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la preuve de notre faiblesse, je finirai par ces deux considéra

tions'...

2.

Je puis bien concevoir 2 un homme sans mains, pieds, tête3, car ce n'est que l'expérience qui nous apprend que la tête est plus nécessaire que les pieds. Mais je ne puis concevoir l'homme sans pensée, ce serait une pierre ou une brute.

Disproportion de l'homme. Seulement les idées contenues dans la troisième et la quatrième phrase de ce résumé n'ont pas été traitées par Pascal; ce sont celles que nous avons vues indiquées dans quelques lignes que lui-même a barrées ensuite avant le développement qui commence par : Et ce qui achève.

« Par ces deux considérations. » Quelles sont ces deux considérations que Pascal avait dans l'esprit et qu'il n'a pas rédigées? Je ne saurais le dire. Nous devons faire remarquer, parmi les développements que ce morceau renferme, la considération des deux infinis. C'est une idée fondamentale dans la philosophie de Pascal, et elle fait l'objet principal d'un opuscule intitulé: De l'esprit géométrique (voir cet opuscule, p. 450). Il fait voir que nous concevons nécessairement comme divisibles à l'infini le temps, l'étendue, le mouvement, et cette condition de divisibilité infinie, il l'applique aux êtres eux-mêmes, les montrant comme suspendus, suivant une progression continue, entre les deux limites de l'infini et du néant. Mais ce qui est vrai de l'espace, du temps, du mouvement abstraits, l'est-il aussi des choses étendues qui se meuvent et qui durent? C'est ce qu'il ne songe pas à examiner. Il franchit sans hésiter un passage que d'autres ont déclaré infranchissable. Il fait plus ici : il lui échappe de parler du néant, non plus comme d'une limite idéale, mais comme de quelque chose de réel; il se laisse abuser par le langage des mathématiques. Le mathématicien, faisant entrer l'infiniment petit dans son calcul, le compte comme égal à zéro, parce que le calcul n'exprimant que des rapports, reconnus et mesurés par notre esprit, peut négliger une quantité en comparaison d'une autre, si elle lui est trop disproportionnée suivant notre mesure. Mais, dans la nature, il n'y a pas d'infiniment petit qui soit un néant, car le néant n'est pas. L'homme n'est pas un milieu entre rien et tout, car entre rien et tout il n'y a pas de milieu; rien n'est rien, ce n'est pas un terme à partir duquel on puisse prendre une distance. Dire que nous avons trop d'être pour comprendre les principes, parce que ces principes ont leurs racines dans le néant, c'est mettre des mots à la place des choses, le néant n'est pas un principe, rien n'est fait avec du néant; d'ailleurs il s'ensuivrait de ce raisonnement que, pour comprendre les principes, il faudrait n'avoir pas d'être. Pascal ici nous semble dupe de l'imagination, contre laquelle il a écrit des pages si éloquentes; mais son imagination, au lieu de se prendre aux objets qui touchent les sens, comme celle du vulgaire, s'attache à des signes mathématiques. Il réalise les nombres, comme Pythagore et Platon.

2 « Je puis bien concevoir. » 222. P. R., XXIII.

3 « Sans mains, pieds, tête. » P. R. a cru devoir adoucir ce dernier trait; il écrit sans mains, sans pieds, et je le concevrais même sans tête, si l'expérience ne m'apprenait que c'est par là qu'il pense. On lit dans un dialogue posthume de Descartes, conservé dans une traduction latine qui a été publiée en 4701: « Il m'a été » nécessaire, pour me considérer simplement tel que je me sais être, de rejeter » toutes ces parties ou tous ces membres qui constituent la machine humaine, c'està-dire il a fallu que je me considérasse sans bras, saus jambes, sans tête, en un > mot sans corps. » (Edition de M. Cousin, tome XI, page 364).

peut-être jamais affligé de n'avoir pas trois yeux, mais on est inconsolable de n'en point avoir.

5.

Nous avons une si grande idée de l'âme de l'homme, que nous ne pouvons souffrir d'en être méprisés, et de n'être pas dans l'estime d'une âme; et toute la félicité des hommes consiste dans cette estime.

La plus grande bassesse 2 de l'homme est la recherche de la gloire, mais c'est cela même qui est la plus grande marque de son excellence; car, quelque possession qu'il ait sur la terre, quelque santé et commodité essentielle qu'il ait, il n'est pas satisfait s'il n'est dans l'estime des hommes. Il estime si grande la raison de l'homme, que, quelque avantage qu'il ait sur la terre, s'il n'est placé avantageusement aussi dans la raison de l'homme, il n'est pas content. C'est la plus belle place du monde rien ne peut le détourner de ce désir, et c'est la qualité la plus ineffaçable du cœur de l'homme. Et ceux qui méprisent le plus les hommes, et qui les égalent aux bêtes, encore veulent-ils en être admirés et crus, et se conredisent à eux-mêmes' par leur propre sentiment leur nature, qui est plus forte que tout, les convainquant de la grandeur de l'homme plus fortement que la raison ne les convainc de leur bas

sesse.

6.

:

L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant'. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme

10

1 « Nous avons. » 75. Intitulé: Grandeur de l'homme. » P. R., XXIII.

2 « La plus grande bassesse. » Ibid. Cela est bien dur.

3 « S'il n'est placé... il n'est pas content. » P. R.: il se croit malheureux s'il n'est placé. Mais il est bien mieux de présenter d'abord les avantages, et de faire tomber la phrase sur ces mots qui les détruisent: il n'est pas content.

4 « La plus belle place du monde. » Image originale et frappante, bien préparée par ce qui précède.

S a Et ceux qui méprisent. » Les épicuriens.

6 « Et crus. >> Chute désagréable à l'oreille.

Sur cette pensée, cf. 11, 3.

7 « A eux-mêmes. » On ne dit plus aujourd'hui contredire à.

8 « L'homme n'est qu'un roseau. » 63. Dans le manuscrit cette pensée est marquée H, 3 (voir la première note sur le paragraphe 1). P. R., xxшi.

D

9 « Un roseau pensant. » Image admirable, justement célèbre. Elle a dû être préparće; elle semblerait bizarre si Pascal avait dit tout d'abord : L'homme est un roseau pensant. « Le plus faible. » L'imagination exagère toujours.

10 « Il ne faut pas. » Cette phrase ajoute beaucoup, par le contraste, à l'effet de a phrase suivante.

pour l'écraser. Une vapeur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer. Mais quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue', parce qu'il sait qu'il meurt 2, et l'avantage que l'univers a sur lui3. L'univers n'en sait rien.

Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever, non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser: voilà le principe de la morale ".

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7.

Il est dangereux de trop faire voir à l'homme combien il est égal aux bêtcs, sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui trop faire voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l'un et l'autre. Mais il est très-avantageux de lui représenter l'un et l'autre.

8.

Que l'homme' maintenant s'estime son prix. Qu'il s'aime, car il a en lui une nature capable de bien; mais qu'il n'aime pas pour cela

1 « Ce qui le tue. » Ce neutre même fait sentir que ce qui le tue n'est pas une intelligence, une personne.

2 « Parce qu'il sait qu'il meurt. » Cette protestation, où respire tout l'orgueil que peut donner à la pensée la conscience d'elle-même, c'est le cri de l'âme de Pascal, toujours malade, se sentant mourir, mais sachant qu'il meurt, et fier de cette force de génie qu'il appliquait à pénétrer le secret de sa chétive existence.

3

« Et l'avantage, etc. » Tous les éditeurs, jusqu'à présent, ont ponctué ce passage de la manière suivante et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sail rien. Nous pensons qu'il faut ponctuer comme nous l'avons fait dans le texte : parce qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui (en cela même). Cette courte phrase, l'univers n'en sait rien, a plus d'effet étant détachée, et elle est bien dans la manière brusque de Pascal. Au reste, en consultant le manuscrit autographe, nous n'avons trouvé aucun signe de ponctuation après qu'il meurt, et au contraire il y a un point très-bien formé après sur lu!.

4 « De la morale. » Pascal n'a rien écrit de plus beau que ces quelques lignes. On trouve dans le manuscrit (p. 465) une première ébauche de cette pensée, avec ce titre : Roseau pensant : « Ce n'est point de l'espace que je dois chercher ma dignité, mais » c'est du règlement de ma pensée. Je n'aurai pas davantage en possédant des terres. » Par l'espace, l'univers me comprend et m'engloutit comme un point; par la pensée, je le comprends. » Comprendre est pris ici dans son sens étymologique d'embrasser. Ce trait, par l'espace l'univers m'engloutit comme un point, peut servir de commentaire à ces mots de notre texte : «< L'espace et la durée que nous ne saurions » remplir. » Cf. xvII, 4.

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5 « Il est dangereux. » 235. P. R., XXIII.

« L'un et l'autre. » On trouve, à la suite de cette pensée, cette espèce de variante: « Il ne faut pas que l'homme croie qu'il est égal aux bêtes, ni aux anges, ni » qu'il ignore l'un et l'autre, mais qu'il sache l'un et l'autre. » Cf. vii, 13.

7 << Que l'homme. » 45. Cette pensée porte en titre : Contrariétés [c'est-à-dire contraires). Après avoir montré la bassesse et la grandeur de l'homme. P. R., XXIII.

pour l'écraser. Une vapeur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer. Mais quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue1, parce qu'il sait qu'il meurt 2, et l'avantage que l'univers a sur lui3. L'univers n'en sait rien.

Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever, non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser: voilà le principe de la morale ".

7.

Il est dangereux de trop faire voir à l'homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui trop faire voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l'un et l'autre. Mais il est très-avantageux de lui représenter l'un et l'autre.

8.

Que l'homme' maintenant s'estime son prix. Qu'il s'aime, car il a en lui une nature capable de bien; mais qu'il n'aime pas pour cela

« Ce qui le tue. » Ce neutre même fait sentir que ce qui le tue n'est pas une intelligence, une personne.

2 « Parce qu'il sait qu'il meurt. » Cette protestation, où respire tout l'orgueil que peut donner à la pensée la conscience d'elle-même, c'est le cri de l'âme de Pascal, toujours malade, se sentant mourir, mais sachant qu'il meurt, et fier de cette force de génie qu'il appliquait à pénétrer le secret de sa chétive existence.

3 « Et l'avantage, etc. » Tous les éditeurs, jusqu'à présent, ont ponctué ce passage de la manière suivante : et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien. Nous pensons qu'il faut ponctuer comme nous l'avons fait dans le texte : parce qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui (en cela même). Cette courte phrase, l'univers n'en sait rien, a plus d'effet étant détachée, et elle est bien dans la manière brusque de Fascal. Au reste, en consultant le manuscrit autographe, nous n'avons trouvé aucun signe de ponctuation après qu'il meurt, et au contraire il y a un point très-bien formé après sur lui.

D

4 « De la morale. » Pascal n'a rien écrit de plus beau que ces quelques lignes. On trouve dans le manuscrit (p. 465) une première ébauche de cette pensée, avec ce titre : Roseau pensant : « Ce n'est point de l'espace que je dois chercher ma dignité, mais » c'est du règlement de ma pensée. Je n'aurai pas davantage en possédant des terres. > Par l'espace, l'univers me comprend et m'engloutit comme un point; par la pensée, je le comprends. » Comprendre est pris ici dans son sens étymologique d'embrasser. Ce trait, par l'espace l'univers m'engloutit comme un point, peut servir de commentaire à ces mots de notre texte : « L'espace et la durée que nous ne saurions » remplir. » Cf. xvII, 4.

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5 « Il est dangereux. » 235. P. R., XXIII.

6 « L'un et l'autre. » On trouve, à la suite de cette pensée, cette espèce de variante: « Il ne faut pas que l'homme croie qu'il est égal aux bêtes, ni aux anges, ni » qu'il ignore l'un et l'autre, mais qu'il sache l'un et l'autre. » Cf. vii, 43.

7 « Que l'homme. »> 45. Cette pensée porte en titre : Contrariétés [c'est-à-dire contraires). Après avoir montré la bassesse et la grandeur de l'homme. P. R., XXIII.

les bassesses qui y sont. Qu'il se méprise, parce que cette capacité est vide; mais qu'il ne méprise pas pour cela cette capacité naturelle. Qu'il se haïsse, qu'il s'aime : il a en lui la capacité de connaître la vérité et d'être heureux; mais il n'a point de vérité, ou constante, ou satisfaisante1.

Je voudrais donc porter l'homme à désirer d'en trouver, à être prêt, et dégagé des passions, pour la suivre où il la trouvera, sachant combien sa connaissance s'est obscurcie par les passions; je voudrais bien qu'il haît en soi la concupiscence qui le détermine d'elle-même, afin qu'elle ne l'aveuglåt point pour faire son choix, et qu'elle ne l'arrêtât point quand il aura choisi.

9.

Je blâme également', et ceux qui prennent parti' de louer l'homme, et ceux qui le prennent de le blâmer, et ceux qui le prennent de se divertir; et je ne puis approuver que ceux qui cherchent en gémissant.

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6

Les stoïques disent: Rentrez au dedans de vous-mêmes; c'est là où vous trouverez votre repos : et cela n'est pas vrai. Les autres disent: Sortez au dehors; recherchez le bonheur en vous divertissant: et cela n'est pas vrai. Les maladies viennent le bonheur n'est ni hors de nous, ni dans nous; il est en Dieu, et hors et dans nous'.

10.

:

La nature de l'homme se considère en deux manières : l'une selon sa fin, et alors il est grand et incomparable; l'autre selon la

"

« Satisfaisante. » C'est-à-dire qui puisse rendre heureux. Mais qu'est-ce que cette capacité qui n'est capable de rien?

2 « D'elle-même. » C'est-à-dire sans le conseil de son intelligence, de sa raison.

3 « Je blâme également. » 487. Cette pensée manque dans P. R., qui l'a peutêtre jugée trop sombre. Voir l'art. IX, 5e alinéa, et xxiv, 50.

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4 « Qui prennent parti. » Nous dirions, qui prennent le parti, et ensuite, qui prennent celui de. Ceux qui louent sont les stoïciens, comme Epictète; ceux qui blâment sont les épicuriens, ceux qui se divertissent sont les indifférents. « Les stofques. 481. Manque dans P. R.

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Cf. VIII, 4, à la fin.

Pascal dit stoïques et non stoïciens.

« Les autres. » C'est-à-dire les épicuriens et les indifférents, qui, dans la pratique, se confondent.

7 « Et hors et dans nous. » C'est-à-dire que, étant en Dieu, il est ainsi et hors et dans nous. Hors nous, parce que nous ne sommes pas Dieu; dans nous, parce que dans nous nous retrouvons Dieu.

La nature. » 201. Manque dans P. R.

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