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que moyen de les contenir dans les bornes d'une sage économie, et de leur épargner une infinité de sollicitudes et de chagrins, qu'il est moralement impossible d'éviter dans l'état de désolation où les hommes ont vécu jusqu'à pré

sent. "

CHAPITRE V.

LA COMMUNAUTÉ ET L'ASSOCIATION DANS L'ANTIQUITÉ.

Lois de Manou. La Grèce. Minos, Lycurgue, Platon, Aristote, Pythagore.
Rome. L'Ager privatus et l'Ager publicus. La Judée. Lois de Dieu.
Le jubilé. Les Esséniens.

L'ignorance et la barbarie de nos pères, lola d'être une règle pour nous, n'est qu'un avertissement de faire ce qu'ils feraient s'ils étaient en notre place avec nos lumières.

VOLTAIRE.

Nous sommes arrivés aux réformateurs du dix-neuvième siècle. Mais cette partie exigera quelques développements, et, pour en finir avec le passé, je veux analyser trèsrapidement ce que l'antiquité peut nous offrir qui se rapporte à l'objet de nos recherches. Plusieurs motifs m'engagent à être très-bref sur cette partie. La tradition mosaïque exceptée, le dogme apporté par Jésus-Christ fait une scission presque complète avec les diverses religions des peuples anciens. Toutes étaient basées sur l'esclavage et l'exploitation de l'homme par l'homme. Jésus-Christ apporta au monde le dogme éternellement sublime de la liberté, de l'égalité, de la fraternité. Ce qui s'est fait avant lui n'a donc plus qu'un intérêt de curiosité, et ne peut guère servir d'étalon et de mètre pour ce qui s'est fait depuis, pour ce qu'il s'agit de fonder à cette heure.

Les lois de Manou sont les plus anciennes que nous connaissions. Voici ce qu'elles disent : « Le Brahmane est le seigneur de tout ce qui existe; tout ce que ce monde renferme est sa propriété; c'est par sa générosité que les autres hommes jouissent des biens de ce monde. » (Liv, VIII,

st. 37; liv. I, st. 100; liv. VIII, st. 416). Avec de pareilles lois, on fait des castes, et non des associations. Aussi y a-t-il bien au-dessous des Brahmanes trois autres castes: celle des guerriers, celle des laboureurs, celle des artisans. C'est, au profit de la caste religieuse, du communisme basé sur l'esclavage; ce n'est pas, ce ne peut pas être de l'association.

Minos est un très-illustre législateur, sans contredit, et je ne prétends point contester sa gloire tant de fois séculaire. Mais tout est relatif. Il se peut qu'il faille tout autant de génie pour sculpter ces images informes que nous ont léguées les peuples barbares, que pour animer les groupes de David et de Pradier. Toutes ces vieilles lois et toutes ces vieilles pierres n'en sont pas moins, d'une manière absolue, des œuvres fort grossières. Minos avait réalisé la communauté. Les esclaves de l'île de Crète, les Periœces, étaient chargés de la culture des terres. Ils payaient directement au trésor public leurs redevances en grains, argent et bestiaux. Le culte des dieux et les charges communes absorbaient une partie de ces redevances; une autre défrayait les repas publics; une autre entretenait dans la paresse hommes, femmes et enfants.

Les travailleurs de l'agriculture étaient donc réunis, ils n'étaient pas associés. C'étaient des troupeaux humains, non des groupes de travailleurs. Ils n'étaient pas plus associés avec leurs maîtres qu'entre eux, puisqu'ils n'avaient nul droit acquis sur les produits qu'ils créaient. Les mœurs étaient d'un suprême décolleté, le divorce était permis, les amours les plus infâmes étaient autorisées.

Tels sont le plus souvent ces vertueux anciens dans le respect et l'admiration desquels l'Université élève notre enfance, sauf plus tard à condamner en nous, à l'égal de crimes sociaux, les principes que l'on s'est donné tant de peine à nous apprendre.

Les célèbres lois de Lycurgue ne valent guère mieux.

Nous y retrouvons le travail agricole abandonné aux esclaves, aux ilotes. Ceux-ci étaient plus maltraités encore que les esclaves ne l'étaient en Crète. Lycurgue avait mis en pratique la loi agraire; il avait divisé le sol entre tous les citoyens qui l'affermaient aux ilotes. Il y avait encore là bien plus d'impossibilité de faire de l'association. La réalisation de la loi agraire était combinée avec le communisme, puisqu'une partie des revenus du travail agricole était mise en commun pour les repas publics.

Quant à la famille, on sait quels moyens radicaux avait employés Lycurgue pour extirper la peste de la jalousie : c'était un haras humain; l'époux qui doutait de soi présentait à sa femme le beau jeune homme dont il voulait avoir de la race; si le produit n'était pas satisfaisant, on s'en défaisait à sa naissance, mettant ainsi en pratique les odieuses prescriptions que l'économisme frappé de vertige devait de nos jours ériger en théories.

On voit que nous n'avons rien à emprunter aux ruines de Sparte pour élever l'édifice moderne.

On avait sous Louis XIV un profond respect pour l'antiquité; aussi le sévère Bossuet se contente-t-il, dans son Histoire universelle, de dire en parlant de Lycurgue : « Il est repris d'avoir peu pourvu à la modestie des femmes. »

Chez les Thessaliens, les travaux agricoles étaient livrés également aux esclaves, aux pénestes, espèce d'esclaves volontaires dont la situation ressemblait assez à celle des mainmortables du moyen âge.

Ce qu'il y eut de mieux en Grèce, ce fut sans contredit la république irréalisée de Platon. Ce magnifique génie avait compris que le but de la vie était le développement complet de toutes les facultés humaines, et que la société la plus parfaite serait celle qui laisserait le plus de lati

tude à cette légitime expansion. Seulement, il ne croyait pas, et c'était son erreur, que cette expansion dût s'accomplir chez chaque individu; les facultés ne devaient pas s'exercer librement chez ceux dans lesquels elles se manifestaient, et il les avait personnifiées dans trois classes distinctes l'intelligence dans celle des magistrats, la volonté dans celle des guerriers, les sens dans celle des artisans. Il prétendait lier d'autant plus ces classes entre elles, que, pour se compléter, elles auraient plus besoin l'une de l'autre. Mais, emporté par la logique et la vérité, il proteste lui-même contre ce classement arbitraire de l'humanité ; « Vous êtes tous frères, mais le Dieu qui vous a formés a fait entrer l'or dans la composition de ceux qui sont propres à gouverner les autres; aussi sont-ils les plus précieux. Il a mêlé l'argent dans la formation des guerriers, le fer et l'airain dans celle des laboureurs et des artisans. Mais il pourra se faire qu'un citoyen de la race d'or ait un fils de la race d'argent, qu'un autre de la race d'argent engendre un fils de la race d'or, et que la même chose ait lieu à l'égard de la troisième race. »

L'homme, en effet, est un microcosme, un tout complet; il y a en lui volonté, force et puissance, tête, cœur et bras; et vouloir ne développer dans tels individus que l'une de ces facultés, c'est préparer la révolte et le désordre.

Quoi qu'il en soit, le travail agricole était le lot de la dernière, classe de citoyens, et de celle-là Platon daigne à peine s'occuper. Il ne s'explique guère nettement sur la question de l'appropriation du sol. Toutefois, comme il impose à la classe inférieure le devoir de fournir la nourriture aux guerriers et aux sages, il semble résulter de lå qu'il refuse aux deux classes supérieures le droit de posséder, et qu'il abandonne à la classe inférieure la possession du sol.

Ce philosophe ne s'est pas préoccupé principalement du côté économique de la question. Il ne comprit nulle

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