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plupart des cas n'employer que la persuasion et sa douce autorité.

La loi elle-même, toute reine qu'elle est, avant d'ordonner et de prescrire, expliquera les motifs sur lesquels elle se fonde. Elle aussi commencera par persuader avant de contraindre; et le châtiment même, quelle que soit son équitable rigueur, ne frappera jamais sans se justifier, pour ainsi dire, par les conseils austères qui l'auront précédé, et qui devaient le prévenir. Du reste, l'emploi de la force, quand il sera nécessaire, deviendra légitime parce qu'il sera toujours appuyé sur la justice, loi suprême et inviolable de l'Etat tout entier. Un politique éclairé obligerait alors les citoyens à bien faire, malgré leur résistance, comme le médecin guérit le malade qui résiste à la science faite pour le sauver. Mais ces cas sont bien rares; la raison du bon citoyen est en général très-clairvoyante sur les devoirs qu'il doit remplir; le malade se soumet d'ordinaire mème aux remèdes les plus douloureux; et c'est un art bien peu savant que celui de ces législateurs vulgaires qui n'emploient jamais que la méthode simple d'un commandement impérieux et dur, au lieu de cette méthode double qui persuade les esprits, avant de les enchaîner par un texte précis et étroit.

Appuyé sur de si fermes bases, aidé par de tels

moyens, animé et soutenu par des sentiments si purs et si puissants, le pouvoir accomplira sans peine sa noble tâche. Le but de l'homme d'État ainsi compris est parfaitement évident c'est de faire, autant qu'il dépend de lui, des citoyens accomplis. Les vertus qu'il a le devoir de leur inspirer par ses propres exemples et par ses conseils, c'est la justice et la tempérance. La philosophie a dû lui apprendre ce qu'elles valent en elles-mêmes; et l'expérience des choses, s'il a su les bien observer, a dû le lui apprendre encore mieux. Le salut des individus n'est qu'à ce prix; celui de l'État, qui est aux mêmes conditions, n'est ni plus difficile, ni plus incertain. La voie qu'il doit suivre est tout aussi claire et tout aussi sûre. Cette éloquence, dont les orateurs politiques font tant de cas, et qui est en effet si puissante, bien qu'elle soit trop souvent dangereuse et coupable, ne peut pas avoir un autre objet. L'homme politique, qui ne sait point tout d'abord prendre pour ses conseillères et ses compagnes fidèles la vérité et la justice, est bien à plaindre. Il ne voit pas qu'il compromet tout à la fois et l'intérêt de la cité et le sien propre. Ce n'est qu'un sophiste livré à tous les hasards et à toutes les bassesses du mensonge, à toutes les intempérances de la passion, et aussi à tous les périls de la faveur populaire. Le véritable orateur

est avant tout celui qu'on peut définir, comme il sera défini plus tard par un disciple de Platon, consul de Rome et grand orateur lui-même : « Un homme de bien, doué d'éloquence ». L'orateur qui se laisse guider par d'autres règles satisfait peutêtre quelquefois son ambition; mais à côté de ce salaire si disputé et si douteux, il en trouve sur sa route un autre qui ne lui manque jamais : c'est le mépris de tous les cœurs éclairés et de toutes les âmes honnêtes.

Le vrai politique nourrit des desseins bien différents. Comme il n'a jamais eu dans son noble cœur qu'un intérêt, l'intérêt du bien, il ne croit pas que l'État puisse en avoir un autre. Les agrandissements matériels de la cité lui importeront assez peu; il ne tiendra qu'à son perfectionnement moral. Socrate, quand il assigne à l'homme d'État des devoirs si simples quoique si hauts, n'ignore pas qu'il fera sourire les habiles de son temps; il est assez probable même qu'il ferait sourire encore ceux du nôtre, si par hasard ils consentaient à entendre sa voix. Mais Socrate et son infaillible sagesse en appellent aux faits de l'histoire et à leur impitoyable témoignage. Comment tant d'hommes d'État illustres, qui n'étaient point des sophistes cependant, qui étaient même de bons citoyens, ont-ils donc usé du pouvoir, pour que le peuple

qu'ils gouvernaient ait eu contre eux de si terribles retours? Thémistocle banni, Miltiade condamné à la prison, Cimon frappé d'ostracisme, Périclès traîné en jugement, et tant d'autres, comment se sont-ils donc mépris à ce point sur la redoutable science qu'ils prétendaient pratiquer et connaître? Loin de rendre leurs concitoyens meilleurs, comme ils le devaient, comme ils le croyaient peut-être, ils n'en ont fait que des êtres féroces toujours prêts à se ruer sur leurs guides, à déchirer leurs chefs, sans justice, sans reconnaissance, sans pitié, dans les caprices d'une rage insensée, comme ces animaux que d'inhabiles gardiens rendent indomptables, tout en se chargeant de les apprivoiser.

C'est que la science politique dans sa simplicité et dans sa candeur, telle que la conçoit le sage, est chose bien rare, malgré les leçons de tous les professeurs qui s'offrent à l'enseigner à leurs élèves et à leurs dupes. Il n'y a que bien peu d'hommes dans l'État, quelques-uns à peine, un seul peut-être, qui soient capables de diriger les autres, parce qu'il en est bien peu qui sachent se diriger eux-mêmes. Au fond, le politique doit avant tout être philosophe, c'est-à-dire, aussi sage qu'il est donné à l'homme de le devenir au prix de longs et sincères labeurs. Mais en fait, et la plupart du temps, le politique n'est qu'un sophiste;

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et le citoyen rare, le citoyen unique qui pourrait conduire l'État au bien et le sauver, n'est que trop souvent la victime des passions furieuses qu'il ne partage pas, et qu'il aurait pu corriger dans ses frères, comme il les a corrigées en luimême. L'art de la politique n'est ni aussi compliqué ni aussi savant que le suppose l'ignorance de la foule, ou que le croit même la vanité des hommes d'État; mais la leçon que jadis Socrate donnait au jeune Alcibiade, presque tous les politiques en sont encore à la recevoir et à la mettre à profit : « Il faut avant toutes choses, mon ami, que tu penses à acquérir de la vertu, toi et tout homme qui veut avoir soin, non pas seulement de lui et des choses qui sont à lui, mais aussi de l'État et des choses qui sont à l'État », maxime profonde qu'on écoutait fort peu sans doute à Athènes, et qu'aujourd'hui l'on n'écouterait guère davantage.

Mais si le politique a tant de peine à régir et à changer ses concitoyens, il est du moins une partie de la cité qu'il peut façonner à son gré, et dont le germe précieux renferme tout l'avenir de l'État : c'est l'enfance. Par l'éducation, l'homme peut presque tout sur l'homme; car elle modifie profondément toutes les qualités que chacun de nous apporte en naissant. Et sans parler de cette action intime et puissante, ne fit-elle que découvrir et

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