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pour la production, et, dans de certaines limites, pour la consommation, mais légitimant l'isolement de la vie intime, il voulait une communauté forcée, égalitaire, impossible parce qu'elle est contre nature, et qu'on ne chasse pas la nature à coups de fourche. Ainsi, le Pélagianisme, dès le cinquième siècle de l'ère chrétienne; ainsi, plus tard, les Vaudois et les Albigeois, les Lollards et les Hussites, luttèrent tour à tour pour relier le faisceau de la fraternité humaine, toujours rompu parce qu'on voulait trop le serrer, comme il est rompu aujourd'hui, parce qu'on a voulu, par un excès contraire, constituer la société moderne sur l'égoïsme, l'individualisme, le chacun chez soi, chacun pour soi; bientôt en effet, en analysant les travaux des socialistes du dix-neuvième siècle, nous reconnaîtrons en eux les protestants modernes contre cet autre excès, les uns au profit de l'association, les autres au point de vue du communisme,

Nous pourrions sans sortir de notre sujet citer les Quakers encore et quelques autres sectes. Qui n'a lu les merveilles de la Pensylvanie? L'œuvre de Guillaume Penn ne rencontra pas de détracteurs; et si l'on a ri de quelques coutumes bizarres, la pureté de leur vie, leur loyauté, leur amour du travail n'ont rencontré que des panégyristes.

Par un phénomène étrange et qui tendrait à conclure contre nos sociétés incomplètes, on a vu toujours et partout les sauvages, en Amérique comme en Afrique, comme dans l'Océanie, lutter, reculer jusqu'à la mort devant la civilisation, s'éteindre et disparaître plutôt que de se rallier à elle. Et cependant on vit des sauvages se soumettre à Guillaume Penn, et lui demander de les recevoir au nombre de ses vassaux. Il fallait que l'association fraternelle que venait de fonder le célèbre Quaker, répondît à quelques besoins profondément sentis de la nature humaine pour que ce fait anormal se manifestât,

Je ne dirai rien des Tunkers et des Shakers, colonies religieuses et agricoles qui ressemblent par beaucoup de points aux Quakers, mais qui convergeant vers la communauté plutôt que vers l'association, ne rentrent pas dans notre sujet. D'ailleurs le temps nous presse, et j'ai hâte d'arriver aux théories de ceux qui ont précédé les réformateurs de notre siècle.

CHAPITRE IV.

RÉFORMATEURS DU MOYEN AGE JUSQU'AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

Thomas Morus, Campanella, Morelly, Mably, Babœuf, Rousseau, Linguet, Necker, Brissot, Faiguet.

Souvent on croit hors des gonds de la raison

ce qui n'est que hors de coutume.

MONTAIGNE.

L'homme est l'ombre d'un songe, et son
uvre est son ombre.

Mademoiselle de GOURNAY.

L'Utopie, de Thomas Morus, est restée comme type et nom générique de toutes les théories qui n'ont pu passer dans le domaine des faits. Il faut le reconnaître, le célèbre chancelier de Henri VIII est communiste. Son organisation est basée sur l'agriculture: « Mettez, dit-il, un frein à l'avare égoïsme des riches; ôtez-leur le droit d'accaparement et de monopole. Qu'il n'y ait plus d'oisifs parmi vous. Donnez à l'agriculture un plus grand développement; créez d'autres branches d'industrie où vienne s'occuper utilement cette foule d'hommes oisifs, dont la misère a fait jusqu'à présent ou des vagabonds ou des valets, qui finissent par être à peu près tous des voleurs. Si vous ne portez remède aux maux que je vous signale, ne me vantez pas votre justice, elle n'est qu'un mensonge spécieux. Vous abandonnez des milliers d'enfants aux ravages d'une éducation vicieuse et immorale. La corruption flétrit sous vos yeux ces jeunes plantes qui pouvaient fleurir pour la vertu, et vous les frappez de mort quand, devenus des hommes, ils commettent les crimes qui germaient dès le berceau dans leurs cœurs. Vous faites des voleurs pour avoir le plaisir de les pendre! >

L'île d'Utopie a pour capitale la vaste cité d'Amaurote; elle compte de plus cinquante-quatre grandes villes entre lesquelles le territoire a été partagé. De vastes établissements agricoles, garnis de tous les instruments aratoires, sont répandus dans la campagne. Ces colonies comptent un personnel de quarante individus au moins, des deux sexes; et, par une bizarre inconséquence, l'auteur conserve l'esclavage antique et accorde deux esclaves à ces quarante individus. Les professions industrielles, scientifiques et artistiques sont laissées à la vocation et au choix de chacun; mais tous doivent le service agricole, comme aujourd'hui l'on doit le service militaire. Les enfants étudient dans les écoles la théorie de l'agriculture, et dans les campagnes voisines ils en apprennent la pratique. Chaque année une partie des cultivateurs est remplacée par de nouveaux colons, qui reçoivent de ceux qui ont déjà passé une année aux champs l'éducation qu'ils rendront l'année suivante aux travailleurs agricoles récemment enrôlés.

« Ainsi donc la subsistance publique n'a rien à craindre de l'impéritie des citoyens chargés de l'entretenir. De plus, ce renouvellement a pour but de ne pas user trop longtemps la vie des citoyens dans les travaux matériels et pénibles. >>

Lorsqu'arrive le temps des grands travaux des champs, les chefs des familles agricoles font connaître aux magistrats des villes le nombre des travailleurs extraordinaires dont ils ont besoin. Une troupe de travailleurs arrive, et, si le temps est favorable, la cueillette se fait dans le délai le plus rapide.

Si l'oisiveté est inconnue en Utopie, il faut dire que le fardeau du travail y pèse d'un poids léger. Il se compose de deux séances par jour, de trois heures chacune 1. Le reste du temps est consacré au travail individuel, à la cul

Suivant Franklin, il suffirait que chacun se livrât à trois heures de travail utile et bien fait pour que l'abondance régnât sur la terre.

ture des sciences et des arts, aux cours publics, aux distractions dans les jardins et les salles communes. On y jouit du suffrage universel. Chaque famille se choisit un chef qui concourt à l'élection d'un magistrat nommé syphogrante ou philarque, qui commande à trente familles. Dix de ceux-ci obéissent à un protophilarque ou tranibore, et ces derniers choisissent le roi entre quatre candidats désignés par le peuple. La royauté est à vie, mais non héréditaire.

Thomas Morus se garde bien de toucher à la famille et à la monogamie. Cependant il autorise le divorce dans certains cas.

Des salles particulières sont destinées aux enfants. On y trouve de l'eau, du feu, des berceaux, de sorte qu'ils peuvent être tenus avec la plus minutieuse propreté sans avoir jamais à souffrir du froid. Les mères, autant que possible, allaitent elles-mêmes leurs enfants. D'autres salles reçoivent ceux qui, quoique sevrés, n'ont pas encore cinq ans accomplis. Encore la crèche et l'asile !

Imprimée à Louvain, en 1516, l'Utopie eut cette bonne fortune inattendue d'être accueillie avec enthousiasme. Tous y applaudirent, les grands comme les petits, les savants comme le vulgaire, le soupçonneux Henri VIII comme le docte Erasme.

Dans ce livre, dont l'apparition précéda d'une année les prédications du fougueux Luther, Th. Morus prêché avec une admirable éloquence le dogme de la tolérance et de la liberté religieuse. Il n'a pas fallu moins de trois siècles de guerres horribles pour faire de ce lambeau de l'Utopie de

Morus une vérité.

Mais s'il était sur ce point et sur bien d'autres singuliès rement en avant de son siècle, il s'y rattache par d'autres doctrines qui sentent le contemporain de Macchiavelli et de César Borgia. Ainsi, lorsque les Utopiens étaient en guerre avec un peuple voisin, ils mettaient à prix la tête

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