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beaucoup plaint, et à tort selon moi, de l'obscurité d'Aristote ni sa forme, ni sa pensée ne sont obscures; elles ne sont que profondes, et comme le dit Cicéron : Magna animi contentio adhibenda est in explicando Aristotele.

Ce qu'on peut reprocher avec le plus de raison au Stagirite, c'est d'avoir souvent exposé le pour et le contre avec tant d'impartialité et un sangfroid si philosophique, qu'on ignore plus d'une fois de quel côté lui-même se range. Ses études, comme il le dit (Politique, liv. II, chap. vi, $ 9), n'ont pour objet ni l'éloge, ni le blâme de qui que ce soit, et de fait, la seule chose peut-être qu'Aristote ait positivement condamnée dans son ouvrage, c'est la tyrannie.

Il est un dernier reproche qui s'adresse au caractère personnel d'Aristote, et qui, s'il était vrai, serait de nature à porter une grave atteinte à sa considération philosophique. C'est Bacon qui le premier l'a porté (De aug. scient., lib. III, cap. 1v), et Brucker l'a répété après lui (tome I, page 212): Aristotelem more Ottomanorum putavisse regnare se tutò haud posse nisi fratres suos omnes contrucidasset. Il faudrait s'étonner Bacon ait que pu lancer contre le philosophe grec une accusation aussi peu méritée que celle-là, si l'on ne savait quelle est son animosité contre Aristote, et en général contre

l'antiquité, qu'il méprisait sans la comprendre, ni même la connaître. Loin d'étouffer le souvenir de ses prédécesseurs, Aristote admit au contraire, comme nécessité de ses recherches et base de ses travaux, l'analyse et la discussion de leurs opinions. On en peut voir un bel exemple dans le second livre de la Politique, consacré tout entier à l'exposé et à l'examen des théories antérieures. Il était si loin de concevoir cette étroite et basse envie, qu'en politique, il se donnait la peine de publier l'analyse des Lois de Platon en trois livres, de la République en deux livres; en philosophie générale et en physique, le système d'Archytas en trois livres, de Pythagore, de Timée, de Speusippe, de Xénocrate, d'Alcméon, de Mélissus, de Gorgias, de Zénon 1. Qu'on demande à Meiners (Histoire des Arts et des Sciences, tome I, page 153) si nul auteur de l'antiquité, mieux qu'Aristote, nous a fait connaître les dogmes de l'école pythagoricienne? Il suffit de lire le premier livre de la Métaphysique 2, pour se convaincre qu'Aristote, loin d'assassiner ses devanciers, comme l'a dit Bacon, est le père de l'histoire de la philosophie. En un mot, jamais reproche ne tomba

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Voir Diogène de Laërte, pages 172 et suiv. Il nous reste encore l'un de ces traités.

2 Voir la traduction de M. Cousin, Paris, 1835.

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plus à faux que celui du baron de Verulam. Il n'aurait eu qu'à parcourir la table des œuvres d'Aristote pour sentir combien cette imputation était injuste, et je m'étonne que de nos jours M. Artaud ait cru, dans l'intention de relever la gloire de Machiavel, devoir la répéter (Machiavel, tome II, page 304). Machiavel est bien assez grand, même à côté d'Aristote, sans qu'il soit nécessaire de le hausser sur d'aussi faibles échasses. Aristote n'est pas, comme l'a dit Bacon, l'a dit Bacon, l'assassin de ses frères, le meurtrier des philosophes qui l'ont précédé : loin de cacher et d'enfouir leurs dépouilles, il leur a élevé des statues; loin de les replonger dans l'oubli, il les a fait vivre; loin de les mettre dans l'ombre, il les a mis au grand jour, il les a compris dans sa gloire.

Ce que j'ai dit suffit, sans doute, pour qu'on puisse déjà convenablement apprécier le caractère et l'importance de l'ouvrage d'Aristote, ce qu'il est en soi, et ce qu'il est dans l'histoire de la philosophie. Maintenant, comment est-il parvenu jusqu'à nous? C'est ici que doivent se placer les récits de Strabon, de Plutarque, qui ont joui si longtemps d'une complète autorité, mais dont la critique et la philologie ont récemment combattu l'exactitude, sans pouvoir cependant lever encore toutes les difficultés.

On avait conclu des passages de Strabon et de Plutarque, que les ouvrages du Stagirite, enfouis

en terre pendant près de deux cents ans, étaient restés inconnus tout ce long espace de temps, et n'avaient été rendus publics que par les soins de deux péripatéticiens, Tyrannion et Andronicus de Rhodes, au siècle de Sylla et de Cicéroǹ. La chose paraissait en soi certainement peu probable, si l'on pensait au rôle brillant qu'Aristote jouait à Athènes, à la multitude de ses disciples, à la succession constante de son école. Pourtant le récit du géographe et de l'historien, avec les conclusions qu'on en tirait, avait été généralement admis comme fort authentique.

Ce qui semblait surtout le confirmer, c'est qu'aucune autorité directe ne vient témoigner de l'existence des écrits d'Aristote pendant ces deux siècles où, disait-on, ils avaient été ignorés. Mais on ne pensait point que tous les monuments de cette période ont été détruits, et que, par suite sans doute de l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie sous César, presque aucun des ouvrages grecs écrits de 300 au règne d'Auguste n'est parvenu jusqu'à nous.

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La philologie a démontré d'une manière irré

1 Stahr, Aristotelia, toute la première partie du second volume, chapitres à XII.

cusable que les ouvrages d'Aristote, et ses ouvrages logiques en particulier, se trouvaient à Alexandrie longtemps avant que Sylla ne les apportât à Rome, par suite de la prise d'Athènes.

Strabon et Plutarque sont cependant deux auteurs dont le témoignage ne peut être légèrement révoqué en doute. Strabon surtout est connu par son exactitude scrupuleuse, et il paraît avoir appris sur les lieux mêmes le fait qu'il raconte. Il est difficile de croire, avec l'auteur cité par le Journal des Savants de 17171, qu'il se soit laissé prendre à une fable inventée par les péripatéticiens, jaloux, dit-on, d'expliquer ainsi le long abandon où l'opinion publique avait laissé leur maître, pour adopter les systèmes de l'Académie et du Portique.

Il convient d'abord de reprendre ici textuellement les récits de Strabon, de Plutarque, et le récit contradictoire d'Athénée, pour voir si l'on n'en a pas tiré des conséquences qu'ils ne donnent point d'eux-mêmes.

Voici le récit de Strabon 2:

« C'est encore de Scepsis qu'étaient les deux phi«losophes socratiques Éraste et Coriscus, et le fils « de ce dernier, Nélée, qui fut à la fois disciple

Journal des Savants, 1717, tome LXI, pages 55-59.

* Strabon, livre XIII, page 608. «Εκ δὲ τῆς Σκήψεως οἵ τε Σωκρατ τικοὶ γεγόνασι βραστος καὶ Κύρισκος καὶ ὁ τοῦ Κορίσκου υἱὸς Νηλεύς, ἀνὴρ

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