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vivre et remplir ses devoirs sociaux? Cette nécessité de tempérer le pouvoir pour le rendre durable et fort, en le faisant légitime et régulier, d'autres l'ont recommandée après Platon; mais lui seul l'a bien comprise dans toute sa profondeur, parce que seul il a bien connu les intimes rapports de la modération dans le principe et la conduite de l'État avec la tempérance dans l'âme de l'individu.

Mais cette première garantie, déjà fort efficace, ne suffit pas. A cette barrière puissante et presque infranchissable, puisqu'elle embrasse le pouvoir entier, et le circonscrit à son insu, il faut ajouter d'autres barrières plus évidentes, et non moins respectables. Les délégués auxquels la cité a confié le dépôt du pouvoir devront rendre compte de l'usage qu'ils en ont fait. Comme tous les citoyens, en tant que tels, sont égaux, et qu'ils ont tous concouru dans des proportions diverses à l'élection des magistrats, depuis les sénateurs, les généraux et les pontifes jusqu'aux simples officiers de police urbaine, tous les magistrats sans exception auront à justifier de leur administration devant ceux mêmes qui la leur ont accordée, et qui l'ont supportée en leur obéissant. Il y aura des époques périodiques et assez rapprochées où s'exercera cette censure sévère. Les punitions que les coupables pourront encourir seront déterminées à

l'avance, et appliquées suivant les formes prescrites par la loi. La responsabilité du pouvoir organisée à tous les degrés assurera la régularité de l'administration; et sérieuse autant qu'elle pourra l'être, cette responsabilité repoussera des fonctions publiques ces ambitions subalternes et peu sûres d'elles-mêmes, qui risqueraient trop en l'affrontant. De plus, cette institution aura l'avantage de maintenir tout à la fois et les magistrats dans le devoir et les citoyens dans la vigilance. Les affaires n'en seront que mieux gérées, lorsque de part et d'autre des craintes légitimes et réciproques tiendront les esprits en éveil. Tout État où la responsabilité du pouvoir n'a pas été sagement prévue et réglée par la loi même, doit savoir qu'il s'est confié, pour le redressement des abus, au hasard et à la violence des révolutions. On cherche toujours à réparer le mal quand il est devenu intolérable, et l'on rejette le fardeau quand on en est écrasé. Mais il valait mieux prévenir le désordre en le surveillant avec soin; car on ne le guérit par ces terribles remèdes qu'en faisant au corps social bien des blessures, qu'un peu de prévoyance pouvait facilement lui épargner.

Enfin, une dernière garantie contre l'État entier, contre les entraînements de la foule aussi bien que contre les erreurs des magistrats, ce sera l'insti

tution d'une assemblée spéciale à qui sera confié le soin de veiller au maintien de la constitution. L'âge et la vertu seuls ouvriront l'entrée de cette assemblée auguste, qui réunira tout ce que la cité renferme de plus sage et de plus expérimenté. Les Gardiens des lois n'auront qu'une mission: ce sera d'empêcher ces déviations secrètes, et par cela même d'autant plus redoutables, que peut éprouver le principe de l'État. Il ne s'agit pas seulement des mesures qui y portent une atteinte directe; celleslà, tous les yeux les discernent, tous les bons citoyens les comprennent et les repoussent. Mais il est dans les mesures et les résolutions de chaque jour des tendances profondes et des résultats éloignés que les yeux les plus sagaces ne pourront y découvrir. Le patriotisme et la probité n'y suffiront pas; car ce sont là des fautes que le patriotisme et la probité politique peuvent aussi commettre, quand un prudent conseil ne les leur signale point. Il faut donc à côté du pouvoir qui agit, soit par les magistratures, soit même par l'assemblée publique, un corps qui dans l'Etat n'agit pas, mais qui protége le principe d'où vient la vie de la cité entière, et l'entretient dans toute sa vigueur, en le défendant contre les influences qui le peuvent altérer. Les Gardiens des lois seront le pouvoir qui conservera l'État, entre les citoyens,

dont la liberté peut le compromettre par son énergie même, et les magistrats, qui, ene xagérant l'ordre, qu'ils doivent maintenir, pourraient l'exposer à des dangers non moins graves.

Ainsi, les conditions du pouvoir, selon Platon, sont la justice d'abord, régulatrice souveraine de l'État, comme elle l'est de l'individu; puis le désintéressement, les lumières, la modération, la responsabilité et le respect des lois.

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Pour un pouvoir ainsi constitué, il est bien facile de connaître les relations qu'il doit entretenir avec les citoyens. D'abord, tous les citoyens sont unis entre eux par les liens les plus étroits et les plus doux. Magistrats, guerriers, artisans, laboureurs, ils sont tous nés d'une même terre; une même patrie est leur mère et leur nourrice commune : « ils doivent tous la défendre contre quiconque <oserait l'attaquer, et, tous sortis du même sein, << ils doivent tous se traiter en frères». Dieu, dans ses décrets impénétrables, a, en quelque sorte, mêlé aux diverses natures des hommes de l'or, de l'argent, de l'airain et du fer. C'est une première et suprême distinction qui appelle les uns au commandement et les autres à l'obéissance. La cité, se réglant sur ces différences, qu'elle n'a point faites,

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Les Lois, livre III, page 187, traduction de M. V. Cousin.

confie à ceux-ci le pouvoir qui la conduit, à ceuxlà les armes qui la défendent et les labeurs qui l'entretiennent et la nourrissent. Plus tard, elle peut encore à côté de ces différences de vertu, qui sont les principales de toutes, en consacrer d'autres qui ne tiennent qu'à la richesse: c'est le cens politique, expédient assez peu estimable, quoique nécessaire.

Mais, en dépit de ces distinctions que la société établit, en dépit même de celles que sanctionne la souveraine volonté des dieux, la cité n'en forme pas moins une famille dont tous les membres doivent être mutuellement animés d'une bienveillance fraternelle. Le lien social, c'est la fraternité; et Platon qui exprime ce grand et admirable principe en termes exprès, eût devancé le christianisme de quatre siècles, si à ses yeux tous les hommes, y compris même ceux qui n'étaient pas libres, eussent été membres de la cité. De cette charité sociale naissent de bien précieux effets d'une part, les citoyens obéissent avec une soumission toute dévouée à des lois qui n'ont été faites que dans l'intérêt universel; et cette obéissance même devient la mesure de leur vertu civique, et le premier témoignage de leur aptitude aux emplois de l'État ; d'autre part, des magistrats qui ont à s'adresser à des frères au nom de la justice, peuvent dans la

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