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pulence dans l'abondance de l'argent, parce que c'est sur l'argent que roulent l'acquisition et la vente; et cependant cet argent n'est en lui-même qu'une chose absolument vaine, n'ayant de valeur que par la loi et non par la nature, puisqu'un changement de convention parmi ceux qui en font usage peut le déprécier complétement, et le rendre tout à fait incapable de satisfaire aucun de nos besoins. En effet, un homme, malgré tout son argent, ne pourra-t-il pas manquer des objets de première nécessité? Et n'est-ce pas une plaisante richesse que celle dont l'abondance n'empêche pas de mourir de faim? C'est comme ce Midas de la mythologie, dont le vœu cupide faisait changer en or tous les mets de sa table.

§ 17. C'est donc avec grande raison que les gens sensés se demandent si l'opulence et la source de la richesse ne sont point ailleurs ; et certes la richesse et l'acquisition naturelles, objet de la science domestique, sont tout autre chose. Le commerce produit des biens, non point d'une manière absolue, mais par le déplacement d'objets déjà précieux en eux-mêmes. Or c'est l'argent qui paraît surtout préoccuper le commerce; car l'argent est l'élément et le but de ses échanges; et la fortune qui naît de cette nouvelle branche d'acquisition semble bien réellement n'avoir aucune borne. La médecine vise à multiplier ses guérisons à l'infini; comme elle, tous les arts placent dans l'infini l'objet qu'ils poursuivent, et tous y prétendent

§16. Une plaisante richesse. Montesquieu a remarqué que les immeuses quantités d'or tirées du Nouveau Monde n'ont pas empê

ché l'Espagne de tomber dans la misère, que provoquèrent aussi une foule de causes. Esprit des Lois, 1. XXI, ch. XXII, et aussi 1. XXII,ch.1.

de toutes leurs forces. Mais du moins les moyens qui les conduisent à leur but spécial sont limités, et ce but lui-même leur sert à tous de borne; bien loin de là, l'acquisition commerciale n'a pas même pour fin le but qu'elle poursuit, puisque son but est précisément une opulence et un enrichissement indéfinis. § 18. Mais si l'art de cette richesse n'a pas de bornes, la science domestique en a, parce que son objet est tout différent. Ainsi, l'on pourrait fort bien croire à première vue que toute richesse sans exception a nécessairement des limites. Mais les faits sont là pour nous prouver le contraire; tous les négociants voient s'accroître leur argent sans aucun terme.

Ces deux espèces si différentes d'acquisition, employant le même fonds qu'elles recherchent toutes deux également, quoique dans des vues bien diverses, l'une ayant un tout autre but que l'accroissement indéfini de l'argent, qui est l'unique objet de l'autre, cette ressemblance a fait croire à bien des gens que la science domestique avait aussi la même portée; et ils se persuadent fermement qu'il faut à tout prix conserver ou augmenter à l'infini la somme d'argent qu'on possède. § 19. Pour en venir là, il faut être préoccupé uniquement du soin de vivre, sans songer à vivre comme on le doit. Le désir de la vie n'ayant pas de bornes, on est directement porté à désirer, pour le satisfaire, des moyens qui n'en ont pas davantage. Ceuxlà mêmes qui s'attachent à vivre sagement recherchent aussi des jouissances corporelles; et comme la propriété semble encore assurer ces jouissances, tous les soins des hommes se portent à amasser du bien; de là, naît cette seconde branche d'acquisition dont je

parle. Le plaisir ayant absolument besoin d'une excessive abondance, on cherche tous les moyens qui peuvent la procurer. Quand on ne peut les trouver dans les acquisitions naturelles, on les demande ailleurs; et l'on applique ses facultés à des usages que la nature ne leur destinait pas. § 20. Ainsi, faire de l'argent n'est pas l'objet du courage, qui ne doit nous donner qu'une mâle assurance; ce n'est pas non plus l'objet de l'art militaire ni de la médecine, qui doivent nous donner, l'un la victoire, l'autre la santé ; et cependant, on ne fait de toutes ces professions qu'une affaire d'argent, comme si c'était là leur but propre et que tout en elles dût viser à atteindre ce but.

Voilà donc ce que j'avais à dire sur les divers moyens d'acquérir le superflu; j'ai fait voir ce que sont ces moyens, et comment ils peuvent nous devenir un réel besoin. Quant à l'art de la véritable et nécessaire richesse, j'ai montré qu'il était tout différent de celuilà; qu'il n'était que l'économie naturelle, uniquement occupée du soin de la subsistance; art non pas infini comme l'autre, mais ayant au contraire des limites positives.

§ 21. Ceci rend parfaitement claire la question que nous nous étions d'abord posée, à savoir si l'acquisition des biens est ou non l'affaire du chef de famille et du chef de l'État. Il est vrai qu'il faut toujours supposer la préexistence de ces biens. Ainsi, la politique même ne fait pas les hommes; elle les prend tels que la nature les lui donne, et elle en use. De même, c'est à la nature de nous fournir les premiers aliments, qu'ils viennent de la terre, de la mer, ou de toute autre source; c'est ensuite au chef de famille de disposer de

ces dons comme il convient de le faire; c'est ainsi que le fabricant ne crée pas la laine; mais il doit savoir l'employer, en distinguer les qualités et les défauts, et connaître celle qui peut servir et celle qui ne le peut pas.

§ 22. On pourrait demander encore pourquoi, tandisque l'acquisition des biens fait partie du gouvernement domestique, la médecine lui est étrangère, bien que les membres de la famille aient besoin de santé tout autant que de nourriture, ou de tel autre objet indispensable pour vivre. En voici la raison: si d'un côté le chef de famille et le chef de l'État doivent s'occuper de la santé de leurs administrés, d'un autre côté, ce soin regarde, non point eux, mais le médecin. De même, les biens de la famille, jusqu'à certain point, concernent son chef, et, jusqu'à certain point, concernent non pas lui, mais la nature qui doit les fournir. C'est exclusivement à la nature, je le répète, de donner le premier fonds. C'est à la nature d'assurer la nourriture à l'être qu'elle crée; et, en effet, tout être reçoit les premiers aliments de celui qui lui transmet la vie. Voilà aussi pourquoi les fruits et les animaux forment un fonds naturel que tous les hommes savent exploiter.

§ 23. L'acquisition des biens étant double, comme nous l'avons vu, c'est-à-dire à la fois commerciale et domestique, celle-ci nécessaire et estimée à bon droit, celle-là dédaignée non moins justement comme n'étant

§ 23. Méprisé non moins juste ment. Platon a expliqué avec une grande netteté, et avec plus de modération qu'Aristote, les causes du mépris où le commerce est en général tombé. Voir les Lois,

XI, p. 292, trad. de M. Cousin. Depuis Aristote, cet anathème contre le commerce a été mille fois répété. On peut voir Mably, Traité de Législ., liv. II. Montesquieu a consacré au commerce

pas naturelle, et ne resultant que du colportage des objets, on a surtout raison d'exécrer l'usure, parce qu'elle est un mode d'acquisition né de l'argent luimême, et ne lui donnant pas la destination pour laquelle on l'avait créé. L'argent ne devait servir qu'à l'échange; et l'intérêt qu'on en tire le multiplie luimême, comme l'indique assez le nom que lui donne la langue grecque. Les pères ici sont absolument semblables aux enfants. L'intérêt est de l'argent issu d'argent, et c'est de toutes les acquisitions celle qui est la plus contraire à la nature.

deux livres de son grand ouvrage, le vingtième et le vingt et unième. Dans le ch. 1 du vingtime livre, il a plus particulièrement traité de l'esprit du commerce. Il me semble assez remarquable que Rousseau n'ait jamais attaqué le commerce d'une maniere spéciale. Dans toute l'antiquité, le commerce fut une profession peu lonorable; il ne commença à être estimé qu'à l'époque des républiques italiennes, et de la grande prospérité de Florence et de Venise. Toute la théorie d'Aristote sur l'acquisition naturelle et l'acquisition dérivée mérite une grande attention, comine un des premiers essais en économie politique. L'antiquité ne nous a rien laissé d'aussi complet. Je renvoie à l'ouvrage de Heeren (Ideen über Politik, etc., IIIe partic, 1re section), où il traite du commerce des Grecs, et à celui de Bockh sur l'Eco

nomie politique des Athéniens.

Montesquieu a prétendu (1. XXI, ch. xx) que ces théories d'Aristote sur l'usure et le prêt à intérêt avaient tué le commerce durant le moyen âge. Je crois que Montesquieu attribue beaucoup trop d'influence a cette opinion du philosophe grec. La Politique ne fut connue qu'au milieu du XIe siè cle, et ne fut jamais lue que par quelques penseurs retirés dans des cloîtres. L'Évangile, anathématisant les publicains, a fait certainement beaucoup plus qu'Aristote dans les persécutions qu'éprouvèrent les Juifs, qui étaient presque les seuls commerçants du moyen âge. Le nom que lui donne. Il y a ici dans le texte un jeu de mots, qui ne pouvait être rendu dans la langue française; le mot qui signifie en grec « inté rêt », vient d'un radical qui signi fie «< enfanter ».

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