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ples bien d'autres usages du même genre, établis par les lois ou sanctionnés par les mœurs.

§ 7. Il suffit de quelques instants de réflexion pour trouver bien étrange qu'un homme d'État puisse jamais méditer la conquête et la domination des peuples voisins, qu'ils consentent ou non à supporter le joug. Comment l'homme politique, le législateur, devraientils s'occuper d'un but qui n'est pas même légitime? C'est renverser toutes les lois que de rechercher la puissance par tous les moyens, non pas seulement de justice mais d'iniquité; car le triomphe même peut n'être pas juste. § 8. Les sciences autres que la politique ne nous offrent rien de pareil. Le médecin et le pilote ne songent ni à persuader ni à contraindre, celui-là les malades qu'il soigne, celui-ci les passagers qu'il conduit. Mais on dirait que l'on confond généralement le pouvoir politique et le pouvoir despotique du maître; et ce qu'on ne trouve ni équitable ni bon pour soi-même, on ne rougit pas de chercher à l'appliquer à autrui; pour soi, l'on réclame hautement la justice; on l'oublie complétement à l'égard des autres. § 9. Tout despotisme est illégitime, excepté quand le maître et le sujet le sont l'un et l'autre de droit naturel; et si ce principe est vrai, il ne faut vouloir régner en maître que sur les êtres destinés au joug d'un maître, et non pas sur tous indistinctement; de même que pour un festin ou un sacrifice, on va non pas à la chasse des hommes, mais à celle des animaux qu'on peut chasser dans cette vue, c'est-à-dire, des animaux

§7. Le triomphe même. On peut qu'Aristote a déjà établis, liv. I, comparer ceci avec les principes ch. 1, § 17.

sauvages et bons à manger. Mais certes un État, si l'on trouvait les moyens de l'isoler de tout autre, pourrait être heureux par lui-même, à la seule condition d'être bien administré et d'avoir de bonnes lois. Dans cette cité-là, la constitution ne sera certainement tournée ni à la guerre ni à la conquête, idées que personne n'y peut même supposer. § 10. Ainsi donc, il est clair que ces institutions guerrières, quelque belles qu'elles soient, doivent être non point le but suprême de l'État, mais seulement des moyens pour l'atteindre. Le vrai législateur ne songera qu'à donner à la cité entière, aux individus divers qui la composent, et à tous les autres membres de l'association, la part de vertu et de bonheur qui peut leur appartenir, modifiant selon les cas le système et les exigences de ses lois: et si l'État a des voisins, la législation aura soin de prévoir les relations qu'il convient d'entretenir avec eux, et les devoirs que l'on doit remplir à leur égard. Cet objet aussi sera traité plus tard par nous comme il mérite de l'être, quand nous déterminerons quel est le but où doit tendre le gouvernement parfait.

§ 10. Plus tard. Voir plus bas, même livre, ch. III, § 6.

CHAPITRE III.

Suite examen des deux opinions opposées qui recommandent ou qui proscrivent la vie politique; l'activité est le véritable but de la vie, aussi bien pour les individus que pour l'État; la véritable activité est celle de la pensée, qui prépare et gouverne les actes extérieurs.

§ 1. On convient, avons-nous dit, que l'objet qu'on doit rechercher essentiellement dans la vie, c'est la vertu; mais on ne s'accorde pas sur l'emploi qu'on doit donner à la vie. Examinons les deux opinions contraires. Ici l'on condamne toutes fonctions politiques, et l'on soutient que la vie d'un véritable homme libre, à laquelle on donne une haute préférence, diffère complétement de la vie de l'homme d'État ; là, on met au contraire la vie politique au-dessus de toute autre, parce que celui qui n'agit pas ne peut faire acte de vertu, et que bonheur et actions vertueuses sont choses identiques. Ces opinions sont toutes en partie vraies, en partie fausses. Qu'il vaille mieux vivre comme un homme libre que de vivre comme un maître d'esclaves, cela est vrai; l'emploi d'un esclave, en tant qu'esclave, n'est pas chose fort noble; et les ordres d'un maître pour les détails de la vie de chaque jour n'ont rien de commun avec le beau § 2. Mais c'est une erreur de croire que toute autorité soit nécessairement une autorité de maître. L'autorité

§ 1. L'emploi d'un esclave. Aristote a déjà exprimé la même pensée, liv. I, ch. 11, § 23.

sur des hommes libres et l'autorité sur des esclaves, ne diffèrent pas moins que la nature de l'homme libre et la nature de l'esclave; c'est ce que nous avons assez démontré au début de cet ouvrage. Mais on a grand tort de préférer l'inaction au travail; car le bonheur n'est que dans l'activité, et les hommes justes et sages ont toujours dans leur actions des fins aussi nombreuses qu'honorables.

§ 3. Mais, pourrait-on dire, en partant de ces principes mêmes : « Une puissance absolue est le plus grand des biens, puisqu'elle permet de multiplier autant qu'on le veut les belles actions. Lors donc qu'on peut s'emparer du pouvoir, il ne faut pas le laisser à d'autres mains; il faut même au besoin le leur arracher. Relation de fils, de père, d'amis, les uns envers les autres, tout doit être repoussé, sacrifié; il faut saisir à tout prix le bien suprême, et ici le bien suprême c'est le succès. » § 4. Cette objection serait vraie, tout au plus, si les spoliations et la violence pouvaient jamais donner le bien suprême; mais comme il n'est point possible que jamais elles le donnent, l'hypothèse est radicalement fausse. Pour faire de grandes choses, il faut l'emporter sur ses semblables autant que l'homme l'emporte sur la femme, le père sur les enfants, le maître sur l'esclave; et celui qui aura d'abord violé les lois de la vertu, ne pourra jamais faire autant de bien qu'il aura premièrement fait de mal. Entre créatures semblables, il n'y a d'équité, de justice, que dans la réciprocité; c'est elle qui constitue la ressemblance et l'égalité. L'inégalité entre égaux, la disparité entre

§ 3. Au début de cet ouvrage. Liv. I, ch. II.

pairs sont des faits contre nature; et rien de ce qui est contre nature ne peut être bien. Mais s'il se rencontre un mortel supérieur par son mérite, et par des facultés toutes-puissantes qui le portent sans cesse au bien, c'est celui-là qu'il convient de prendre pour guide, c'est à celui-là qu'il est juste d'obéir. Toutefois la vertu seule ne suffit pas; il faut encore la puissance de la mettre en action. § 5. Si donc ce principe est vrai, ! si le bonheur consiste à bien faire, l'activité est, pour l'État en masse aussi bien que pour les individus en particulier, l'affaire capitale de la vie. Ce n'est pas à dire pour cela que la vie active doive nécessairement, comme on le pense en général, se rapporter aux autres hommes, et que les seules pensées vraiment actives soient celles qui ne visent qu'à des résultats positifs, suites de l'action même. Les pensées actives sont bien plutôt les réflexions et les méditations toutes personnelles, qui n'ont pour sujet que de s'étudier elles-mêmes; bien faire est leur but; et cette volonté est déjà presque une action; l'idée d'activité s'applique éminemment à la pensée ordonnatrice qui combine et dispose les actes extérieurs. § 6. L'isolement, lors même qu'il est volontaire, avec toutes les conditions d'existence qu'il amène après lui, n'impose donc pas nécessairement à l'État d'être inactif. Chacune des parties qui composent la cité peut être active, par les relations mêmes qu'elles ont toujours nécessairement

§ 4. Prendre pour guide. La même pensée se retrouve plus haut, liv. III, ch. viii, § 1.

§ 5. L'idée d'activité. L'empereur Julien (p. 263) cite encore ce pas

sage d'Aristote, et il se prononce comme lui pour la vie intellectuelle. Voir liv. III, ch. x. §§ 3,5, et suiv.,et la Morale à Nicomaque, liv. X, ch. vII, p. 452 de ma traduct.

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