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tout ce qu'elle renferme de beau, de noble, de surhumain, d'immatériel, comme le représentant de l'intelligence en soi.

Mais la psychologie ne pouvait être un but; elle ne devait être qu'un moyen, un instrument. L'instrument une fois trouvé, il restait à l'appliquer au monde extérieur. C'est ce que se chargea de faire Aristote, que Platon lui-même avait appelé l'intelligence, l'entendement de son école. Ce n'étaient plus ici ces élans, ces éclats d'imagination, ce bonheur des spéculations intimes et solitaires, ces charmes de la contemplation psychologique. En face de la nature qu'il s'agissait de comprendre et d'expliquer, la tâche était autrement laborieuse : c'était une lutte qu'il fallait engager et soutenir. Aristote s'y présenta, fort de toutes les armes que la raison humaine peut se donner à elle-même dans ce combat.

Parti de la psychologie, comme Platon et comme un digne élève de Socrate, mais la considérant surtout dans ce qu'elle a d'applicable et de réel, il s'attacha d'abord à lui donner une méthode rigoureuse, et qui fût évidente à toutes les intelligences. Prenant la pensée, non point en elle-même, comme l'avait fait Platon, mais dans les actes qu'elle produit, il analysa tous les procédés dont elle se sert, tous les objets auxquels elle s'applique. De là, les

Catégories, les Analytiques, etc., en un mot l'Organon (la logique), c'est-à-dire l'instrument de toute observation, formé de toutes pièces et révélé par Aristote à l'intelligence humaine1. De là cette suite de traités sur l'âme, sur la sensibilité, sur la veille et le sommeil, qui composent la psychologie aristotélique, et auxquels on peut joindre, comme complément, ses travaux ingénieux et profonds sur le mouvement des animaux, sur la brièveté et la longueur de la vie, etc. Aristote soumit en outre à une attention toute spéciale le langage, et l'on peut dire qu'il l'anatomisa le premier.

La même rigueur qu'il avait portée dans la classification des phénomènes psychologiques, il tenta de la porter dans l'observation matérielle. Toutes les parties de la nature furent tour à tour explorées, ses grands effets classés et expliqués. On sent que de longs détails sur ce sujet seraient ici hors de place; mais qu'on veuille bien seulement se rappeler que parmi ces applications toutes physiques de la méthode d'Aristote, se trouve cette prodigieuse Histoire des Animaux, que personne, depuis vingt-un siècles, n'a même tenté de refaire

1 Voir l'ouvrage posthume de M. Jos. de Maistre sur la Philosophie de Bâcon, tome 1, page 25. Il est impossible de comprendre plus profondément le génie logique d'Aristote.

sur le plan gigantesque du génie grec, et que plaçait en si haute estime notre illustre Cuvier, la plus grande lumière des temps modernes dans les sciences physiques, et particulièrement en histoire naturelle.

Dans l'ordre moral, Aristote considéra l'homme sous les deux aspects qu'il présente à l'observation, d'abord comme individu sociable, et il en tira la Morale et la Politique; puis comme être intellectuel, et il en déduisit une théorie des beaux-arts, la Poétique, la Rhétorique, etc.

Après avoir épuisé dans un nombre considérable d'ouvrages', dont plusieurs ne sont pas venus jusqu'à nous, tous les grands sujets que l'intelligence soumet à l'observation directe des sens qui la servent, que lui restait-il à faire? Quelle partie du monde intellectuel et physique restait à découvrir, à classer? Une seule, qui tenait à la fois de l'un et de l'autre, et qui était destinée à les unir dans ce qu'ils ont de plus profond et de plus mystérieux. Des effets si laborieusement reconnus, Aristote tenta de remonter aux causes, et la conception dernière et la plus haute de son génie fut

'Diogène de Laërte, liv. V, page 177. Andronicus de Rhodes, selon David, philosophe arménien du v° siècle, portait ce nombre à 1,000. (Voir deux articles de M. Neumann, dans le Journal asiatique de Paris, janvier et février 1829, page 113.)

la Métaphysique, cette science qui, à l'aide des notions que la nature a préalablement fournies, cherche à s'élever au-dessus d'elle et à la ramener à la source supérieure, à la cause secrète, inconnue, immatérielle (μerà Tà Quoiná) dont elle est émanée.

Voilà donc, par le génie d'Aristote et sur les indications socratiques, la pensée humaine constituée dans toutes ses parties, en elle-même et dans les objets qu'elle observe, dans sa nature et dans ses applications; en un mot voilà la science mise au monde et marchant régulièrement à le comprendre et à le dompter.

On sent que, dans une œuvre pareille, le procédé ne pouvait plus être le même que celui de Platon. De là toute la différence de forme entre le maître et son élève. A l'imagination a succédé la raison, à la poésie a succédé la science, à la psychologie enthousiaste, la sévère logique. Le raisonnement abstrait, aride même, remplacera ces développements si riches de figures, si brillants d'expression; le dialogue, cette voie dramatique mais détournée de démonstration, fera place à la dissertation régulière, la seule forme que, depuis Aristote, la philosophie ait reconnue pour légitime et complète. On a souvent essayé de comparer Aristote et Platon; mais la comparaison ne

pourra jamais porter que sur leurs différences : car je ne sais s'il est un seul point sur lequel ils se ressemblent.

Une gloire inouïe, inattendue et presque incroyable, était réservée au philosophe de Stagire : quinze siècles après sa mort, l'humanité vint se mettre sous sa tutelle, et du xr au xvre siècle, l'Europe éclairée, depuis l'Espagne jusqu'à la Saxe, ne pensa en philosophie et en physique, c'est-à-dire dans le champ libre de l'esprit, que par Aristote, devenu le précepteur du genre humain 1. Proscrite d'abord deux ou trois fois par l'Église, puis redonnée au monde savant qui la réclamait à grands cris, sa doctrine, après cinquante années de lutte, domina sans conteste comme sans rivale à partir du milieu du XIIIe siècle, protégée par les papes, protégée par les rois, protégée par les universités, jusqu'à ce qu'elle succombât, dans tout ce qu'elle renfermait d'erroné, sous l'atroce et ridicule patronage d'un parlement qui prétendit défendre, à peine de vie, de rien écrire contre elle 2.

1 Chez les Arabes, Alfarabi, l'un des principaux commentateurs d'Aristote, fut surnommé le second instituteur de l'intelligence.

Voir quelques-uns de ces détails dans le petit ouvrage concis et intéressant de Launoy : De variâ Aristotelis fortunâ in Academiâ

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