Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

la sagacité du philosophe. Les âmes des Lycurgue, des Périclès, des Alexandre, des Charlemagne, des Henri IV, n'ont point été des âmes intéressées, et leur patriotisme a été plus grand encore que leur ambition. Oui, le pouvoir social doit s'exercer au profit de ceux qui le délèguent, et non au profit de ceux à qui on le remet. Sous une autre forme, la souveraineté nationale, ce grand principe des constitutions libres, n'est point autre chose que cette maxime; et la Constituante était encore profondément platonicienne quand elle déclarait que la force publique est instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ».

De ce second principe, sortent des conséquences pratiques qui sont de la plus haute importance, et qui s'appliquent à tous les États sans exception. A qui doit appartenir le pouvoir? La réponse ne peut être douteuse : c'est aux plus dignes. Quelle que soit d'ailleurs la forme politique de la cité, quelle que soit sa constitution, la justice exige impérieusement, comme l'intérêt même de l'association, que les mains à qui l'on remet ce périlleux fardeau, soient aussi les plus capables de le porter. Voilà comment Platon fait parfois l'éloge de la royauté, pourvu que le roi, comme un divin pasteur, sache régir, d'une main bienveillante et

ferme, le noble troupeau dont la garde lui est attribuée. Voilà comment, pour obtenir l'amélioration de la société, il accepterait même le joug temporaire d'un tyran éclairé, dont l'âme jeune et amie du bien serait ouverte à tous les sages conseils, et aux énergiques résolutions qui doivent sauver l'État en le renouvelant. Voilà surtout comment il exalte le gouvernement aristocratique, dont le nom même, s'il n'est point un mensonge, est une garantie de lumières et de vertu. On a parfois raillé Platon d'avoir déclaré que les peuples ne seraient heureux que quand leurs chefs seraient philosophes, ou quand les philosophes seraient leurs chefs. On a cru démêler dans ce vou, qui n'est que celui du bon sens et de l'expérience, une sorte de requête présentée par l'ambition, et peut-être aussi par la naïveté philosophique, comme si le philosophe était autre chose qu'un amant de la sagesse, comme si la sagesse n'était pas plus utile encore au salut des États qu'elle ne l'est à la félicité des individus. Au fond, il n'y a pour Platon qu'un seul gouvernement, c'est celui des meilleurs, c'est l'aristocratie*,

• Voir Le Politique de Platon, page 458, trad. de M. V. Cousin. C'est toujours en ce sens platonicien que la science politique doit prendre le mot aristocratie. Montesquieu, pour n'avoir point eu ce soin, et pour avoir adopté le langage vulgaire, a fait bien des confusions. Il n'a parlé que des oligarchies sous le nom d'aristocraties.

au vrai sens de ce nom d'heureux augure; les autres gouvernements, quels qu'ils soient, méritent à peine le nom dont ils se parent; car il n'y a de gouvernement véritable que celui où l'intelligence et la raison sont dépositaires et maîtresses de la puissance publique. Les faits, tels que l'histoire nous les montre, ont trop souvent donné tort à la théorie du philosophe; ce sont bien rarement les plus dignes que les nations ont vus à leur tête. Mais il n'est point un peuple libre qui n'ait tout fait pour que le mérite seul arrivât au pouvoir, ainsi que Platon le recommande; et c'est un honneur pour le gouvernement représentatif de tâcher, par ses savantes combinaisons, d'assurer mieux encore que tout autre cette possession durable de l'autorité aux mains des citoyens les plus capables de l'exercer. La théorie de Platon est donc aussi vraie qu'elle serait utile, si d'ailleurs elle était d'une application moins difficile et plus ordinaire.

Autre conséquence tout aussi grave et tout aussi sage. A quelques mains qu'on remette le pouvoir, quelque pures et quelque fortes qu'elles soient, la prudence exige qu'on prenne des garanties contre les erreurs et les abus que commet et qu'excuse la faiblesse humaine. Les yeux les plus éclairés ne sont pas toujours vigilants; la vertu, même la plus active, se lasse; et quelque confiance que méri

tent les hommes appelés au gouvernement, il est plus sûr encore de s'en fier aux institutions. Les entraînements du pouvoir, quel qu'il soit, sont à peu près irrésistibles; et la pratique des affaires, rapide et tumultueuse comme elle l'est nécessairement, ne permet pas toujours, même aux intentions les plus droites et les plus éprouvées, de discerner les véritables limites que le pouvoir doit toujours s'imposer. Il faut donc, si l'on veut que l'État soit heureux et durable, tempérer le pouvoir lui-même. Ne le faire reposer que sur un seul principe, c'est risquer que ce principe ne s'exagère bientôt, et ne se détruise en s'exagérant. Sans contredit, il faut toujours que les meilleurs soient chargés de la direction des intérêts communs. Mais il faut qu'au-dessous d'eux, à côté d'eux, la foule, quelque inférieure qu'elle soit, conserve ses droits, et prévienne, en les exerçant, les excès mêmes du bien où la vertu pourrait se laissér emporter. Il n'y a de gouvernements stables que les gouvernements tempérés. Le despotisme s'est perdu en Perse par sa puissance sans bornes. La démocratie athénienne, à l'autre extrémité, n'a pas été plus sage. Ici, la liberté sans frein a produit une déplorable licence; et là, l'obéissance aveugle des sujet sa enfanté une monstrueuse tyrannie. Entre ces deux excès, Sparte a été plus modérée, et par suite elle a été

plus vertueuse et plus tranquille. Mais Sparte même n'a pas su pousser assez loin ce principe fécond; il est possible de supposer un État où le pouvoir serait encore mieux tempéré que dans celui-là.

Platon cherche donc cet État parfait. Sans doute il ne l'a pas trouvé. Mais n'est-ce pas un mérite immense de l'avoir cherché? Et cet équilibre sagement combiné des divers éléments de l'État, n'estce pas le but qu'ont poursuivi et que poursuivent encore les sociétés civilisées? D'où sont venues la plupart des révolutions, si ce n'est de l'excès du pouvoir remis à quelques mains? Les sociétés n'ont-elles pas été troublées le plus souvent parce que les privilégiés, par la pente naturelle des choses, y devinrent bientôt des oppresseurs? Les constitutions qui ont vécu le plus longtemps n'ont-elles pas été celles où cette pondération équitable du pouvoir a été le mieux établie, qu'elle le fût d'ailleurs par la volonté intelligente du législateur, ou par le concours fortuit des circonstances? Sparte et Rome ne sont-elles pas d'assez grands exemples? Et que font aujourd'hui les peuples les plus éclairés de l'Europe, si ce n'est de donner à leurs gouvernements, quand ils les réforment, les bases solides et larges dont Platon a fait la condition d'un pouvoir qui veut

« ZurückWeiter »