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à ses compatriotes de l'Hellade de ne plus faire d'esclaves parmi eux; le barbare seul était fait pour porter des chaînes; mais cette nouvelle erreur repose sur un préjugé national, comme l'autre reposait sur un préjugé civil, qui n'était ni plus coupable ni plus aveugle.

Jetons un voile sur cette portion de la politique de l'antiquité. Quand il y a tant à admirer dans Platon, ne nous arrêtons pas à des défauts qui ne sont pas tout à fait les siens. L'esclavage tel qu'il l'a connu a duré mille ans encore après lui; le christianisme ne l'a pas plus proscrit que le philosophe; l'Évangile s'est efforcé de l'adoucir, mais ne l'a pas détruit ; et Sénèque a été plus hardi que ne l'était la loi nouvelle. Au vi° siècle de notre ère, quels que soient les changements profonds qu'a subis le droit romain, l'esclavage subsiste encore avec toute sa force légale, quoique les mœurs le rendent moins dur. Justinien, tout réformateur qu'il est, ne l'a point aboli; et même plus tard, il ne disparaît que pour faire place au servage, ce dernier anneau de la chaîne féodale. Déplorons l'erreur de la philosophie grecque, mais ne nous en étonnons pas. Les temps ne sont pas venus c'est la civilisation seule qui, en modifiant la société, l'assoira sur des fondements tout nouveaux, que le génie des philosophes n'avait pu devi

ner, parce que de tels secrets n'appartiennent qu'à Dieu.

Souffrons donc que le philosophe bannisse les esclaves de la cité, puisqu'ils n'y doivent entrer à pas lents que quinze ou vingt siècles plus tard. Mais la cité telle qu'il la conçoit, sa cité d'hommes libres, quelle est-elle ? Quels principes lui a-t-il donnés? Rendons ici un éclatant hommage à Platon. Le premier il a montré que l'association civile n'a qu'une base solide, la justice; et que tout État qui ne sait pas s'assurre celle-là est à la fois un État corrompu, et un État qui menace ruine. C'est de Socrate qu'il tenait cette maxime suprême et impérissable, que Socrate lui-même avait reçue de sa conscience, maxime qui vit au fond de toutes les sociétés, bien qu'elle y soit souvent méconnue, éternel refuge pour les opprimés, éternel avertissement pour les oppresseurs, qui fit la force politique du christianisme, qui éclairait les législateurs de la Constituante, et qui est imprescriptible comme les droits qui en sont la sainte expression. On se rappelle la pensée qui a dicté la République et l'occasion qui fait naître cet incomparable dialogue. Socrate discute avec ses amis sur la nature du juste et de l'injuste, un des sujets les plus ordinaires de dissentiment et d'examen parmi les hommes. Mais comme sur le théâtre de la con

science, quelque lumineuse qu'elle soit, les traits du juste et de l'injuste trop délicats et trop fins pourraient n'être pas bien aperçus, le sage transporte ses recherches dans un champ plus large; c'est à l'État et à ses vastes dimensions qu'il emprunte un tableau que l'individu lui eût présenté moins net et moins clair. Mais à quel État s'adresser pour y trouver cette peinture éclatante et fidèle? Certes aucun des États existants ne mérite qu'on le prenne pour modèle; tous ils sont dégradés par des vices, qui les placent bien loin de ce type que demande le philosophe. C'est un État idéal qui seul pourra le lui offrir. Et de là la République, et même les Lois, où Platon se complaît à tracer cet exemplaire d'une cité que la justice seule anime, et dont la vertu règle toutes les institutions, comme elle en inspire les mœurs irréprochables.'

L'imagination de Platon a pu s'égarer; tout en voulant ne suivre que la justice et la raison, il a plus d'une fois méconnu la nature. Qui pourrait le nier? Mais cette conception générale de l'État, qui ne doit avoir pour base que le juste et la vertu, n'est-elle pas tout ensemble pleine de grandeur et pleine de vérité ? Le philosophe pourra se tromper dans les applications de ce principe; il en pourra tirer des conséquences erronées et même dange

reuses. Mais ce principe suprême, sur lequel il tient ses regards sans cesse fixés, est le seul vrai ; et c'est une gloire bien grande d'avoir le premier fait briller aux yeux des hommes une si pure lumière. De nos jours, il n'y a plus de discussion possible sur un axiome aussi évident, du moins dans le domaine de la science, bien que la réalité, même au sein des sociétés les mieux organisées, semble encore si loin de l'admettre et de le reproduire. Mais au temps de Platon, au milieu de tous ces gouvernements qui, pour la plupart, ne devaient qu'au hasard et à la violence leur origine et leur durée, n'était-ce pas un trait de génie que de découvrir, sous tant d'abus et tant d'iniquités, le principe qui seul pouvait les guérir, et qui reste à jamais l'inépuisable remède des maux dont les sociétés sont affligées? N'était-ce pas comprendre admirablement l'État que de l'identifier ainsi à l'individu, et de vouloir imposer à l'association civile la loi qui seule peut faire le mérite véritable et le bonheur de l'homme?

Cette règle souveraine une fois posée, voici les règles secondaires, non moins vraies et non moins fécondes, qu'y rattache le philosophe.

D'abord, le pouvoir dans la société n'aura jamais pour but que l'intérêt de ceux auxquels il s'applique. Les citoyens n'instituent les magistrats que

pour le service de la communauté. Aucun art, quel qu'il soit, n'a en vue l'intérêt propre de celui qui l'exerce, et l'art politique moins encore que tout autre. L'architecte construit une maison, le médecin procure la santé, l'homme d'État régit la cité, sans qu'aucun d'eux ait à s'inquiéter, en tant qu'homme d'État, médecin ou architecte, du salaire plus ou moins élevé qui nécessairement récompensera son œuvre. Le politique en particulier s'en inquiétera d'autant moins que la mission qui lui est confiée est à la fois plus utile et plus haute. Il ne prendra jamais le pouvoir pour lui-même; il le subira comme un devoir que lui imposent à la fois et les vertus spéciales qui le distinguent, et le libre vœu de ses concitoyens. Probablement Platon n'était guère moins loin des réalités de son temps, quand il demandait le désintéressement aux hommes politiques, que quand il demandait la justice à la cité. Probablement, aujourd'hui même, l'abnégation n'est pas la vertu ordinaire des hommes d'État, et la plupart pourraient encore profiter des leçons que Platon adressait, il y a vingt-deux siècles, à ses contemporains. Mais la règle qu'il a recommandée au pouvoir n'en est pas moins vraie, bien qu'elle soit si souvent méconnue des politiques vulgaires; et l'exemple de tous les grands hommes rend témoignage à

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