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sút le grec, et en général il ne cite l'Ancien comme le Nouveau Testament que d'après la Vulgate. Or, sans savoir l'hébreu nousmême, il nous suffit de jeter les yeux sur la Bible hébraïquefrançaise de M. Cahen, pour reconnaitre à combien de discussions peuvent donner lieu les différences entre la Vulgate et le texte original, discussions que Pascal n'aborde jamais. Une difficulté plus grave encore est celle que soulèvent les discordances qui paraissent dans les récits comparés des évangélistes; c'est sur cette seule espèce de critique que le docteur Strauss a construit laborieusement son audacieux ouvrage. Pascal ne touche qu'un seul point (xv, 15) et ne daigne pas le discuter. Les questions d'authenticité ne l'arrêtent pas davantage; on ne trouve dans les Pensées que quelques notes sur la fable d'Esdras (Append., 24), que Port-Royal n'avait pas même recueillies, et un mot sur l'Evangile de saint Matthieu (XIX, 9), qui laisse certainement beaucoup à désirer. Mais il ne dit rien sur l'authenticité des livres de Moïse : rien sur celle des livres des prophètes, et notamment de ces prophéties particulières dont il parle au paragraphe XVIII, 5. Par exemple, lorsque dans un livre qui porte le nom de Daniel, et la date du règne de Cyrus, on voit développé non-seulement le démembrement de l'empire d'Alexandre, et les monarchies qui en sortent, et l'empire romain s'élevant sur ces monarchies; mais encore (voyez page 233) les moindres détails de l'histoire des rois de Syrie et d'Égypte, de leurs démêlés, de leurs alliances, de leurs intrigues; des critiques demandent, s'il n'est pas permis de croire qu'une fraude pieuse a voulu consacrer, en les rapportant à un prophète des anciens àges, les sentiments inspirés par des événements contemporains. Ce sont là des doutes où Pascal n'est pas entré.

A la place de ces discussions, ou rebattues ou prématurées, que voyons-nous? Encore la doctrine ardue du Dieu caché; et à la suite celle des Figures. La Figure (a) est le voile que Dieu met sur sa parole quand il ne veut pas être entendu; figure pour le chrétien à qui elle est transparente, et qui voit Dieu au travers; ombre et nuit pour le réprouvé qui s'y arrête, et n'aperçoit rien au delà. La doctrine des

les arguments de ceux qui soutiennent (comme Pascal) qu'on ne peut la démontrer. Il emploie particulièrement la preuve tirée des merveilles de l'univers, et cite à l'appui ces mots d'Isaïe: Et videte quis creavit hæc (XL, 26).

(a) Voyez les articles xv et xvi, et la note 8 de la page 410.

Figures, aussi bien que celle du Dieu caché, est autorisée par l'Écriture et par la tradition; mais Pascal y porte sa rigueur géométrique et systématique, et pousse les choses à l'extrême comme il fait partout. L'Église croit que tel événement de l'Ancien Testament a figuré telle vérité de l'Évangile, ou même que la loi de Moïse tout entière figurait la loi de JÉSUS-CHRIST; que le judaïsme était la préparation du christianisme; que ce ne sont là que deux états successifs de la religion du vrai Dieu, qui est une dans son fond comme ce Dieu lui-même (a). Mais l'Église n'en reconnaît pas moins la religion juive comme étant déjà quelque chose par soi, de sorte que si elle était figure par rapport à l'avenir, elle était pourtant aussi réalité dans le présent. Mais pour Pascal, l'ancienne loi n'est que figure, et hors de la figure, elle n'est rien. L'alliance de Dieu avec Abraham, la circoncision, la terre promise, les sacrifices, le temple, pure apparence. C'est en cela que toute la religion des Juifs semblait consister essentiellement, dit Pascal, et il ajoute : « Je dis » qu'elle ne consistait en aucune de ces choses, mais seulement en » l'amour de Dieu, et que Dieu réprouvait toutes les autres choses. » Voyez tout l'article XXI. Ainsi jamais Dieu n'a vraiment préféré les enfants d'Abraham; il n'a jamais vraiment voulu la circoncision du corps, ni vraiment promis une terre riche et fertile pour récompense à ses fidèles, ni vraiment accepté le sacrifice des animaux, etc. Sous toutes ces images il faut entendre les enfants de l'Église, la circoncision du cœur, les joies du ciel, le sacrifice de JÉSUS-CHRIST Sur la croix. Si Dieu a dit qu'il donnerait aux siens la victoire sur leurs ennemis, cela signifie qu'il rendra ses saints victorieux de la concupiscence, car la concupiscence est le seul véritable ennemi. Les Juifs ont pris à la lettre ces figures, ils ont cru à des promesses de biens terrestres ou à des menaces de maux temporels : c'est qu'ils n'avaient pas la charité (voyez XVI, 13); car pour qui l'a dans le cœur, rien de terrestre ne saurait être ni bien ni mal; il n'y a de bien que Dieu, unique objet d'amour, ni de mal que le péché, unique objet de haine. Ceux des Juifs en qui Dieu avait mis sa grâce entendaient tout cela comme l'entendent aujourd'hui les chrétiens; ou plutôt ceux-là n'étaient pas des Juifs, ils étaient déjà chrétiens. La

(a) Voyez Balzac, Dissertation xv, dans ses Dissertations chrétiennes et morales. Voyez surtout Bossuet dans le développement magnifique de la Suite de la religion, qui forme la seconde partie du Discours sur l'histoire universelle.

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religion est divine dans la tradition de ces saints, qui ont assez fait entendre qu'ils n'entendaient pas la loi à la lettre, mais elle est ridicule dans la tradition du peuple (x1x, 7; xv, 10, etc.). Voici maintenant la portée de ce hardi symbolisme. L'opposition, au moins apparente, entre le judaïsme et le christianisme, est une des objections les plus fortes qu'on ait jamais faites aux chrétiens. Pourquoi, disent les Juifs, nous qui étions un peuple choisi, sommes-nous maintenant les réprouvés? Comment Dieu a-t-il changé? Pourquoi deux lois et deux testaments? Les philosophes disent la même chose, non dans le même esprit que les Juifs; ils ne se plaignent pas que Dieu soit devenu chrétien; mais ils s'étonnent qu'il ne l'ait pas toujours été; tout dans le judaïsme les scandalise, tout leur parait terrestre et grossier, ils n'y voient qu'une superstition barbare. La réponse de Pascal est surprenante et périlleuse, mais décisive: Non, Dieu n'a jamais été le Dieu des Juifs; s'il est appelé le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, c'est parce que ces saints appartenaient au Christ avant que le Christ eût paru au monde; mais les Juifs, comme Juifs, ont toujours été réprouvés : leur loi n'est que la figure de la loi, et leur Testament que le chiffre du vrai Testament. Non, cette religion juive, bornée aux choses des sens, et ainsi anti-chrétienne, n'a jamais été en aucun temps la religion, mais un simulacre trompeur, sous lequel la religion demeurait cachée aux yeux qui ne devaient pas la voir. C'est ainsi que les difficultés tombent, non pas coupées seulement, mais déracinées. Et sans que Pascal s'embarrasse de discuter tel ou tel passage de la Bible qui pourrait heurter le sens humain, la Bible entière est, pour ainsi dire, mise hors de cause; il n'y faut lire que l'Evangile qui y est enveloppé, et tout ce qui n'est qu'enveloppe doit être écarté hardiment. De sorte que, comme toute objection philosophique était détruite par cette doctrine, que Dieu a voulu que le grand nombre fût aveuglé, de même, toute objection historique est ruinée par celle-ci, que la lettre du judaisme n'est autre chose que le moyen même employé de Dieu pour produire cet aveuglement.

Ce n'est pas que cette argumentation soit de l'invention de Pascal; il en avait trouvé ailleurs les éléments (a), et on y reconnaît la

(a) Dans Grotius, par exemple; voyez page 266, note 6.

subtilité du moyen âge (a). Mais ce qui est bien à lui, c'est sa manière serrée, obstinée, tranchante. Quel autre que Pascal eût écrit des paroles comme celles-ci : « Tous ces sacrifices et cérémonies » étaient donc figures ou sottises; or, » etc. (XVI, 16, à la fin). Et encore (XIX, 8), en comparant la Bible et le Coran : « De deux per>> sonnes qui disent des sots contes, l'un qui a double sens, en>> tendu dans la cabale [c'est la Bible], l'autre qui n'a qu'un sens » [c'est le Coran], si quelqu'un, n'étant pas du secret, entend dis» courir les deux en cette sorte, il en fera même jugement. Mais si >> ensuite, etc. » Pascal, cela est curieux, se défiait du symbolisme; il avait jeté sur le papier cette note : « Parler contre les trop grands >> figuratifs » (voyez page 395, note 3); et lui-même, le voilà figuratif, au point de dire que, si la Bible n'est pas figure, elle est sottise! On ne s'étonne pas que MM. de Port-Royal aient effacé de pareils discours, et en aient redouté le scandale.

Au reste, que de choses il a fallu retrancher ou tempérer au moins dans les Pensées! Pascal combat avec tant d'intrépidité et de confiance, que loin d'avoir peur de l'objection, il l'adopte avec complaisance, la fortifie, et l'exagère même, pour que la victoire soit éclatante et sans retour. Je l'ai comparé à un joueur, mais c'est un joueur si sûr de ses coups, qu'il veut absolument rendre des points. De là les singulières concessions, les téméraires avances qu'on lit dans le texte authentique : « Il y a des figures claires et démonstra»tives, mais il y en a d'autres qui semblent un peu tirées par les » cheveux, et qui ne prouvent qu'à ceux qui sont persuadés d'ail» leurs (XVI, 1). » « David n'avait qu'à dire qu'il était le Messie, » s'il eût eu de la vanité, car les prophéties sont plus claires de lui » que de Jésus-Christ (Append., 44), » etc. Ce langage n'est que la conséquence du principe que la vérité doit être obscure, et que chaque ombre qui épaissit cette obscurité vient de Dieu. Il s'emporte à la fois par la logique et par la passion. Tandis que les plus fermes théologiens s'épouvantent à la pensée de l'enfer et de la damnation du plus grand nombre, Pascal déclare que la justice de Dieu envers les réprouvés doit moins choquer (b) que sa miséricorde envers les élus (x, 1, p. 144). D'autres aiment à dire que ceux mêmes qui ne

(a) On peut voir, dans le fragment 27 de l'Appendice, un échantillon du génie allégorique des rabbins.

(b) Port-Royal a mis seulement, est moins étonnante.

sentent pas la foi en eux ne peuvent s'empêcher de trouver la religion grande et belle, qu'ils la respectent et en sont touchés. Pascal, au contraire, écrit ces mots, que Port-Royal efface encore : « Les > hommes ont mépris pour la religion, ils en ont haine, et peur » qu'elle soit vraie (xxiv, 26). » Il semble qu'il lui fasse honneur en la montrant détestée, car l'aimer serait un bon sentiment, et il ne faut pas qu'il puisse y avoir un bon sentiment en dehors d'elle (a). Il fait l'impie bien méprisant et bien haineux, afin qu'il soit bien méprisable et bien haïssable; il voit en lui le damné, ou plutôt le diable même. La triste folie des incrédules l'irrite plus qu'elle ne l'attendrit (p. 134); c'est l'aveu qui lui échappe. Il les plaint cependant, quoique avec une pitié amère. Mais il n'est que sec et dur à l'égard des infidèles; je veux dire de ceux que leur nom même et leur race séparent plus visiblement de l'Église, comme les Juifs ou les Turcs, et qui semblent ainsi marqués, après Caïn, du sceau de la réprobation. Il met les Turcs en dehors de l'humanité, comme on pouvait faire au temps des croisades (vI, 49; XXIV, 16). Il est sans entrailles pour les Juifs. Il écrit : « C'est une chose étonnante et di» gne d'une étrange attention, de voir le peuple juif subsister depuis » tant d'années, et de le voir toujours misérable : étant nécessaire » pour la preuve de Jésus-Christ, et qu'ils subsistent pour le prouver, » et qu'ils soient misérables (XIX, 4). » Quand Pascal parlait ainsi, son esprit ne voyait pas les changements qui se préparaient dans le monde comme dans les âmes. Si à ce moment même où nous sommes, à cette date du milieu du siècle, où ses vraies pensées, jusque-là ensevelies dans des manuscrits restés muets, viennent de sortir de leur silence, lui-même pouvait reparaître avec elles, qu'apercevrait-il en s'éveillant de son sommeil? L'émancipation des Juifs, leur admission dans la famille humaine et dans la cité, faisant l'honneur de la France qui l'a depuis longtemps accomplie, et le travail de tous les peuples qui l'accomplissent à leur tour.

Les fragments sur les miracles (article XXIII), qui ont été l'origine du reste des Pensées, comme nous l'apprend Mme Perier (voyez pages vii et xxii), ne semblent pourtant pas écrits contre les athées ou les incrédules, mais seulement contre les ennemis du jansénisme. Tous se rapportent à la défense d'un miracle particulier, le miracle

(a) Cf. x1, 9, où il dit que la vraie religion est la seule qui soit contre nature et contre le sens commun.

C

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