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êtres. Il suit, pour la politique, sa méthode habituelle, comme il se hâte de le déclarer dès les premières lignes de son ouvrage; et cette méthode, c'est l'analyse. Il ne pense pas, comme Platon, qu'il puisse, en quelque sorte, créer l'État et le façonner, suivant les lumières de son esprit ou les vœux de son cœur. Il le prend tel qu'il existe, bien ou mal constitué. Il recherche quels en sont les éléments indécomposables. Il fait la théorie de ces éléments essentiels d'après les faits évidents et exacts que l'observation lui fournit. Puis, sans prétendre les combiner conformément aux lois d'une raison supérieure, il se contente de montrer comment ils se sont le plus ordinairement combinés; et mettant à profit cette immense érudition qu'il avait puisée dans le Recueil des Constitutions, formé par lui, et qui n'en renfermait pas moins de cent cinquante, il classe et distingue les États jusque dans leurs nuances les plus subtiles. Mais dans cette classification même, il s'en tient aux constitutions politiques qui se produisent le plus habituellement. Enfin, il couronne son œuvre par la théorie des changements politiques qui bouleversent ou améliorent les sociétés; et comme ces changements ont des causes très-diverses, suivant les diversités mêmes des États, il enseigne, l'histoire toujours en main, quelles sont ces causes si nombreu

ses, et souvent si cachées ou si faibles, appliquant toute sa sagacité et son expérience consommée à indiquer les moyens de prévenir tant de

maux.

Si l'on se rappelle quelques-unes des principales circonstances de la vie d'Aristote, on verra qu'indépendamment de son génie propre, ces circonstances ont pu contribuer puissamment à imprimer à sa politique cette direction toute historique. Aristote était fils du médecin d'Amyntas II, roi de Macédoine. Il avait été élevé dès sa plus tendre enfance à la cour de ce roi; et dès lors, avaient commencé ces relations qui en firent d'abord le camarade des jeux de Philippe, puis son ami, et enfin le précepteur de son fils. Plus tard, Aristote vécut dans l'intimité d'Hermias, tyran d'Atarnée en Asie Mineure; et quand il fut appelé par Philippe pour achever l'éducation d'Alexandre, il se trouva placé, à l'âge de quarante et un ans, et pendant sept ou huit années de suite, au centre et dans le secret des plus grandes choses de son temps la lutte de Philippe contre la Grèce, l'avénement de son jeune élève au trône, et les préparatifs de l'expédition qui devait détruire l'empire des Perses. Aristote passa donc une grande partie de sa vie dans les cours; et il put y voir de très-près la pratique des affaires. Il paraît

que lui-même n'y resta pas non plus étranger. Il fut, dit-on, chargé par les Athéniens d'une mission diplomatique auprès de l'ancien compagnon de son enfance, et il donna des lois à Stagire, sa patrie. Ainsi, tout en restant philosophe, Aristote fut presque constamment un personnage politique. Platon aussi l'avait été durant quelque temps; et il avait nourri pour le service des peuples les plus nobles projets, que Denys repoussa et que Dion ne put pas réaliser. Mais ce contact des affaires avait eu peu d'influence sur Platon; il en eut au contraire beaucoup sur Aristote, qui, s'exagérant peut-être l'importance des faits, comme y sont portés la plupart des hommes d'État, n'a pas su toujours remonter assez haut vers leur origine, et s'est contenté d'en retracer le tableau fidèle, au lieu de les juger au nom des principes de la justice et de la raison.

Cette préoccupation est si vive dans Aristote que, pour la science politique comme pour le reste de la philosophie, il a fait de l'étude de l'histoire une loi expresse, et l'a, par ses conseils et son exemple, élevée à la hauteur d'une méthode. Le second livre de la Politique est consacré tout entier à l'examen critique des théories antérieures et des constitutions les plus célèbres. Aristote interroge ses devanciers, non pas pour les

combattre, comme la critique l'a prétendu; non point pour faire briller son esprit aux dépens du leur, comme il s'en défend lui-même; mais pour recueillir ce que ces théories et ces constitutions peuvent renfermer de bon et d'applicable, en évitant ce qu'elles ont de défectueux. Dans un autre ordre d'études, le premier livre de la Métaphysique a un but tout pareil; le premier livre du Traité de l'Ame est rempli par des recherches et des discussions du même genre; et quelques autres traités moins considérables reproduisent des procédés analogues. C'est ainsi qu'Aristote a pu justement être appelé le premier historien de la philosophie; et, de nos jours, la philosophie, en se livrant à l'étude de l'histoire, n'a fait que l'imiter, et suivre ses excellents préceptes avec plus de rigueur encore que lui-même.

Entre les mains d'Aristote, quelque habiles qu'elles soient, la méthode historique a porté, comme on pouvait s'y attendre, quelques-unes des conséquences assez peu louables qu'elle renferme. Quand on se borne à l'étude des faits, on est trop souvent conduit à s'en faire l'apologiste. C'est sur cette pente à peu près irrésistible qu'Aristote a glissé quand il a traité de l'esclavage. Il ne s'en est pas fait l'aveugle défenseur, comme on l'a répété plus d'une fois. Loin de là, l'esclavage, tel qu'il est

établi de son temps, fondé d'ordinaire sur la violence, et résultant de la guerre, lui semble injustifiable. Il reconnaît en outre que bien des esclaves seraient dignes de la liberté, pour laquelle la nature les a faits, et que bien des hommes libres mériteraient l'esclavage, que le hasard seul leur a épargné. Mais s'il ne défend pas dans l'esclavage les désordres trop évidents qui l'accompagnent et les iniquités flagrantes qui le souillent, il essaye de l'expliquer théoriquement; et cette explication est bien près d'être une apologie. Exagérant les différences que Platon avait signalées dans les diverses natures des hommes, et qui sont bien réelles, il ne soutient pas seulement, comme son maître, que les uns sont faits pour le commandement politique et les autres pour l'obéissance. Il va jusqu'à soutenir que les uns sont faits naturellement pour la liberté et les autres pour l'esclavage. L'esclave est celui qui ne doit point s'appartenir, parce qu'il ne saurait se guider lui-même, et qui ne peut rendre service à la société que comme ces bêtes vigoureuses que l'homme associe à ses travaux. Ainsi qu'elles, l'esclave est un instrument vivant; et puisque la cité et la ville ne doivent point se passer des instruments qui leur sont indispensables, l'esclavage est légitime, l'esclavage est naturel, au même titre que l'acquisition des biens nécessaires à la vie. Et

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