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savoir certainement et d'ignorer absolument. Nous voguons' sur un milieu vaste, toujours incertains et flottants, poussés d'un bout vers l'autre. Quelque terme : où nous pensions nous attacher et nous affermir, il branle et nous quitte ; et si nous le suivons , il échappe à nos prises, nous glisse et fuit d'une fuite éternelle. Rien ne s'arrête pour nous. C'est l'état qui nous est naturel, et toutefois le plus contraire à notre inclination : nous brûlons de désir de trouver une assiette ferme et une dernière base constante, pour y édifier une tour qui s'élève à l'infini; mais tout notre fondement? craque, et la terre s'ouvre jusqu'aux abimes.

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notre

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« Nous voguons. o P. R. : nous sommes. - « Sur un milieu. » Montaigne, Apol., p. 326 : « Nous n'avons aulcune communication à l'estre, parce que toute humaine o nature est tousiours au milieu, entre le naistre et le mourir, » etc.

? a Poussés d'un bout vers l'autre. » Supprimé dans P. R.

3 « Quelque terme. » P. R. a mis : Et si nous pensons aller plus avanı, objet branle et échappe à nos prises; il se dérobe et suit d'une fuite éternelle; rien ne le peut arréter.

Rien ne s'arrête pour nous. » - La raison, dit Montaigne (ibid.) se treuve deceue, ne pouvant rien apprehender de subsistant et permanent. » Tout ce passage de Montaigne doit être rapproché de Pascal.

« De trouver une assiette ferme. » P. R. : d'approfondir tout, et d'édifier.

a Une tour. » Allusion à la tour de Babel. ia Mais tout notre fondement. » P. R. : mais tout notre édifice. En même temps que P. R., dans tout cet alinéa, dénature la pensée de Pascal, il défigure aussi étrangement son style. La comparaison rend cela plus sensible; mais lors même qu'on n'avait que le texte de P. R., si un éditeur avait fait sur ce texte un travail d'analyse pareil à celui que nous faisons ici, il aurait été fort embarrassé de certains détails. Si nous pensons aller plus avant : qu'est-ce qu'aller plus avant quand on est sur un milieu ? Notre objet branle : quel objet? On ne voit rien à quoi cela se rapporte. Il n'y a aucune analogie entre l'idée d'approfondir tout et celle d'édifier une tour. Il n'y a aucune suite nécessaire entre un édifice qui craque et la terre qui s'ouvre; mais toutes les expressions de Pascal sont aussi justes et aussi suivies qu'elles sont vives. Nous voguons poussés d'un bout vers l'autre, c'està-dire essayant tour à tour de comprendre le chaud et le froid, la naissance et la mort, le tout et les élements. Nous cherchons un terme où nous attacher et nous affermir, mais il branle et nous quitte. Nous nous obstinons peut-être, nous le suivons; il nous échappe et fuit à jamais (ne plus ne moins, dit Montaigne, que qui vouldroit empoigner l'eau. Ibid.). Rien ne le peut arrêter ne serait qu'une addition insignifiante; mais Pascal dit : Rien ne s'arréte, rien n'est fixe et permanent. Le désir qui nous brule, et dont Pascal était tourmenté, ce n'est pas tout d'abord de tout connaitre, d'atteindre à l'infini; c'est de trouver, au milieu de cette fluctuation universelle, une assiette ferme où on puisse ensuite batir à l'aise. Mais tout notre fondement craque, le fondement, et non l'édifice. Si ce n'était que l'édifice, on en serait quitte pour reconstruire; si ce n'était que l'édifice, il n'y aurait pas de raison pour que le sol manquât sous les pas. Mais c'est le fondement qui s'enfonce, et la terre s'ouvre jusqu'aux abimes pour notre absolu désespoir. Le travail des édileurs de P. R. préte à Pascal bien des impropriétés de style, et le fait parler comme un écrivain inhabile qui ne sait pas dire ce qu'il veut. Mais puisqu'ils avaient résolu de ne pas laisser arriver au public toute sa pensée, il faut encore leur savoir gré d'avoir conservé à l'admiration des lecteurs quelque chose de ce beau passage, même au prix de tant d'altérations.

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Ne cherchons donc point d'assurance et de fermeté. Notre raison est toujours déçue? par l'inconstance des apparences; rien ne peut fixer le fini entre les deux.infinis qui l'enferment et le fuient'.

Cela étant bien compris, je crois qu'on se tiendra en repos, chacun dans l'état où la nature l'a placé. Ce milieu qui nous est échu en partage étant toujours distant des extrêmes, qu'importe que l'homme ait un peu plus d'intelligence 4 des choses ? S'il en a', il les prend un peu de plus haut. N'est-il pas toujours infiniment éloigné du bout', et la durée de notre vie' n'est-elle pas également infiniment (éloignée] de l'éternité, pour durer dix ans davantage?

Dans la vue de ces infinis, tous les finis sont égaux; et je ne vois pas pourquoi asseoir son imagination plutôt sur un que sur l'autre. La seule comparaison que nous faisons de nous au fini nous fait peine.

Si l'homme s'étudiait le premier, il verrait combien il est incapable de passer outre. Comment se pourrait-il qu'une partie

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« Ne cherchons donc point. » Cet alinéa et les deux suivants manquent dans P. R.

a Notre raison est toujours déçue. » Nous avons vu tout à l'heure dans Montaigne : « La raison se treuve deceue. »

« L'enferment et le fuient. » Quelle imagination dans l'expression, pour dire que toute recherche aboutit nécessairement à l'infini, et qu'elle ne peut pourtant y atteindre! On conçoit bien qu'à la rigueur il n'y a qu'un infini pour notre esprit, et non pas deux, mais il s'étend en deux sens.

* « Un peu plus d'intelligence. » C'est-à-dire un peu plus qu'il n'en aurait en de philosophant pas, en se tenant en repos.

5 a S'il en a. » N'est pas bien correct pour dire s'il en a un peu plus.

6 « Du bout. » Bossut : des extrêmes. Cette expression a paru plus noble; elle est moins juste. Tout à l'heure il lallait un terme mathématique, ce milieu étant toujours distant des extrémes; maintenant il faut un terme familier : le philosophe, si loin qu'il aille, n'ira pas au bout. Il ne s'agit plus des extrêmes.

« Et la durée de notre vie. » Dans Bossut : el la durée de notre plus longue vie n'est-elle pas infiniment éloignée de l'éternité? La phrase de Pascal, alourdie par ces deux adverbes, également, infiniment, n'est pas une phrase bien faite; mais ce chiffre précis de dix ans rend l'idée bien plus sensible que l'expression vague notre plus longue vie. Cela donne comme une mesure de la distance qu'il peut y avoir entre un grand philosophe et le vulgaire; et ce chiffre nous frappe d'autant plus qu'il est rejeté à la fin de l'alinéa.

« La seule comparaison. » C'est-à-dire si la conscience de notre ignorance nous fait peine, c'est en rous comparant à une intelligence finie comme la nôtre et plus grande que la nôtre, comme celle d'un philosophe supérieur; mais, en nous comparant à l'intini, vous trouverions que le philosophe n'est pas plus que nous, et cela nous consolerait. Comme s'il y avait : la comparaison seule.

9 « Si l'homme. » Tout ce qui suit jusqu'à la fin a été donné par P. R. à la suite de l'olinéa : On se croit naturellement, xxxi. (Bossut, !, vi, 26.)

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connût le tout ? Mais il aspirera peut-être à connaitre au moins les parties avec lesquelles il a de la proportion'. Mais les parties du monde ont toutes un tel rapport et un tel enchainement l'une avec l'autre, que je crois impossible de connaitre l'une sans l'autre et sans le tout.

L'homme, par exemple, a rapport à tout ce qu'il connait. Il a besoin de lieu pour le contenir, de temps pour durer, de mouvement pour vivre, d'éléments pour le composer, de chaleur et d'aliments pour le nourrir, d'air pour respirer. Il voit la lumière, il sent les corps ; enfin tout tombe sous son alliance 2,

Il faut donc, pour coppaitre l'homme, savoir d'où vient qu'il a besoin d'air pour subsister ; et pour connaitre l'air, savoir par où il a rapport à la vie de l'homme, etc.

La flamme ne subsiste point sans l'air : donc, pour connaître l'un, il faut connaitre l'autre.

Donc toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et toutes s'entre-tenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens impossible de connaître les parties sans connaitre le tout, non plus que de connaitre le tout sans connaitre particulièrement les parties.

I « De la proportion.» Toujours l'idée fondamentale du morceau : l'homme est en disproportion avec l'ensemble; ne sera-t-il pas en proportion avec quelques parties?

2 « Sous son alliance, » Pascal avait écrit d'abord sous ses recherches, puis sous 82 dépendance; mais l'idée qu'il voulait rendre est que l'homme a un lien, qu'il est en société, en alliance avec toutes choses.

3 « De l'homme, etc. » P. R. supprime l'etc., qui est nécessaire pour qu'on applique le même raisonnement à l'espace, au temps, au mouvement.

• « S'entre-tenant. » En deux mots, c'est-à-dire, se tenant entre elles. Ce n'est pas le verbe entretenir.- a Toutes choses étant causées. » Ce participe ne s'emploie pas d'ordinaire absolument. « Médiales et immédiates. » Il parait appeler les choses médiales quand elles sont considérées comme effet, immédiates quand elles sont considérées comme causes, car chaque étre existe par lui-même en un sens, et par les autres étres en un autre sens.

6 « Je tiens impossible. » Pascal avait mis d'abord : « Je tiens impossible d'en connaitre aucune seule sans toutes les autres, c'est-à-dire impossible purement et » absolument. D « Non plus que. » Ce terme demanderait au commencement de la phrase une négation, comme : Je liens qu'il n'est pas possible, etc. A la suite de cet alinéa , on trouve dans le manuscrit le suivant, que Pascal a barré : « L'éternité » des choses en elles-mêmes ou en Dicu doit encore étonner notre petite durée. » L'immobilité fixe et constante de la nature, (par) comparaison au changement con

tinuel qui se passe en pus, doit faire le même effet. » Il aurait fallu à ces pensées un développement.

Et ce qui achève” notre impuissance à connaitre les choses est qu'elles sont simples en elles-mêmes, et que nous sommes conposés de deux natures opposées et de divers genres : d'âme et de corps. Car il est impossible que la partie qui raisonne en nous soit autre que spirituelle ?; et quand on prétendrait que nous serions simplement corporels, cela nous exclurait bien davantage de la connaissance des choses, n'y ayant rien de si inconcevable que de dire que la matière se connaît soi-même. Il ne nous est pas possible de connaitre comment elle se connaîtrait.

Et ainsi si nous sommes simplement matériels, nous ne pouvons rien du tout connaître “; et si nous sommes composés d'esprit et de matière, nous ne pouvons connaitre parfaitement les choses simples, spirituelles et corporelles.

De là vient que presque tous les philosophes confondent les idées des choses, et parlent des choses corporelles spirituellement

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a Et ce qui achève. » P. R. : Et ce qui achève peut-être.

« Que spirituelle. » Descartes, Discours de la Méthode : « Puis examinant avec v attention ce que j'étais, et voyant que je pouvais feindre que je n'avais aucun » corps, et qu'il n'y avait aucun monde ni aucun lieu où je fusse; mais que je ne » pouvais pas feindre pour cela que je n'étais point... ; je condus de là que j'étais » une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser, et qui, pour » être, n'a pas besoin d'aucun lieu, ni ne dépend d'aucune chose matérielle..., ) etc.

« Il ne nous est pas possible. » Phrase supprimée dans P. R., ainsi que l'alinéa suivant, pour abréger. Mais fallait-il abréger ce qui présente la démonstration dans toute sa force? Pascal avait écrit d'abord : « Et ce qui achève notre impuissance » est la simplicité des choses comparée avec notre état double et composé. Il y a » des absurdités invincibles à combattre ce point; car il est aussi absurde qu'impie » de nier que l'homme est composé de deux parties de différente nature, d'âme et v » de corps. Cela nous rend impuissants à connaitre toutes choses (c'est-à-dire à con» naitre quelque chose que ce soit}; que si on nie cette composition, et qu'on pré» tende que nous sommes tout corporels, je laisse juger combien la matière est » incapable de connaitre la matière. Rien n'est plus impossible que cela. Concevons » donc que ce mélange d'esprit et de boue nous disproportionne. » Remarquer ce dernier mot. On voit d'ailleurs que la seconde rédaction de Pascal est toujours plus vive et plus nette que la première.

" « Rien du tout connaitre. » Toutes ces propositions sont le fond même de la métaphysique cartésienne, et Pascal aurait dû savoir gré à Descartes de les avoir si bien établies dans les esprits.

6 a Spirituelles et corporelles. » Il y avait d'abord : « Les choses simples; car » comment connaitrions-nous distinctement la matière, puisque notre suppot , qui » agit en cette connaissance, est en partie spirituel ? et comment connaitrions-nous » nettement les substances spirituelles, ayant un corps qui nous aggrave (nous » appesantit) et nous baisse vers la terre? » Cf. Sagesse, ix, 15 : Corpus enim... aggrarat animam, et terrena inhabitatio deprimit sensum. Notre suppót, c'est notre substance, le sujet qui est en nous.

• Et parlent des choses. » P. R. : et altribué aux corps ce qui n'apparlient qu'aux esprils el aut esprits ce qui ne peut convenir qu'aux corps. En effet, parler

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la preuve de notre faiblesse, je finirai par ces deux considérations 1...

2.

Je puis bien concevoir 2 un homme sans mains, pieds, tête', car ce n'est que l'expérience qui nous apprend que la tête est plus nécessaire que les pieds. Mais je ne puis concevoir l'homme sans pensée, ce serait une pierre ou une brute.

Disproportion de l'homme. Seulement les idées contenues dans la troisième et la quatrième phrase de ce résumé n'ont pas été traitées par Pascal; ce sont celles que nous avons vues indiquées dans quelques lignes que lui-même a barrées ensuite avant le développement qui commence par : Et ce qui achève.

« Par ces deux considérations. » Quelles sont ces deux considérations que Pascal avait dans l'esprit et qu'il n'a pas rédigées? Je ne saurais le dire. • Nous devons faire remarquer, parmi les développements que ce morceau renferme, la considération des deux infinis. C'est une idée fondamentale dans la philosophie de Pascal, et elle fait l'objet principal d'un opuscule intitulé: De l'esprit géométrique (voir cet opuscule, p. 450). Il fait voir que nous concevons nécessairement comme divisibles à l'infini le temps, l'étendue, le mouvement, et cette condition de divisibilité infinie, il l'applique aux êtres eux-mêmes, les montrant comme suspendus, suivant une progression continue, entre les deux limites de l'infini et du néant. Mais ce qui est vrai de l'espace, du temps, du mouvement abstraits, l'est-il aussi des choses étendues qui se meuvent et qui durent? C'est ce qu'il ne songe pas à examiner. Il franchit sans hésiter un passage que d'autres ont déclaré infranchissable. Il fait plus ici : il lui échappe de parler du néant, non plus comme d'une limite idéale, mais comme de quelque chose de réel; il se laisse abuser par le langage des mathématiques. Le mathématicien, faisant entrer l'infiniment petit dans son calcul, le compte comme égal à zéro, parce que le calcul n'exprimant que des rapports, reconnus et mesurés par notre esprit, peut négliger une quantité en comparaison d'une autre, si elle lui est trop disproportionnée suivant notre mesure. Mais, dans la nature, il n'y a pas d'infiniment petit qui soit un néant, car le néant n'est pas. L'homme n'est pas un milieu entre rien et tout, car entre rien et tout il n'y a pas de milieu; rien n'est rien, ce n'est pas un terme à partir duquel on puisse prendre une distance. Dire que nous avons trop d'être pour comprendre les principes, parce que ces principes ont leurs racines dans le néant, c'est mettre des mots à la place des choses, le néant n'est pas un principe, rien n'est fait avec du néant; d'ailleurs il s'ensuivrait de ce raisonnement que, pour comprendre les principes, il faudrait n'avoir pas d'être. Pascal ici nous semble dupe de l'imagination, contre laquelle il a écrit des pages si éloquentes; mais son imagination, au lieu de se prendre aux objets qui touchent les sens, comme celle du vulgaire, s'attache à des signes mathématiques. Il réalise les nombres, comme Pythagore et Platon.

2 « Je puis bien concevoir.» 222. P. R., xxIII.

3 «Sans mains, pieds, tête. » P. R. a cru devoir adoucir ce dernier trait; il écrit: sans mains, sans pieds, et je le concevrais même sans téte, si l'expérience ne m'apprenait que c'est par là qu'il pense. On lit dans un dialogue posthume de Descartes, conservé dans une traduction latine qui a été publiée en 4704 : « Il m'a été > nécessaire, pour me considérer simplement tel que je me sais être, de rejeter » toutes ces parties ou tous ces membres qui constituent la machine humaine, c'està-dire il a fallu que je me considérasse sans bras, sans jambes, sans tête, en un » mot sans corps. » (Edition de M. Cousin, tome XI, page 364).

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