Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

combien il en est qui sont inférieurs en mérite et surtout en utilité!

Dans la science politique, comme dans toute autre science, il n'y a que deux méthodes possibles: ou l'on part de principes rationnels pour juger et régler les faits, ou l'on part des faits convenablement interprétés pour les ériger en principes. Ici, la nature humaine observée directement à la lumière d'un examen attentif, dont le philosophe porte en soi tous les éléments; là, la nature humaine observée sur cette scène plus vaste et plus obscure qu'on appelle l'histoire. Connaître l'homme dans ce qu'il est et dans ce qu'il doit être, ou le connaître dans ce qu'il a été, voilà les deux seuls procédés qu'ont suivis les écrivains politiques, le plus souvent à leur insu. De fait, il n'y en a point d'autre. Ces deux méthodes, avec les avantages et les inconvénients qu'elles présentent, expliquent fort clairement la grandeur ou l'insuffisance de certains systèmes politiques, et les erreurs qui déparent même les plus beaux et les plus vrais.

Il a été démontré que, dans toutes les sciences, la méthode rationnelle, malgré ses périls, vaut mieux que l'empirisme. L'homme est plus luimême dans sa raison que dans sa sensibilité, bien que parfois la raison s'égare. En politique, cette

supériorité de la raison est de toute évidence. Comme les faits dont la politique s'occupe sont des faits humains, c'est-à-dire volontaires, la science peut, jusqu'à un certain point, ainsi que l'homme lui-même, en disposer à son gré; elle n'a point à les subir. De tous les êtres, l'homme est le seul qui change et s'améliore; le progrès de la civilisation l'atteste d'une manière éclatante; et si le sentiment irrésistible de la liberté ne vivait pas dans la conscience humaine, le spectacle de l'histoire suffirait à démontrer que l'homme est libre puisqu'il se modifie. Voilà pourquoi la politique est la seule science où l'utopie puisse tenir une place. Sans doute l'utopie n'a pas toujours été fort raisonnable en politique; mais enfin elle a pu s'y introduire; les hommes, même les plus pratiques, ne s'en sont pas défendus; ils s'en sont fait, non pas un jeu d'esprit, mais un instrument et une arme. Bien plus, la fortune soudaine de quelques grands hommes qui ont créé des États et bouleversé le monde, a paru souvent n'être qu'un rêve merveilleux; et l'on eût dit, même de nos jours, que le fondateur de l'Empire ne faisait que réaliser un roman prodigieux dont lui seul avait le secret. Quand les faits de l'histoire donnent eux-mêmes la démonstration d'une telle mobilité, la science n'est pas coupable de prétendre, elle aussi, à les modi

fier. Elle doit s'interdire des utopies impraticables, qui ne seraient que ridicules, mais elle ne doit s'épargner ni les espérances ni les conseils; car, sous peine d'être inutile, elle doit se croire la puissance, et même le devoir, d'agir sur les hommes et sur leur destinée. La science politique doit ne jamais oublier qu'elle relève immédiatement de la morale, et que la morale est éminemment le domaine de la liberté.

Si donc il est une science où l'emploi de la raison soit légitime et fécond, c'est la science politique sans contredit. Les hommes d'État le savent bien; car ils s'inquiètent assez peu des leçons de l'histoire et profitent rarement de l'expérience du passé. Les philosophes le savent encore mieux que les hommes d'État; et les plus grands d'entre eux sont ceux aussi qui ont le plus donné à la raison.

Qu'a donc à faire le philosophe, quand il veut comprendre ce que c'est que la société, et quelles sont les lois générales qui la doivent régir? Une seule chose c'est de se rendre compte de la nature humaine. Une fois qu'il aura pénétré le secret de l'homme, il possédera le secret de la société, dont les membres ne sont que des hommes semblables entre cux, si ce n'est tous égaux. Le but de l'association, quelque nombreuse qu'elle

soit, ne peut être essentiellement autre que le but de chacun des êtres associés; et la loi suprême de l'individu sera la loi suprême de l'État ; méthode aussi simple qu'elle est puissante, que les philosophes ont parfois pratiquée, mais dont ils ne tirèrent point, même à l'aide du génie, des conséquences assez rigoureuses ni assez complètes.

Demandons à Platon d'abord, qui, grâce à Socrate, en a tant su et nous en a tant appris sur l'homme, ce que c'est que la société. Si jamais philosophe a conçu la nature humaine dans toute sa grandeur et dans son divin caractère, c'est bien lui. La vertu n'a point eu de précepteur plus fécond ni plus aimable; le christianisme même est venu s'instruire à son école. Personne n'a mieux compris la loi morale de l'homme, et n'a plus profondément analysé son âme; personne n'a donné pour la pratique de la vie de plus utiles ni de plus nobles conseils. Pourtant la politique de Platon est entachée dès sa base d'une énorme et déplorable crreur. Il ne l'a point commise sans doute lui seul; il l'a reçue des préjugés et des nécessités de son temps. Mais, comme tous les législateurs de son pays, comme toutes les constitutions de la Grèce, Platon divise la société en deux classes, les hommes libres et les esclaves. Il est vrai qu'il n'a pas essayé, ainsi que l'a fait son disciple, une explica

tion, et comme une apologie détournée, de l'esclavage, pour lequel il se sent une véritable répugnance; mais il ne l'a pas combattu au nom de ces principes supérieurs qu'il voyait si bien, et que la psychologie de Socrate lui avait révélés; il ne l'a point proscrit au nom de la nature humaine analysée par la philosophie, bien qu'il pût entendre non pas seulement les plaintes inconsolables des esclaves, mais aussi les protestations formelles que la pitié et la raison arrachaient dès lors à quelques cœurs moins éclairés que le sien. Platon connaît admirablement l'homme en soi et dans toute sa généralité; mais en fait, il ne le reconnaît que dans l'homme libre, qui seul est membre de la cité. Il a beau recommander bienveillance et douceur envers l'esclave; l'esclave, à ses yeux, ne fait point partie de l'association civile, en d'autres termes, de l'humanité. Le philosophe sait cependant que l'âme de l'esclave n'a point perdu, même sous le joug qui l'avilit, les traits divins qu'elle a reçus dans une autre vie. L'esclave du Ménon répond à Socrate aussi bien que pourrait le faire un homme libre; et la réminiscence, gage actuel d'une existence antérieure, que l'esclavage apparemment n'a point flétrie, n'est en lui ni moins vive ni moins sûre. Platon, sans doute, a voulu imposer à l'esclavage de son temps quelques limites, et il a conseillé

« ZurückWeiter »