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multitude 1, comme l'on juge de la nature du cheval et du chien, par la multitude d'y voir 2 la course, et animum arcendi3; et alors l'homme est abject et vil. Voilà les deux voies qui en font juger diversement, et qui font tant disputer les philosophes. Car l'un nie la supposition de l'autre : l'un dit : il n'est pas né à cette fin, car toutes ses actions y répugnent; l'autre dit : il s'éloigne de sa fin quand il fait ces basses actions.

Deux choses instruisent l'homme de toute sa nature, 4 et l'expérience.

11.

l'instinct

Je sens que je peux n'avoir point été : car le moi consiste dans ma pensée; donc moi qui pense n'aurais point été, si ma mère eût été tuée avant que j'eusse été animé. Donc je ne suis pas un être nécessaire. Je ne suis pas aussi éternel, ni infini; mais je vois bien qu'il y a dans la nature un être nécessaire, éternel et infini.

ARTICLE II.

1.

Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être : nous voulons vivre dans l'idée des autres d'une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de paraitre. Nous travaillons incessamment à embellir et à conserver cet être

1 « Selon la multitude. » C'est-à-dire, à ce qu'il semble, selon ce qui se voit dans le grand nombre des hommes, selon le grand nombre des cas.

2 « La multitude d'y voir. » Si c'est bien là le texte, cette phrase barbare ne peut-elle pas s'entendre ainsi par la multitude des cas qui se présentent d'y voir la course, etc.? Bossut substitue, l'habitude.

3 « Animum arcendi. » Définition prisc sans doute de quelque physique latine des écoles, l'instinct d'arrêter, l'instinct du chien d'arrêt.

4 « Deux choses. » 273. Manque dans P. R. L'instinct, qui aspire à tout, nous apprend notre grandeur; l'expérience, qui nous fait voir que nous n'arrivons à rien, nous convainc de notre faiblesse. C'est là toute notre nature, suivant Pascal. 5 « Je sens, 425. Manque dans P. R. Pascal ne fait ici que résumer Descartes. 6 « Animé. » Comment Pascal croit-il avoir besoin de ce raisonnement pour prouver qu'il pourrait n'avoir pas été ? Parce que, en tant que matière, il se peut qu'il existe nécessairement, c'est-à-dire qu'il ne soit qu'une combinaison nécessaire d'éléments éternels. Mais ce n'est pas là son moi.

7 « Nous ne nous contentons pas. >> P. R., XXIV. Nous n'avons plus l'original de cette pensée, mais l'authenticité ne m'en paraît pas douteuse; le fond et la forme y sont très-dignes de Pascal. Que ce début est moqueur!

imaginaire1, et nous négligeons le véritable. Et si nous avons ou la tranquillité, ou la générosité, ou la fidélité, nous nous empressons de le faire savoir, afin d'attacher ces vertus à cet être d'imagination: nous les détacherions plutôt de nous pour les y joindre; et nous serions volontiers poltrons 2 pour acquérir la réputation d'être vaillants. Grande marque du néant de notre propre être, de n'être pas satisfait de l'un sans l'autre, et de renoncer souvent à l'un pour l'autre! Car qui ne mourrait pour conserver son honneur, celui-là serait infâme.

3

La douceur de la gloire est si grande, qu'à quelque chose qu'on l'attache, même à la mort, on l'aime.

2.

Orgueil, contre-pesant toutes les misères. Ou il cache ses misères; ou, s'il les découvre, il se glorifie de les connaître.

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L'orgueil nous tient d'une possession si naturelle au milieu de nos misères, erreurs, etc. Nous perdons encore la vie avec joie, pourvu qu'on en parle.

3.

La vanité est si ancrée dans le cœur de l'homme, qu'un soldat', un goujat, un cuisinier, un crocheteur se vante et veut avoir ses admirateurs : et les philosophes mêmes en veulent. Et ceux qui écrivent contre' veulent avoir la gloire d'avoir bien écrit; et ceux qui

1 « Cet être imaginaire. » Voilà un dédoublement de l'homme bien piquant : nous les détacherions plutôt de nous, trait excellent, qui n'est que l'idée qui précède : attacher ces vertus à cet étre d'imagination, poussée plus loin.

2 « Et nous serions volontiers poltrons. » Même idée, poussée jusqu'au bout. Cela est plein de verve; c'est le même talent d'ironie que dans les Provinciales.

3 << La douceur. » 21. P. R., ibid. En titre dans le manuscrit : Métiers. Cette pensée se rattachait sans doute à des réflexions sur le métier des soldats. Cf. 111, 4. « Orgueil. »73. En titre, Contradiction. P. R., XXIV.

4

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L'orgueil nous tient. » 49. P. R., ibid. En titre : Du désir d'étre estimé de ceux avec qui on est.

6 « La vanité. » 49. P. R., XXIV.

« Un soldat. >> Supprimé dans P. R. Il faut se rappeler qu'alors l'armée n'était pas ce qu'elle est maintenant. Les soldats, placés sous l'autorité d'un corps d'officiers gentilshommes avec qui ils n'avaient rien de commun, ne se recrutaient pas, comme aujourd'hui, parmi tout le peuple, mais parmi ceux qui n'étaient guère bons à autre chose, et formaient une populace où il n'y avait souvent d'estimable que la bravoure. On peut voir la manière dont en parle Fléchier dans l'Oraison funèbre de Turenne.

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« Un cuisinier. » P. R, un marmiton. P. R. permet au cuisinier d'être admiré. « Et ceux qui écrivent contre. » Montaigne, 1, 41, p. 477 : « Car, comme dict

le lisent veulent avoir la gloire de l'avoir lu; et moi qui écris ceci1, ai peut-être cette envie; et peut-être que ceux qui le liront...

4.

Malgré la vue de toutes nos misères, qui nous touchent3, qui nous tiennent à la gorge, nous avons un instinct que nous ne pouvons réprimer, qui nous élève.

4

5.

Nous sommes si présomptueux, que nous voudrions être connus de toute la terre, et même des gens qui viendront quand nous ne serons plus; et nous sommes si vains', que l'estime de cinq ou six personnes qui nous environnent nous amuse et nous contente.

6.

Curiosité n'est' que vanité. Le plus souvent on ne veut savoir que pour en parler'. Autrement on ne voyagerait pas sur la mer, pour ne jamais' en rien dire, et pour le seul plaisir de voir, sans espérance d'en jamais communiquer1o.

7.

Les villes11 par où on passe, on ne se soucie pas d'y être estimé; mais quand on y doit demeurer un peu de temps, on s'en soucie. Combien de temps12 faut-il? Un temps proportionné à notre durée vaine et chétive 13.

» Cicero [pro Archia, 44], ceulx mesmes qui la combattent, encores veulent-ils que » les livres qu'ils en escrivent portent au front leur nom, » etc.

1 « Et moi qui écris ceci. » Cf. vii, 9.

2

« Malgré la vue.» 47. P. R., XXIV.

3 « Qui nous touchent. » Non pas dans le sens de, qui nous émeuvent, mais qui sont tout près de nous, jusqu'à nous toucher.

4 « Nous sommes. » 416. P. R., xxiv.

a

« Si vains. » Dans le sens du latin vani, c'est-à-dire si légers, si peu sérieux dans notre orgueil, si faciles à nous contenter de choses vaines et vides.

6 « Nous amuse. » C'est-à-dire, nous occupe, nous captive.

7 a Curiosité n'est. » 75. Intitulé Orgueil. P. R., xxiv.

8 « Que pour en parler. » Usque adeo-ne Scire tuum nihil est nisi te scire hoc sciat aller? PERS., I, 26.

9

« Pour ne jamais. » Ce qui suit n'est que le développement du mot autrement, c'est-à-dire, si c'était pour ne jamais en rien dire.

10 « D'en communiquer. » D'en causer. Cf. vi, 23.

11 a Les villes. » 83. P. R., XXIV.

12 « Combien de temps? » L'effet de cette interrogation est bien plus grand que

s'il eût dit: Il ne faut qu'un temps proportionné, etc.

13 « Notre durée vaine et chétive. » Quelle mélancolie dans ces expressions!

8.

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La nature de l'amour-propre et de ce moi humain2 est de n'aimer que soi et de ne considérer que soi. Mais que fera-t-il3? Il ne saurait empêcher que cet objet qu'il aime ne soit plein de défauts et de misères : il veut être grand, et il se voit petit; il veut être heureux, et il se voit misérable; il veut être parfait, et il se voit plein d'imperfections; il veut être l'objet de l'amour et de l'estime des hommes, et il voit que ses défauts ne méritent que leur aversion et leur mépris. Cet embarras où il se trouve produit en lui la plus injuste et la plus criminelle passion qu'il soit possible de s'imaginer; car il conçoit une haine mortelle contre cette vérité qui le reprend, et qui le convainc de ses défauts. Il désirerait de l'anéantir", et, ne pouvant la détruire en elle-même, il la détruit, autant qu'il peut, dans sa connaissance et dans celle des autres : c'est-à-dire qu'il met tout son soin à couvrir ses défauts, et aux autres et à soi-même, et qu'il ne peut souffrir qu'on les lui fasse voir, ni qu'on les voie.

C'est sans doute un mal que d'être plein de défauts; mais c'est encore un plus grand mal que d'en être plein et de ne les vouloir pas reconnaître, puisque c'est y ajouter encore celui d'une illusion volontaire. Nous ne voulons pas que les autres nous trompent; nous ne trouvons pas juste qu'ils veuillent être estimés de nous plus qu'ils ne méritent il n'est donc pas juste aussi que nous les trompions,

<< La nature de l'amour-propre. » Ce morceau ne fait pas partie de ce qu'on doit appeler les Pensées. C'est un écrit de Pascal conservé à part; P. R. ne l'a pas fait entrer dans son édition. Mais comme il est peu étendu, nous avons cru pouvoir sans inconvénient le laisser à la place où il a été mis dans les éditions modernes. Il n'en existe pas d'original autographe, mais une copie contemporaine.

2 « Ce moi humain. » Cf. vi, 20.

3 « Que fera-t-il?» Cette interrogation fait sentir vivement le malaise qu'éprou vait Pascal en considérant ces contradictions qu'il voyait dans notre nature. Il en est de même de ces mots : Il ne saurait empêcher, etc., au lieu de dire simplement : Cet objet qu'il aime est plein de défauts et de misères. On voit qu'il se débat contre cette vérité. Sans cette émotion intérieure, il n'y a pas d'éloquence.

4« Il veut être. » Ces antithèses ne sont pas des ornements du langage : c'est le fond même de la pensée.

5 « Il désirerait de l'anéantir. » Que ce désir est étrange! et comme cependant il est clair qu'il doit en être ainsi! C'est le propre d'une vue profonde et d'une logique forte de nous amener ainsi d'une manière toute simple à des conclusions surprenantes. C'est là le mérite constant de ce morceau, mérite qu'on ne peut guère analyser en détail.

Il n'est donc pas juste. » Cela nous étonne, et pourtant cela est irrésistible.

et que nous voulions qu'ils nous estiment plus que nous ne méritons.

Ainsi, lorsqu'ils ne découvrent que des imperfections et des vices que nous avons en effet, il est visible qu'ils ne nous font point de tort, puisque ce ne sont pas eux qui en sont cause; et qu'ils nous font un bien, puisqu'ils nous aident à nous délivrer d'un mal, qui est l'ignorance de ces imperfections. Nous ne devons pas être fâchés qu'ils les connaissent, et qu'ils nous méprisent', étant juste et qu'ils nous connaissent pour ce que nous sommes, et qu'ils nous méprisent, si nous sommes méprisables.

Voilà les sentiments qui naîtraient d'un cœur qui serait plein d'équité et de justice. Que devons-nous dire donc du nôtre, en y voyant une disposition toute contraire? Car n'est-il pas vrai que nous haïssons la vérité et ceux qui nous la disent, et que nous aimons qu'ils se trompent à notre avantage, et que nous voulons être estimés d'eux autre que nous ne sommes en effet?

En voici une preuve qui me fait horreur2. La religion catholique n'oblige pas à découvrir ses péchés indifféremment à tout le monde : elle souffre qu'on demeure caché à tous les autres hommes; mais elle en excepte un seul, à qui elle commande de découvrir le fond de son cœur, et de se faire voir tel qu'on est. Il n'y a que ce seul homme au monde qu'elle nous ordonne de désabuser, et elle l'oblige à un secret inviolable, qui fait que cette connaissance est dans lui comme si elle n'y était pas. Peut-on s'imaginer rien de plus charitable et de plus doux? Et néanmoins la corruption de l'homme est telle, qu'il trouve encore de la dureté dans cette loi; et c'est une des principales raisons qui a fait révolter contre l'Église une grande partie de l'Europe.

Que le cœur de l'homme est injuste et déraisonnable, pour trouver mauvais qu'on l'oblige de faire à l'égard d'un homme ce qu'il

a Et qu'ils nous méprisent. » Supprimé dans les éditions. Pascal devait aller jusque-là. Cependant il est juste de dire que nous ne pourrions accorder aux autres le droit de nous mépriser qu'autant qu'eux-mêmes n'auraient rien de méprisable; et c'est ce qui ne peut pas être, puisqu'ils sont hommes aussi bien que

nous.

2 « Qui me fait horreur.» Pascal ne prend froidement rien de ce qu'il dit; ce n'est pas un curieux qui observe c'est un malade qui sonde sa plaie avec tristesse et dégoût. Le mot d'horreur n'est pas trop fort pour ce qu'il regarde comme une rés volte contre Dieu même.

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