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son égard? Regardera-t-on si, toute faible qu'elle est, elle peut suffire cependant à gouverner l'État, ou même à former par elle seule une cité complète? Mais alors se présente une objection qui est également juste contre tous les prétendants au pouvoir politique, et qui semble renverser toutes les raisons de ceux qui réclament l'autorité comme un droit de leur fortune, aussi bien que de ceux qui la réclament comme un droit de leur naissance. En adoptant le principe qu'ils allèguent pour eux-mêmes, la prétendue souveraineté devrait évidemment passer à l'individu qui serait à lui seul plus riche que tous les autres ensemble; et de même, le plus noble par sa naissance l'emporterait sur tous ceux qui ne font valoir que leur liberté. § 11. Même objection toute pareille contre l'aristocratie, qui se fonde sur la vertu; car si tel citoyen est supérieur en vertu à tous les membres du gouvernement, gens eux-mêmes fort estimables, le même principe lui conférera la souveraineté. Même objection encore contre la souveraineté de la multitude, fondée sur la supériorité de sa force relativement à la minorité; car si un individu par hasard, ou quelques individus moins nombreux toutefois que la majorité, sont plus forts qu'elle, la souveraineté leur appartiendra de préférence plutôt qu'à la foule.

§ 12. Tout ceci semble démontrer clairement qu'il n'y a de complète justice dans aucune des prérogatives, au nom desquelles chacun réclame le pouvoir pour soi et l'asservissement pour les autres. Aux prétentions de ceux qui revendiquent l'autorité pour leur mérite ou pour leur fortune, la multitude pourrait opposer d'excellentes raisons. Rien n'empêche, en effet,

qu'elle ne soit plus riche et plus vertueuse que la minorité, non point individuellement, mais en masse. Ceci même répond à une objection que l'on met en avant et qu'on répète souvent comme fort grave: on demande si, dans le cas que nous avons supposé, le législateur qui veut établir des lois parfaitement justes doit avoir en vue l'intérêt de la multitude ou celui des citoyens distingués. La justice ici, c'est l'égalité; et cette égalité de la justice se rapporte autant à l'intérêt général de l'État qu'à l'intérêt individuel des citoyens. Or, le citoyen en général est l'individu qui a part à l'autorité et à l'obéissance publiques, la condition du citoyen étant d'ailleurs variable suivant la constitution; et dans la république parfaite, le citoyen, c'est l'individu qui peut et qui veut obéir et gouverner tour à tour, suivant les préceptes de la vertu.

§ 12. Que nous avons supposé. Plus haut, § 11.- Le citoyen en général. Voir la discussion spéciale

sur ce point très-important, plus haut, ch. 1, §§ 4 et suiv., et ch. II §§ 3 et suiv.

CHAPITRE VIII.

Suite de la théorie de la souveraineté; exception au principe de l'égalité en faveur de l'homme supérieur; origine et justification de l'ostracisme; usage de l'ostracisme dans les gouvernements de toute espèce; l'ostracisme n'est pas possible dans la cité parfaite; l'État doit se soumettre à l'homme supéricur; apothéose du génie.

§ 1. Si dans l'État un individu, ou même plusieurs individus, trop peu nombreux toutefois pour former entre eux seuls une cité entière, ont une telle supériorité de mérite que le mérite de tous les autres citoyens ne puisse entrer en balance, et que l'influence politique de cet individu unique, ou de ces individus, soit incomparablement plus forte, de tels hommes ne peuvent être compris dans la cité. Ce sera leur faire injure que de les réduire à l'égalité commune, quand leur mérite et leur importance politiques les mettent si complétement hors de comparaison; de tels personnages

§ 1. Dans l'État un individu. en a quelquefois profité. Aristote Quelques auteurs ont soutenu, d'a- n'a point prétendu dire autre près ce passage, qu'Aristote était chose. Voir plus loin, même chapartisan de la tyrannie; c'est une pitre, § 8, ch. x1, § 12, et liv. IV erreur que refute l'ouvrage entier, (7), ch. XIII, § 1. pour peu qu'on le lise avec attention. Aristote fait une réserve pour le génie; et en cela l'humanité a pensé précisément comme le philosophe qui la connaissait si profondément. L'humanite s'est soumise à César, à Cromwell, à Napoleon; elle a toujours permis l'usurpation au génie, et elle

Je renvoie le lecteur à la préface, où sont discutées ces accusations, qui sont fort injustes selon moi. Du reste, Platon a présenté avant son disciple des théories tout à fait pareilles à celles-ci. Voir le Politique, passim, et surtout page 455, traduction de M. Cousin.

sont, on peut dire, des dieux par les hommes. § 2. Nouvelle preuve que la législation ne doit nécessairement concerner que des individus égaux par leur naissance et par leurs facultés. Mais la loi n'est point faite pour ces êtres supérieurs; ils sont eux-mêmes la loi. Il serait ridicule de tenter de les soumettre à la constitution; car ils pourraient répondre ce que, suivant Antisthène, les lions répondirent au décret rendu par l'assemblée des lièvres sur l'égalité générale des animaux. Voilà aussi l'origine de l'ostracisme dans les États démocratiques, qui, plus que tous les autres, se montrent jaloux de l'égalité. Dès qu'un citoyen semblait s'élever au-dessus de tous les autres par sa richesse, par la foule de ses partisans, ou par tout autre avantage politique, l'ostracisme venait le frapper d'un exil plus ou moins long. § 3. Dans la mytho logie, les Argonautes n'ont point d'autre motif pour abandonner Hercule; Argo déclare qu'elle ne veut pas le porter, parce qu'il est beaucoup plus pesant que le reste de ses compagnons. Aussi a-t-on bien tort de blâmer d'une manière absolue la tyrannie et le conseil que Périandre donnait à Thrasybule: pour toute réponse

§ 2. Antisthène, Athénien, disciple de Socrate. « Les lièvres réclamaient l'égalité pour tous les animaux; les lions leur dirent: - Il faudrait soutenir de telles prétentions avec des ongles et des dents comme les nôtres ». Voir l'Esope de Coraï, p. 225.

tant il pesait (Apollodor., Bib., liv. I, ch. IX, § 19, et Schol. d'Apollonius, chant I, v. 1201).

§ 3. Périandre. Aristote rappelle ce fait, liv. VIII (5), ch. vIII, § 7; Hérodote prétend, au contraire, que c'est Thrasybule qui donna ce conseil emblématique à Périandre § 3. Argo. A la hauteur d'Aphété (Terpsichore, ch. xcII, § 15, page en Thessalie, Argo, le merveilleux 268, édit. Firmin Didot). Pour Pévaisseau, prit la parole et déclara riandre, voir liv. VIII (5), ch. IX, qu'il ne pouvait porter Hercule, §§ 2 et 22. Thrasybule était tyran

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à l'envoyé qui venait lui demander conseil, il se contenta de niveler une certaine quantité d'épis, en cassant ceux qui dépassaient les autres. Le messager ne comprit rien au motif de cette action; mais Thrasybule, quand on l'en informa, entendit fort bien qu'il devait se défaire des citoyens puissants.

§ 4. Cet expédient n'est pas utile seulement aux tyrans; aussi ne sont-ils pas les seuls à en user. On l'emploie avec un égal succès dans les oligarchies et dans les démocraties. L'ostracisme y produit à peu près les mêmes résultats, en arrêtant par l'exil la puissance des personnages qu'il frappe. Quand on est en mesure de le pouvoir, on applique ce principe politique à des États, à des peuples entiers. On peut voir la conduite des Athéniens à l'égard des Samiens, des Chiotes et des Lesbiens. A peine leur puissance fut-elle affermie, qu'ils eurent soin d'affaiblir leurs sujets, en dépit de tous les traités; et le roi des Perses a plus d'une fois châtié les Mèdes, les Babyloniens et d'autres peuples, tout fiers encore des souvenirs de leur antique domination.

§ 5. Cette question intéresse tous les gouvernements sans exception, même les bons. Les gouvernements corrompus emploient ces moyens-là dans un intérêt tout particulier; mais on ne les emploie pas moins dans les gouvernements d'intérêt général. On peut éclaircir ce raisonnement par une comparaison em

de Milet, vers l'an 600 av. J.-C.
La conduite des Athéniens. On trou-
vera dans l'histoire de Thucydide
vingt exemples de la conduite
cruelle des Athéniens envers leurs

alliés. Il faut lire surtout ce qui regarde Mitylène, liv. III, ch. XXXVI et suiv. - Le roi des Perses. On peut voir dans Hérodote le soulèvement des Babyloniens et des Mèdes

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