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plus complète aurait pu lui montrer dans la nature de l'homme les fondements de la propriété et du mariage, comme elle lui a montré les bases du pouvoir. Elle lui aurait épargné des théories insoutenables, qui sont réprouvées par le cœur humain avant de l'être par la société. Mais ces fautes, quelque graves qu'elles soient, ne doivent pas nous rendre injustes. En général, on les a trop exclusivement reprochées à Platon; et la critique si sagace pour découvrir le mal, qui n'est que trop réel, a eu le tort d'omettre le bien, qui ne l'est pas moins, et qui, tout pesé, est infiniment plus considérable.

Mais si la méthode rationnelle surtout conduit Platon, il n'a pas négligé, comme l'opinion vulgaire le croit trop aisément, cette autre méthode qui demande des théories et des enseignements à l'histoire et à l'expérience du passé. Platon connaît fort bien les gouvernements de son temps; et dans chacun d'eux, il a discerné d'un regard profond et sûr le principe qui le constitue et qui le maintient ou le perd. La peinture qu'il a faite du despotisme en Perse et de ses excès, est aussi vive qu'exacte; et, quand un demi-siècle plus tard ce vaste empire succomba en trois batailles sous les coups d'un jeune conquérant, les contemporains d'Alexandre dure nt être frappés de la sagacité du philosophe, qui leur avait expliqué, à l'avance, le secret de tant

de faiblesse, et avait pressenti la facilité merveilleuse de la victoire. D'une autre part, le tableau de la démocratie athénienne, au milieu de laquelle vivait Platon, a été vingt fois reproduit par lui avec des couleurs aussi vraies que tristes. Il a peint les démagogues d'Athènes avec une fidélité qui dut les courroucer, mais qui a le grand mérite, grâce à cette fidélité même, d'instruire à jamais la postérité sur les desseins et les manœuvres des démagogues de tous les siècles. Platon qui cherche dans sa république idéale la véritable égalité, c'est-à-dire l'égalité proportionnelle à la vertu civique, la véritable liberté, c'est-à-dire la liberté qui s'appuie sur la justice et la raison, faisait très-peu de cas de cette liberté turbulente, et de cette égalité inique qui n'amènent que le désordre dans l'État, en autorisant tous les excès populaires, et en abaissant sous un même niveau toutes les aptitudes politiques. Il a bien vu l'abîme où sa patrie, « enivrée de cette liberté et de cette égalité que lui versaient toutes pures de mauvais échansons, » devait infailliblement tomber; et sous l'âpre éloquence du philosophe, on sent la douleur du citoyen qui a dès longtemps compris les dangers, et qui se désole de les signaler en vain. On peut se rappeler aussi avec quelle exactitude Platon a tracé l'histoire de la Confédération Dorienne, et quelle est la grande

leçon qu'il en tire. C'est aux faits qu'il emprunte sa théorie si pratique, quoique si rarement pratiquée, du pouvoir tempéré; ou plutôt c'est par les faits qu'il l'appuie et la démontre; car c'est seulement à la psychologie et à la raison que d'abord il la doit. Mais il fait voir, par les désordres dont les gouvernements excessifs sont victimes, qu'ils ne périssent que pour avoir ignoré cette admirable loi de la tempérance, que quelques autres États plus sages ont mieux sentie et mieux employée.

C'est encore de l'histoire heureusement combinée avec la raison que Platon a fait sortir cette autre théorie, plus célèbre quoique moins profonde, des trois gouvernements. Il avait pu trouver, entre les diversités du caractère moral des hommes et les différentes espèces de gouvernements, les ressemblances les plus frappantes et les plus vraies. Il avait pu signaler les qualités et les vices qui font la fortune ou le malheur de l'État tout comme des individus. Mais ce n'est pas uniquement dans l'étude de l'âme, c'est aussi dans les faits extérieurs qu'il a puisé cette classification générale des gouvernements qui, sous des nuances très-variées, ne sont jamais que de trois espèces principales : la monarchie, l'aristocratie ou gouvernement des meilleurs, et la démocratie, constitutions régulières et bienfaisantes, tant que les chefs qui dirigent la

société ne songent qu'à l'intérêt commun; constitutions vicieuses et déviées, quand l'intérêt général est sacrifié par les dépositaires du pouvoir à des intérêts particuliers d'individu, de classe ou même de simple majorité. La royauté, quand elle oublie son devoir social, devient une tyrannie; l'aristocratie tourne à l'oligarchie, et la démocratie tombe dans la démagogie. A ne consulter que les faits, il n'y a donc en réalité que six gouvernements, qui se correspondent deux à deux, et dont les trois mauvais ont été malheureusement pour l'humanité plus fréquents que les trois bons. Cette théorie, plus historique encore que rationnelle, appartient tout entière à Platon. Aristote n'a fait que la reproduire en lui donnant plus de précision; et de ses mains, elle a passé dans la science qui l'a recueillie et consacrée. Elle y vit encore, comme pourrait l'attester le grand ouvrage de Montesquieu. On a contesté parfois la justesse de cette classification; et l'on a dit que jamais un gouvernement n'était absolument pur; que de fait, il n'y avait jamais eu un État sans mélange, quelles que fussent la violence et l'exagération du principe qui le gouvernait. L'objection est vraie; et Platon moins que personne l'eût repoussée. Mais il faut bien que la science donne des noms aux choses qu'elle étudie; il faut bien qu'elle les distingue et les appelle d'a

près leurs caractères les plus saillants. Par exemple, est-il possible de nier que la démocratie n'ait été dominante à Athènes, et que Sparte ne se soit régie en république, ainsi que Rome devait le faire plus tard depuis l'expulsion des Tarquins jusqu'à l'usurpation du premier des Césars? Cette théorie, qui assigne aux choses politiques le nom et la définition convenables, est aussi vraie qu'elle est indispensable à la science; et c'est à Platon qu'on la doit, bien que lui non plus il n'ait peut-être pas été le premier à en parler *.

La Politique de Platon s'appuie donc aussi sur l'histoire, bien que l'histoire n'en soit ni la base la plus ferme, ni la source la plus profonde.

A côté de tant de mérites, vérité, sagesse, simplicité, réalité, grandeur, cete politique en possède encore un autre qui n'y est pas moins éclatant, et qui doit nous toucher, s'il ne doit pas nous surprendre. Ce dernier et suprême mérite, c'est l'honnêteté. On sent en étudiant Platon que son âme est dévouée tout entière au bien, et qu'elle est aussi pure qu'intelligente. On peut signaler dans ces théories des erreurs et des lacunes; mais la conscience la plus scrupuleuse n'y surprendra ni une mauvaise intention, ni un sentiment douteux.

* Voir Hérodote, liv. III, ch. LXXX, LXXXI, LXXXII et LXXXIII.

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