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phes ont bien plutôt prétendu d'y arriver; et c'est là où tous ont achoppé1. C'est ce qui a donné lieu à ces titres si ordinaires, « Des » principes des choses, » « Des principes de la philosophie, » et aux semblables, aussi fastueux en effet, quoique non en apparence, que cet autre qui crève les yeux", De omni scibili3.

On se croit naturellement bien plus capable d'arriver au centre des choses que d'embrasser leur circonférence. L'étendue visible du

Mais l'infinité, Pascal avait écrit cette phrase, qu'il a barrée : On voit d'une première vue que l'arithmétique seule fournit des propriétés sans nombre, et chaque science de même.

« Ont achoppé. » Bossut ont choppé. C'est de la forme achopper (qui manque dans le Dictionnaire de l'Académie) que vient le substantif achoppement.

2 « Des principes. » C'est le titre du célèbre ouvrage de Descartes : Principia philosophia.

3 « En effet. » C'est-à-dire en réalité.

4 « Qui crève les yeux. » C'est-à-dire dont l'orgueil, dont la présomption saute aux yeux, crève les yeux. Pascal avait mis d'abord : qui blesse la vue. Plus l'expression est familière, plus elle est méprisante, et plus elle condamne la science et ses prétentions.

5 « De omni scibili. » C'est-à-dire de tout ce qui peut se savoir. « C'est le titre » des thèses que Jean Pic de la Mirandole soutint avec grand éclat à Rome, à l'âge » de vingt-quatre ans. » (Note de l'édition Bossut.)

Cette note n'est pas bien exacte. Pic de la Mirandole, étant venu à Rome en 4486 (il n'avait pas encore vingt-quatre ans), publia une liste de 900 conclusions ou propositions qu'il s'engageait à soutenir publiquement contre tous les savants qui se présenteraient pour les attaquer; mais il ne les soutint pas, ses ennemis ayant dénoncé au pape quelques-unes de ses propositions, et lui ayant fait défendre toute discussion publique. Ces thèses ne sont pas rangées sous un titre général, tel que De omni scibili. Il les a fait précéder d'un préambule de quelques lignes, qui annonce qu'elles se rapportent à la dialectique, à la morale, à la physique, aux mathématiques, à la métaphysique, à la théologie, à la magie, à la science de la cabale, et qu'elles se divisent en deux sortes de propositions, les unes qui lui appartiennent, les autres qui ont été produites par des savants chaldéens, arabes, hébreux, grecs, égyptiens et latins. Elles sont distribuées par séries. La série des thèses mathématiques qui lui sont propres commence par onze propositions, dont la onzième est ainsi conçue: Per numeros habetur via ad omnis scibilis investigationem et intellectionem, ad cujus conclusionis verificationem polliceor me ad infra scriptas LXXIV quæstiones per viam numerorum responsurum. C'est-à-dire : « La voie des nombres peut conduire » à la découverte et à l'intelligence de tout ce qui tombe sous la connaissance; et » pour vérifier cette proposition, je m'engage à répondre par la voie des nombres >> aux 74 questions ci-dessous. » Voici quelques-unes de ces 74 questions: 4. S'il y a un Dieu; 2. S'il est infini; 3. S'il est la cause universelle;... 25. Si la création du monde extérieur procède nécessairement de l'essence divine qui est substance en trois personnes... (OEuvres de Pic de la Mirandole, Bâle, 4601, page 67). Remarquons pourtant que l'omne scibile marque plutôt la vanité extraordinaire d'un homme, qu'une trop grande confiance dans les forces de l'esprit humain en général, puisque par cette expression même on distingue ce qui peut être connu de ce qui ne peut pas l'être.

6 « On se croit. » P. R. a donné cet alinéa, mais au titre XXXI, à un tout autre endroit que celui où il avait placé le commencement du morceau. Bossut a fait comme P. R. (I, vi, 26).

monde nous surpasse visiblement; mais comme c'est nous qui surpassons les petites choses, nous nous croyons plus capables de les posséder; et cependant il ne faut pas moins de capacité1 pour aller jusqu'au néant que jusqu'au tout. Il la faut infinie pour l'un et l'autre ; et il me semble que qui aurait compris les derniers principes des choses pourrait aussi arriver jusqu'à connaître l'infini, L'un dépend de l'autre, et l'un conduit à l'autre. Les extrémités se touchent et se réunissent à force de s'être éloignées, et se retrouvent en Dieu, et en Dieu seulement.

Connaissons donc notre portée; nous sommes quelque chose et ne sommes pas tout. Ce que nous avons d'être nous dérobe la connaissance des premiers principes, qui naissent du néant, et le peu que nous avons d'être nous cache la vue de l'infini.

Notre intelligence tient dans l'ordre des choses intelligibles le même rang que notre corps dans l'étendue de la nature.

Bornés en tout genre, cet état qui tient le milieu entre deux extrêmes se trouve en toutes nos puissances.

Nos sens n'aperçoivent rien d'extrême. Trop de bruit nous assourdit; trop de lumière éblouit; trop de distance et trop de proximité empêche la vue; trop de longueur et trop de brièveté du discours l'obscurcit; trop de vérité nous étonne : j'en sais qui ne peuvent comprendre que qui de zéro ôte 4 reste zéro. Les pre

ceau

De capacité. » On se rappelle que Pascal avait d'abord intitulé tout le mor-
Incapacité de l'homme; il a mis ensuite disproportion.

2 « Ce que nous avons d'être. » Voir la note à la fin de l'article. que nous avons d'étre. » C'est-à-dire, le trop peu.

« Et le peu

3 a Bornés en tout genre, cet état. » P. R., XXII. Tout ce qui suit, jusqu'à : et la terre s'ouvre jusqu'aux abimes, a été rattaché immédiatement par les anciens éditeurs au commencement du morceau, et placé après l'alinéa: Que fera-t-il done?

Du discours l'obscurcit. » Discours est pris ici dans un sens très-général, comme le dos des Grecs; c'est tout ce qu'on dit ou ce qu'on écrit. Ainsi, page 6; et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours. C'est à-dire de nos réflexions, de notre raisonnement.

5 Trop de vérité. » Ce qui suit, jusqu'à pour nous, manque dans P. R., soit que les éditeurs n'aient pas approuvé la pensée de Pascal, soit qu'ils ne l'aient pas comprise. J'avoue qu'en effet je ne puis comprendre comment qui de zéro ôle quatre reste zéro. Dans la langue vulgaire, ôter quatre de zéro n'a aucun sens; et dans la langue mathématique, si de zéro on ôte quatre, il reste, et non pas zéro. Peutêtre en effet qu'il s'est trompé en écrivant, et que c'était là ce qu'il voulait mettre. Il aurait pu citer aussi la propriété des asymptotes; c'est là une vérité qui étonne beaucoup de gens. Mais cependant peut-on dire qu'il y ait jamais quelque part trop de vérité, trop d'évidence? Quand on s'étonne d'une vérité, est-ce parce qu'elle est trop vraie, trop évidente, ou seulement parce qu'elle est abstraite et ne tombe pas sous le sens?

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miers principes ont trop d'évidence pour nous. Trop de plaisir incommode. Trop de consonnances déplaisent dans la musique1; et trop de bienfaits irritent2: nous voulons avoir de quoi surpayer la dette': Beneficia eo usque læta sunt dum videntur exsolvi posse; ubi multum antevenere, pro gratia odium redditur.

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Nous ne sentons ni l'extrême chaud, ni l'extrême froid. Les qualités excessives nous sont ennemies, et non pas sensibles : nous ne les sentons plus, nous les souffrons. Trop de jeunesse et trop de vieillesse empêchent l'esprit; trop et trop peu d'instruction".... Enfin, les choses extrêmes sont pour nous comme si elles n'étaient point', et nous ne sommes point à leur égard : elles nous échappent, ou nous à elles.

Voilà notre état véritable. C'est ce qui nous rend' incapables de

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1 «<< Dans la musique. » Supprimé dans P. R. On pourrait croire alors qu'il s'agit des consonnances de mots dans le discours. Voici la définition des consonnances en musique d'après le Dictionnaire de musique de Rousseau : « C'est, suivant l'étymo»logie du mot, l'effet de deux ou plusieurs sons entendus à la fois; mais on restreint > communément la signification de ce terme aux intervalles formés par deux sons » dont l'accord plaît à l'oreille. »

P. R. a supprimé aussi tout le reste de la phrase. Les éditeurs ont jugé peutêtre que cette observation morale se rapportait à un tout autre ordre d'idées, et que la délicatesse d'amour-propre, qui nous rend souvent impatients d'un bienfait trop supérieur à notre reconnaissance, n'a rien de commun avec la faiblesse naturelle de notre faculté de sentir.

2 << Irritent. >> Pascal avait mis d'abord : nous rendent ingrats; il a trouvé cela trop faible.

3 << La dette. » Pascal avait ajouté ces mots, qu'il a barrés: Si elle nous passe,

elle blesse.

4 « Beneficia. » C'est un passage de Tacite (Ann., IV, 18), cité par Montaigne dans le chapitre de l'Art de conférer (III, 48, p. 448); il ne dit que ce qu'exprime la phrase de Pascal.

5 « Nous les souffrons. » Remarquer comme cette phrase est amenée par la précédente. Dans un bon style, les expressions les plus fortes et les plus concentrées doivent être préparées par d'autres, de manière à satisfaire l'esprit et à le frapper sans l'étonner.

6 << Trop et trop peu d'instruction. » Il y a après ces mots un point bien formé dans le manuscrit. P. R. supplée l'abétissent. Mais, avec trop peu d'instruction, on n'est pas abêti; on demeure seulement dans la bêtise naturelle. (Cf. I, 48.) C'est plutôt, trop et trop peu d'instruction empêchent l'esprit, comme tout à l'heure.

7 << Si elles n'étaient point. » On lit ailleurs dans le manuscrit (p. 439): Deux infinis. Milieu. Quand on lit trop vite ou trop doucement, on n'entend rien. Et ailleurs encore (p. 23): Trop et trop peu de vin: ne lui en donnez pas, il ne peut trouver la vérité; donnez-lui en trop, de même. Cf. 111, 2.

« C'est ce qui nous rend. » P. R.: C'est ce qui resserre nos connaissances en de certaines bornes que nous ne passons pas, incapables de savoir tout et d'ignorer tout absolument. Il est clair que cette altération et les autres qui vont être indiquées ont pour but de prévenir le trouble et le découragement que de pareilles idées pourraient porter dans les esprits. C'est un petit mal de ne pas savoir tout; c'en est un grand de ne rien savoir certainement, avec certitude.

miers principes ont trop d'évidence pour nous. Trop de plaisir incommode. Trop de consonnances déplaisent dans la musique'; et trop de bienfaits irritent2: nous voulons avoir de quoi surpayer la dette Beneficia eo usque læta sunt dum videntur exsolvi posse; ubi multum antevenere, pro gratia odium redditur.

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Nous ne sentons ni l'extrême chaud, ni l'extrême froid. Les qualités excessives nous sont ennemies, et non pas sensibles : nous ne les sentons plus, nous les souffrons'. Trop de jeunesse et trop de vieillesse empêchent l'esprit; trop et trop peu d'instruction*.... Enfin, les choses extrêmes sont pour nous comme si elles n'étaient point', et nous ne sommes point à leur égard : elles nous échappent, ou nous à elles.

Voilà notre état véritable. C'est ce qui nous rend' incapables de

1 << Dans la musique. » Supprimé dans P. R. On pourrait croire alors qu'il s'agit des consonnances de mots dans le discours. Voici la définition des consonnances en musique d'après le Dictionnaire de musique de Rousseau : « C'est, suivant l'étymo»logie du mot, l'effet de deux ou plusieurs sons entendus à la fois; mais on restreint >> communément la signification de ce terme aux intervalles formés par deux sous » dont l'accord plaît à l'oreille. »

P. R. a supprimé aussi tout le reste de la phrase. Les éditeurs ont jugé peutêtre que cette observation morale se rapportait à un tout autre ordre d'idées, et que la délicatesse d'amour-propre, qui nous rend souvent impatients d'un bienfait trop supérieur à notre reconnaissance, n'a rien de commun avec la faiblesse naturelle de notre faculté de sentir.

<< Irritent. >> Pascal avait mis d'abord : nous rendent ingrats; il a trouvé cela trop faible.

3 « La dette.» Pascal avait ajouté ces mots, qu'il a barrés: Si elle nous passe, elle blesse.

<< Beneficia. » C'est un passage de Tacite (Ann., IV, 48), cité par Montaigne dans le chapitre de l'Art de conférer (III, 48, p. 448); il ne dit que ce qu'exprime la phrase de Pascal.

5 « Nous les souffrons. » Remarquer comme cette phrase est amenée par la précédente. Dans un bon style, les expressions les plus fortes et les plus concentrées doivent être préparées par d'autres, de manière à satisfaire l'esprit et à le frapper sans l'étonner.

6 « Trop et trop peu d'instruction. » Il y a après ces mots un point bien formé dans le manuscrit. P. R. supplée l'abétissent. Mais, avec trop peu d'instruction, on n'est pas abêti; on demeure seulement dans la bêtise naturelle. (Cf. 11, 48.) C'est plutôt, trop et trop peu d'instruction empêchent l'esprit, comme tout à l'heure.

7 « Si elles n'étaient point. » On lit ailleurs dans le manuscrit (p. 439): Deux infinis. Milieu. Quand on lit trop vite ou trop doucement, on n'entend rien. Et ailleurs encore (p. 23) Trop et trop peu de vin : ne lui en donnez pas, il ne peut trouver la vérité; donnez-lui en trop, de méme. Cf. 111, 2.

a C'est ce qui nous rend. » P. R.: C'est ce qui resserre nos connaissances en de certaines bornes que nous ne passons pas, incapables de savoir tout et d'ignorer tout absolument. Il est clair que cette altération et les autres qui vont être indiquées ont pour but de prévenir le trouble et le découragement que de pareilles idées pourraient porter dans les esprits. C'est un petit mal de ne pas savoir tout; c'en est un grand de ne rien savoir certainement, avec certitude.

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savoir certainement et d'ignorer absolument. Nous voguons1 sur un milieu vaste, toujours incertains et flottants, poussés d'un bout vers l'autre 2. Quelque terme où nous pensions nous attacher et nous affermir, il branle et nous quitte; et si nous le suivons, il échappe à nos prises, nous glisse et fuit d'une fuite éternelle. Rien ne s'arrête pour nous'. C'est l'état qui nous est naturel, et toutefois le plus contraire à notre inclination : nous brûlons de désir de trouver une assiette ferme et une dernière base constante, pour y édifier une tour' qui s'élève à l'infini; mais tout notre fondement' craque, et la terre s'ouvre jusqu'aux abîmes.

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1 « Nous voguons. » P. R.: nous sommes. — « Sur un milieu. » Montaigne, Apol., p. 326 « Nous n'avons aulcune communication à l'estre, parce que toute humaine » nature est tousiours au milieu, entre le naistre et le mourir, etc.

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• Poussés d'un bout vers l'autre. » Supprimé dans P. R.

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3 << Quelque terme. » P. R. a mis: Et si nous pensons aller plus avant, notre objet branle et échappe à nos prises; il se dérobe et fuit d'une fuite éternelle; rien ne le peut arréter.

Rien ne s'arrête pour nous. » — « La raison, dit Montaigne (ibid.) se treuve >> deceue, ne pouvant rien apprehender de subsistant et permanent. » Tout ce passage de Montaigne doit être rapproché de Pascal.

5 « De trouver une assiette ferme. » P. R.: d'approfondir tout, et d'édifier.

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« Une tour. » Allusion à la tour de Babel.

« Mais tout notre fondement. » P. R. mais tout notre édifice. En même temps que P. R., dans tout cet alinéa, dénature la pensée de Pascal, il défigure aussi étrangement son style. La comparaison rend cela plus sensible; mais lors même qu'on n'avait que le texte de P. R., si un éditeur avait fait sur ce texte un travail d'analyse pareil à celui que nous faisons ici, il aurait été fort embarrassé de certains détails. Si nous pensons aller plus avant qu'est-ce qu'aller plus avant quand on est sur un milieu? Notre objet branle quel objet? On ne voit rien à quoi cela se rapporte. Il n'y a aucune analogie entre l'idée d'approfondir tout et celle d'édifier une tour. Il n'y a aucune suite nécessaire entre un édifice qui craque et la terre qui s'ouvre; mais toutes les expressions de Pascal sont aussi justes et aussi suivies qu'elles sont vives. Nous voguons poussés d'un bout vers l'autre, c'està-dire essayant tour à tour de comprendre le chaud et le froid, la naissance et la mort, le tout et les élements. Nous cherchons un terme où nous attacher et nous affermir, mais il branle et nous quitte. Nous nous obstinons peut-être, nous le suivons; il nous échappe et fuit à jamais (ne plus ne moins, dit Montaigne, que qui vouldroit empoigner l'eau. Ibid.). Rien ne le peut arrêter ne serait qu'une addition insignifiante; mais Pascal dit : Rien ne s'arrête, rien n'est fixe et permanent. Le désir qui nous brûle, et dont Pascal était tourmenté, ce n'est pas tout d'abord de tout connaître, d'atteindre à l'infini; c'est de trouver, au milieu de cette fluctuation universelle, une assiette ferme où on puisse ensuite bâtir à l'aise. Mais tout notre fondement craque, le fondement, et non l'édifice. Si ce n'était que l'édifice, on en serait quitte pour reconstruire; si ce n'était que l'édifice, il n'y aurait pas de raison pour que le sol manquât sous les pas. Mais c'est le fondement qui s'enfonce, et la terre s'ouvre jusqu'aux abimes pour notre absolu désespoir. Le travail des éditeurs de P. R. prête à Pascal bien des impropriétés de style, et le fait parler comme un écrivain inhabile qui ne sait pas dire ce qu'il veut. Mais puisqu'ils avaient résolu de ne pas laisser arriver au public toute sa pensée, il faut encore leur savoir gré d'avoir conservé à l'admiration des lecteurs quelque chose de ce beau passage, même au prix de tant d'altérations.

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