle, et où chaque commune veille attentivement au bien-être de ceux qui la composent. Dans un pays si riche et si industriel, placé au centre de l'Europe, dans un pays qui possède un sol si fécond et si productif, 800,000 Belges sont réduits à la famine et à se nourrir d'auniônes, de vols, et d'aliments que refuseraient les animaux.

On a proposé, pour remédier au paupérisme qui ronge les Flandres, de défricher les landes de la Campine et du Luxembourg; mais il est aujourd'hui reconnu que cette entreprise est impossible, et qu'elle ne remplirait pas le but qu'on veut atteindre, quand même on pourrait l'accomplir.

Les fermiers, dans le district de Thielt (Flandre occidentale) sont aux abois; ils sont obligés de faire garder leurs champs nuit et jour, sans quoi tout leur serait volé.

Quand nous étions à Gand (septembre 1846), nous avons vu de nos yeux la mendicité la plus hideuse. A chaque porte d'église nous rencontrions des femmes au teint hâve, coiffées d'un bonnet sale, les jambes nues et le corps couvert d'une grande cape noire, qui sollicitaient l'aumône des voyageurs et la recevaient avec avidité.

Dans les États-Unis point de pauvres; les bras ne suffisent pas dans ce pays jeune et fertile.

« La taxe des pauvres n'a point encore produit aux ÉtatsUnis les mêmes maux qu'en Angleterre. L'Amérique ayant un très-petit nombre de pauvres, la charge du paupérisme y est jusqu'à présent supportée avec peine. Il y a cependant des vices si inhérents à cette institution, que, malgré le bien-être général de ses habitants, malgré l'élévation du prix de la main

(1) On ne compte, sur la population de cet empire, qu'un dixième de

pauvres.

d'œuvre, l'État de New-York a eu, pendant la seule année de 1830, 151,500 pauvres à nourrir, dont l'entretien a coûté 1,147,655 fr., -69 centimes par habitant.

» Dans le Maryland on a suivi un principe différent de bienfaisance publique. Il y a des établissements institués pour donner asile aux pauvres sans travail, et un grand nombre y sont admis. >>

J'arrive à ce qui nous touche plus particulièrement, à la France et à Paris (1); et sans recourir à des époques éloignées de notre histoire, alors que la ville, sans police, était encombrée de truands effrontés (2), alors que les mendiants armés parcouraient, dévastaient la campagne, et forçaient le prince à leur déclarer une guerre véritable; j'arrive à l'an 1552. Lorsque Henri II vint au parlement tenir son lit de justice, l'avocat-général Séguier, dont le descendant est aujourd'hui à la tête de la Cour royale de Paris, dit au prince : « que la ville » de Paris contenait huit à neuf mille pauvres (3); que plu>> sieurs d'entre eux étaient privés d'aumônes, parce que les >> riches qui s'étaient engagés à fournir quelques petites som» mes refusaient de les payer.»

Pendant le siége de Paris par Henri IV, les chefs de la Ligue, craignant que le peuple affamé ne demandât à tout prix la paix au roi, firent vendre leur vaisselle d'argent et jeter des pièces de monnaie dans les rues; mais les pauvres dédaignèrent ce secours : « C'est du pain qu'il nous faut,» s'écriaient-ils. Le 25 juin, il fut arrêté que les communautés religieuses seraient tenues de nourrir les indigents, et c'était

(1) Voir, à la fin de ce chapitre, ce qu'est la pauvreté en Angleterre, etc.

(2) Il faut lire dans les mémoires du temps de Louis XI, pour comprendre à quelles orgies les nombreux mendiants se livraient sans pudeur et sans crainte, épouvantant la population de cette partie de la capitale et faisant reculer devant leur ignoble multitude les cavaliers du guet.

(3) La population de la capitale, à cette époque, se montait à deux cent mille individus.

sagement ordonné, car presque toutes ces maisons étaient abondamment pourvues de toutes choses. L'une d'elles, que nous nous abstenons de nommer, s'étant refusée à la visite générale qui devait être faite pour constater les provisions de chaque maison religieuse, le prévôt des marchands s'en indigna, et dit au recteur : « Votre refus n'est ni civil (d'un bon citoyen), » ni chrétien; votre vie est-elle de plus grand prix que la » nôtre? »>

Le recensement des pauvres à cette époque prouva qu'ils étaient au nombre de treize mille trois cents, dont sept mille trois cents avaient reçu de l'argent pour pouvoir se procurer du pain. Toutes les ressources étant épuisées, quelques malheureux, pendant la nuit, se glissèrent dans les fossés, allèrent se jeter aux pieds du roi, et lui demandèrent du pain et la permission de laisser sortir de la ville, qu'il tenait assiégée, les habitants qui souffraient le plus de la disette: le prince attendri permit à trois mille d'en sortir (1).

Sous Louis XIV les pauvres, le chapeau à la main, couraient, pour obtenir des aumônes, au-devant de la portière des magnifiques carrosses qui se dirigeaient rapidement du côté du Louvre (2). Sous Louis XV on comptait à Paris jusqu'à vingt-sept et trente mille pauvres. Aujourd'hui que la population de la capitale s'élève à plus d'un million, le chiffre s'élève à quatre-vingt-sept mille indigents, et dans ce nombre

(1) On sait que ce roi, à qui l'on disputait la couronne, permit à ses officiers d'envoyer des rafraîchissements à leurs anciens amis (et aux dames, dit Mézeray). Les soldats en faisaient autant. Le roi eut la générosité de laisser sortir de Paris presque tous ceux qui se présentaient. (VOLTAIRE, notes de la Henriade, ch. x.)

(2) J'ai vu des gravures, publiées à cette époque et postérieurement, où des mendiants s'approchent, dans leur misérable costume, des somptueux équipages du roi. Dans presque toutes les planches qui représentent des châteaux royaux ou des places publiques, il y avait autrefois le pauvre et le boiteux obligé. Depuis que la mendicité s'éteint, cette image honteuse pour la société qu'elle contriste n'est plus dans nos mœurs et disparaît peu à peu.

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