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Salo, qui avait déjà publié quelques travaux sur les ouvrages d'Aristote, tira formellement cette conclusion, dans un petit ouvrage latin qui parut à Rome, chez Vincent Accoltus, sous ce titre : In octo Aristotelis libros qui extant de Republica quæstiones. Parmi ces questions, au nombre de cinq, celle de l'ordre des livres tient le premier rang. Se fondant sur divers passages, tous très-formels, Scaïno affirme que les septième et huitième livres doivent trouver place après le troisième; et telle était à cet égard sa conviction personnelle, que, dans la paraphrase qu'il donna l'année suivante, en italien, il n'hésita point à suivre l'ordre nouveau, exemple qu'a imité Gillies dans sa traduction anglaise, Londres, 1797, in-4o. La discussion de Scaïno est remplie de bon sens et de clarté. Cependant son traité fut peu répandu, et les philologues le connurent à peine. Heinsius, dans son édition de 1621, avoue qu'il n'a pu se le procurer, et, de nos jours, Schneider ne l'a jamais eu; mais Schneider est moins excusable que Heinsius, parce que, s'il n'avait le livre de Scaïno, il avait du moins ceux de Conring, et qu'il n'a pas tenu plus de compte des objections de son savant compatriote que de celles du moine romain.

En 1637, Conring, qui avait fait de très-longues études sur la Politique, et qui était un ardent péripatéticien, soutint, dans sa préface à la traduction de Gifanius, que les septième et huitième livres devaient venir avant le quatrième; mais ce ne fut que dans son édition de 1656 qu'il développa ce système, et l'appuya sur toutes les citations du contexte qui le rendent évident. C'était la méthode et la conclusion de Scaïno; mais ici l'opinion de Conring doit avoir d'autant plus de poids, qu'il ne connaissait le travail du prêtre italien que d'après une indication fort légère, jetée dans une note par Heinsius, sur la foi d'un de ses amis, philologue. Ainsi, le suffrage de Conring est complétemeni indépendant de celui de Scaïno.

De Conring jusqu'à nous, c'est-à-dire dans l'espace de deux siècles à peu près, personne n'a traité de nouveau la question d'une manière spéciale et complète.

Maintenant voici les textes, c'est-à-dire les pièces mêmes du procès; qu'on le juge:

Le troisième livre se termine par cette phrase inachevée : « Ceci posé, nous tâcherons de traiter du gouvernement parfait, de sa nature, et de la possibilité de l'établir. Quand on veut l'étudier avec tout le soin qu'il mérite, il faut.... » Les éditeurs qui tenaient à l'ordre actuel des livres, et qui par conséquent ne voulaient pas reconnaître de lacune dans ce passage, ont cherché à résoudre de deux manières la difficulté qu'il présente. Quelques-uns ont supprimé, en s'appuyant sur deux ou trois manuscrits, les mots quand on veut, » qui dans le texte suspendent la phrase; mais Pierre Vettorio, un des philologues qui se sont le plus utilement occupés de la Politique, et qui avait admis ce changement dans sa première édition de 1552, se repentit de cette modification fort hasardée, et dans son édition de 1576, il rétablit soigneusement le texte tel que le donnaient la plupart des manuscrits. Depuis lors, le texte n'a guère changé, et il n'est pas possible de rejeter les deux mots qui sont ici en litige, pour peu qu'on se donne la peine de recourir aux sources. D'autres éditeurs, et particulièrement M. Goettling, ont prétendu, tout en gardant les mots, pouvoir expliquer grammaticalement la phrase en sousentendant un membre de phrase antérieur qui la complétat. On peut s'assurer, en lisant tout ce passage, que la supposition est forcée et très-peu grammaticale. En admettant même qu'elle fût parfaitement naturelle et régulière, il en résulterait simplement que la grammaire serait satisfaite; mais la logique le serait-elle également? Et que fait-on alors de cette pensée, interrompue au troisième livre, qui se continue et se poursuit dans le septième?

Mais voici bien plus : cette phrase inachevée de la fin du troisième livre se retrouve avec une identité presque complète dans les mots, avec une identité complète dans la pensée, au début du septième livre, qui commence ainsi : « Quand on veut étudier le gouvernement parfait avec tout le soin qu'il mérite, il faut d'abord déterminer avec précision le but essen tiel de la vie humaine. » On le voit, les changements matériels que l'expression a subis du troisième au septième livre sont exigés par le déplacement même. Au lieu d'un pronom,

c'est le nom lui-même, dont le pronom ne pouvait tenir lieu qu'en le suivant de près, mais qui devait reprendre la place du pronom, en admettant que trois livres entiers s'étaient interposés entre l'un et l'autre. Quant à la pensée des deux phrases, elle est évidemment identique. Seulement, dans le premier cas, elle est incomplète et en suspens; dans le second, elle est achevée et parfaitement assise.

Pour mettre ce premier point dans tout son jour, et découvrir pour ainsi dire la suture du troisième livre et du septième, il faut se rappeler comment celui-ci débute et comment l'autre se termine. Voici la fin du troisième livre:

« Nous bornerons ici l'étude de la monarchie, après en avoir exposé les formes diverses, les avantages et les dangers, selon ses modifications propres et selon les peuples auxquels elle s'applique.

« Parmi les trois constitutions que nous avons reconnues pour bonnes, la meilleure nécessairement doit être celle qui a les meilleurs chefs. Tel est l'État où se rencontre par bonheur une grande supériorité de vertu, que d'ailleurs elle appartienne soit à un seul individu, soit à une race entière, soit même à la multitude, et où les uns savent aussi bien obéir que les autres savent commander, dans l'intérêt du but le plus noble. Il a été démontré précédemment que, dans le gouvernement parfait, la vertu privée était identiquement la même que la vertu politique; il n'est pas moins évident qu'avec les moyens, avec les vertus qui font l'homme de bien, on peut constituer aussi un État tout entier, aristocratique ou monarchique; d'où il suit que l'éducation et les mœurs, qui font l'homme vertueux, sont à peu près les mêmes que celles qui font le citoyen d'une répulique ou le chef d'une royauté.

<< Ceci posé, nous essayerons de traiter du gouvernement parfait, de sa nature et des moyens de l'établir. Quand on veut l'étudier avec tout le soin qu'il mérite, il faut.... » Il finit le troisième livre.

Voici maintenant le début du septième.

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tout le soin qu'il mérite, il faut déterminer d'abord avec précision le but essentiel de la vie humaine. Si l'on ignore ce but, on doit nécessairement ignorer aussi quel est le gouvernement par excellence; car il est naturel que ce gouvernement assure à ses membres, dans le cours ordinaire des choses, la jouissance du bonheur le plus complet que comporte leur condition. Ainsi convenons d'abord du but suprême de la vie, et nous verrons ensuite si ce but est le même pour la masse et pour l'individu. »

On le voit donc, les troisième et septième livres sont liés entre eux, d'abord par la connexion intime du sujet, et de plus par l'irrécusable témoignage de cette phrase, qui, mutilée à la fin de l'un, se complète et s'achève au début de l'autre; en un mot, ils sont liés entre eux intellectuellement et matériellement.

Il faut aborder maintenant un autre ordre de preuves plus concluantes encore, et qui toutes seront tirées du contexte. Aristote, qui aime à suivre la marche de sa pensée comme il aime à la prédire et à la résumer, indiquera lui-même la déduction logique de son ouvrage et l'enchaînement systématique de ses idées. On vient de voir comment tout d'abord on pourrait, par la simple inspection du sujet et de l'état du texte des troisième et septième livres, conclure leur liaison nécessaire; ne sera-t-elle pas prouvée si, dans le quatrième livre, ou pour mieux dire dans celui que l'on place actuellement à ce rang, l'auteur rappelle, dans ses résumés rétrospectifs, des sujets qui ne sont traités que dans le septième? N'y aura-t-il pas alors nécessité, non plus pour satisfaire seulement à la logique et à la grammaire, mais pour satisfaire à la volonté même de l'auteur, volonté souveraine et indépendante, n'y aura-t-il pas nécessité de classer son ouvrage dans l'ordre indiqué par lui?

Or ici les preuves abondent, et s'il y avait quelque embarras, ce ne serait que l'embarras de les choisir.

Chapitre 1, § 1, livre IV, placé le sixième dans cette édition, Aristote, récapitulant les questions jusque-là traitées par lui, ajoute « Nous avons déjà parlé de l'aristocratie et de la

royauté; car traiter du GOUVERNEMENT PARFAIT, c'était aussi traiter de ces deux formes. » Or, où Aristote a-t-il traité du gouvernement parfait, si ce n'est dans le septième livre ? Et comment peut-il donc en parler au quatrième comme d'une question antérieurement discutée, si le quatrième doit réellement être placé avant le septième?

Chapitre 1, § 2, livre IV (VIe de cette édition), l'auteur a une réminiscence toute pareille : « Et tel autre élément pareil de l'État que nous avons énuméré dans nos considérations sur l'aristocratie; car nous avons expliqué en cet endroit quels sont les éléments indispensables de tout État. » En effet, Aristote a traité cette question tout au long dans le septième livre, c'est-à-dire dans ses considérations sur l'aristocratie, sur le gouvernement parfait, chapitre VII, § 3, livre VII, placé le quatrième dans cette édition : « Voyons donc, y dit-il en commençant cette discussion, voyons quels sont les éléments sans lesquels l'État ne saurait subsister; car ce qui formera les parties constitutives de l'État sera précisément la condition indispensable de son existence, etc. » Comment l'auteur peut-il rappeler au quatrième livre ce qu'il n'a point encore dit, ce qu'il ne dira qu'au septième?

Même remarque pour cet autre passage du quatrième livre (VIe de cette édition), chapitre II, § 10, où Aristote rappelle de nouveau quels sont les éléments constitutifs de l'État.

Livre IV (VIe de cette édition), chapitre Iv, § 13, l'auteur pose en principe que les gouvernements sont d'autant meilleurs ou d'autant moins bons qu'ils se rapprochent ou s'éloignent davantage du gouvernement parfait, « dont il a, dit-il, déterminé précisément la nature »; or, il n'a parlé du gouvernement parfait qu'au septième livre.

Même remarque pour le passage du chapitre x, § 11 du livre IV (VIo de cette édition), où l'auteur, dans une nouvelle récapitulation, répète qu'il a parlé antérieurement du meilleur des gouvernements.

Il serait inutile de pousser plus loin ces citations. Celles qui précèdent sont les plus importantes de toutes, et elles suffisent pour démontrer que, dans la pensée d'Aristote lui-même,

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