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C'est ainsi que, sur le sujet du vide, ils avaient droit de dire que la nature n'en souffrait point, parce que toutes leurs expériences leur avaient toujours fait remarquer qu'elle l'abhorrait et ne le pouvait souffrir. Mais si les nouvelles expériences 2 leur avaient été connues, peut-être auraient-ils trouvé sujet d'affirmer ce qu'ils ont eu sujet de nier par là que le vide n'avait point encore paru. Aussi dans le jugement qu'ils ont fait que la nature ne souffrait point de vide, ils n'ont entendu parler de la nature qu'en l'état où ils la connaissaient; puisque, pour le dire généralement, ce ne serait assez de l'avoir vu constamment en cent rencontres, ni en mille, ni en tout autre nombre, quelque grand qu'il soit; puisque, s'il restait un seul cas à examiner, ce seul suffirait pour empêcher la définition générale, et si un seul était contraire, ce seul'. al 3..... Car dans toutes les matières dont la preuve consiste en expériences et non en démonstrations, on ne peut faire aucune assertion universelle que par la générale énumération de toutes les parties et de tous les cas différents. C'est ainsi que quand nous disons que le diamant est le plus dur de tous les corps, nous entendons de tous les corps que nous connaissons, et nous ne pouvons ni ne devons y comprendre ceux que nous ne connaissons point; et quand nous disons que l'or est le plus pesant de tous les corps, nous serions téméraires de comprendre dans cette proposition générale ceux qui ne sont point encore en notre connaissance,

on le voit par Aristote même qui combat leurs conjectures (Météor., I, 6). Voir aussi la belle exposition du VII livre des Questions naturelles de Séneque. - Du reste, cela n'empêche pas qu'il ne puisse y avoir partout, dans l'univers, production et destruction continuelle, ou, comme dit Pascal d'après les Grecs, génération et cor ruption (éves xai lopa); et que les soleils mêmes et les étoiles ne s'enflamment o ne s'éteignent en des points divers de l'espace et du temps. Voir le Cosmos, tome premier, page 88, de la traduction française.

ce

1a Et ne le pouvait souffrir. » Voir les prolégomènes des vaizé d'Héron d'A lexandrie. Les expériences de la succion, du siphon, etc., y sont expliquées par principe, qu'en aspirant l'air on fait un vide, et que ce vide étant contre nature (mapa qúo), et ne pouvant absolument subsister, le liquide s'élève aussitôt pour le remplir. Quant à la métaphore de l'horreur du vide, elle appartient, je pense, scolastique. Pascal lui-même avait adopté d'abord et le principe et la métaphore reçue : il eut peine à se détacher de cette croyance universelle du monde, comme il l'appelle quelque part. Voir la note 44 sur sa Vie. Il n'a donc pas de peine à excuser les anciens.

à la

2 << Expériences. » Voir le Récit de l'expérience du Puy-de-Dôme, publié par Pascal en 1648, et ses traités posthumes de l'Equilibre des liqueurs et de la Pesanteur de l'air.

a

« Ce seul. » Ce seul suffirait pour faire rejeter cette définition.

quoiqu'il ne soit pas impossible qu'ils soient en nature 1. De même quand les anciens ont assuré que la nature ne souffrait point de vide, ils ont entendu qu'elle n'en souffrait point dans toutes les expériences qu'ils avaient vues, et ils n'auraient pu sans témérité y comprendre celles qui n'étaient pas en leur connaissance. Que si elles y eussent été, sans doute ils auraient tiré les mêmes conséquences que nous, et les auraient par leur aveu autorisées de cette antiquité dont on veut faire aujourd'hui l'unique principe des sciences.

C'est ainsi que, sans les contredire, nous pouvons assurer le contraire de ce qu'ils disaient; et, quelque force enfin qu'ait cette antiquité, la vérité doit toujours avoir l'avantage, quoique nouvellement découverte, puisqu'elle est toujours plus ancienne que toutes les opinions qu'on en a eues 2, et que ce serait ignorer sa nature de s'imaginer qu'elle ait commencé d'être au temps qu'elle a commencé d'être connue 3.

«En nature. » En effet, nous connaissons maintenant le platine, qui est plus pesant que l'or.

2 « Qu'on en a eues.» Admirablement dit; ce sont de ces mots qui portent avec eux la lumière.

3 « D'être connue. » M. Faugère a justement rapproché de cette préface le fragment suivant, qu'on lit à la page 393 du manuscrit autographe et qui se rapportait au traité projeté par Pascal, comme le marque cette indication, Part. I, L. 11, C. 4, S. 4:

« Qu'y a-t-il de plus absurde que de dire que des corps inanimés ont des pas»sions, des craintes, des horreurs? Que des corps insensibles, sans vie, et même >> incapables de vie, aient des passions qui présupposent une âme au moins sensi>>tive pour les ressentir? De plus, que l'objet de cette horreur fût le vide? Qu'y a»t-il dans le vide qui puisse leur faire peur? Qu'y a-t-il de plus bas et de plus » ridicule? Ce n'est pas tout qu'ils aient en eux-mêmes un principe de mouve»ment pour éviter le vide? Ont-ils des bras, des jambes, des muscles, des nerfs? »> Il importe de faire observer, en finissant nos remarques sur ce morceau, que le vide sensible des physiciens pourrait n'être pas un vide réel. Le vide du corps de pompe et du baromètre est un vide sensible; les expériences le manifestent clairement, et font voir que les anciens se trompaient quand ils croyaient ce vide impossible, et quand ils s'imaginaient que la nature en a horreur, et qu'elle fait monter l'eau dans les pompes pour l'éviter. Mais cet espace, où nos sens ne perçoivent aucun corps résistant et pondérable, ne pourrait-il pas cependant être rempli par une matière plus subtile, telle que celle qui paraît produire la lumière? C'est ce que les expériences ne décident pas. Il y a, en outre, la question du vide considéré dans la composition même et la contexture de la matière, question de métaphysique plutôt que de physique, qui porte sur l'essence de la matière elle-même. C'est celle que tranchait la philosophie cartésienne quand elle soutenait, malgré le mouvement et toutes les autres apparences, qu'il n'y a pas de vide dans la nature, et que tout est plein. Pascal n'a pas touché à cette question, et nous n'avons pas à nous y engager ici.

DE L'ESPRIT GÉOMÉTRIQUE'.

1.

On peut avoir trois principaux objets dans l'étude de la vérité: l'un, de la découvrir quand on la cherche ; l'autre, de la démontrer quand on la possède; le dernier, de la discerner d'avec le faux quand on l'examine.

Je ne parle point du premier; je traite particulièrement du second, et il enfernie le troisième. Car, si l'on sait la méthode de prouver la vérité, on aura en même temps celle de la discerner, puisqu'en examinant si la preuve qu'on en donne est conforme aux règles qu'on connait, on saura si elle est exactement démontrée.

La géométrie, qui excelle en ces trois genres, a expliqué l'art de découvrir les vérités inconnues; et c'est ce qu'elle appelle Analyse,

Nous réunissons sous ce titre deux fragments qui forment les articles ii et ill de l'édition Bossut, et qui y sont intitulés, le premier, Réflexions sur la géométrie en général, et le second : De l'art de persuader.

M Faugère a cité un passage du Premier discours, placé en tête de la Logique de Port Royal, où il est dit que dans cette logique on a tiré plusieurs choses d'un petit écrit non imprimé, qui avait été fait par feu M. Pascal, et qu'il avait intitulé : De l'esprit géométrique. Mais il ne rapporte cette indication qu'au premier des deux fragments. Cependant, après les mots que nous avons cités, les auteurs de la Logique ajoutent immédiatement : « Et c'est ce qui est dit dans le chapitre xi de la » première partie, de la différence des définitions de nom et des définitions de chose, » et les cinq règles qui sont expliquées dans la quatrième partie (chap. ii et sui» vants), que l'on y a beaucoup pius étendues qu'elles ne le sont dans cet écrits Or, la distinction de: définitions de nom et de chose se trouve bien dans le premier fragment, mais c'est dans le second , dans celui qu'on intitule ordinairement : D! l'art de persuader, que les cinq règles dont il est question ici sont présentées. Donc, l'indication de la Logique de Port Royal se rapporte aux deux fragments à la fois, dont elle parle comme d'un seul écrit.

Dans l'un et l'autre fragment, l'auteur divise son sujet en deux parties, et n'a borde que la première. Pour cette première partie même, tous les deux sont incomplets. Le premier, quoique plus étendu, l'est tellement qu'on peut dire qu'il s'arréte aux préliminaires du sujet. Ce sont deux rédactions différentes d'un même travail; la première est commencée seulement; la seconde, qui va plus vite, va aussa plus loin. C'est ainsi que Pascal a laissé, d'une part, des fragments d'un grand Traité du vide, de l'autre une espèce de réduction achevée de ce traité dans le petit ovvrage qui se compose des deux écrits sur l'Equilibre des liqueurs et sur la Pesarteur de l'air.

On verra, par différents traits, que ces morceaux ont dù ètre écrits à une époque où les sentiments religieux de Pascal étaient déjà très-vifs , sans que son esprit für encore absorbé tout entier dans les méditations théologiques. J'imagine qu'il les a composés dans les premiers temps de sa retraite à Port Royal, un peu avant les Previnciales (1655). Le premier fragment a été publié pour la première fois par Coadorcet, d'une manière incomplete. Le second l'avait été par le P. Desmolets. Il s'en est conservé en manuscrit une copie, d'après laquelle M. Faugère les a données.

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et dont il serait inutile de discourir après tant d'excellents ouvrages qui ont été faits'.

Celui de démontrer les vérités déjà trouvées, et de les éclaircir de telle sorte que la preuve en soit invincible, est le seul que je veux donner; et je n'ai pour cela qu'à expliquer la méthode que la géométrie y observe; car elle l'enseigne parfaitement par ses exemples, quoiqu'elle n'en produise aucun discours. Et parce que cet art consiste en deux choses principales, l'une de prouver chaque proposition en particulier, l'autre de disposer toutes les propositions dans le meilleur ordre, j'en ferai deux sections, dont l'une contiendra les règles de la conduite des démonstrations géométriques, c'est-à-dire méthodiques et parfaites, et la seconde comprendra celles de l'ordre géométrique, c'est-à-dire méthodique et accompli : de sorte que les deux ensemble enfermeront tout ce qui sera nécessaire pour la conduite du raisonnement à prouver et discerner les vérités ; lesquelles ? j'ai dessein de donner entières.

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SECTION PREMIÈRE.
De la méthode des démonstrations géométriques, c'est-à-dire

méthodiques et parfaites. Je ne puis faire mieux entendre la conduite qu'on doit garder pour rendre les démonstrations convaincantes, qu'en expliquant celle que la géométrie observe.

[Mon objet] est bien plus de réussir à l'une qu'à l'autre, et je n'ai choisi cette science pour y arriver que parce qu'elle seule

6 sait les véritables règles du raisonnement, et, sans s'arrêter aux règles des syllogismes qui sont tellement naturelles qu'on ne peut les ignorer', s'arrête et se fonde sur la véritable méthode de con

a Qui ont été faits. » Chercher à désigner ces ouvrages, ce serait vouloir énumérer tous les travaux des mathématiciens, depuis Viète et Descartes.

a Lesquelles. » Lesquelles deux sections. Pascal n'a pas fait ce qu'il se promettait de faire.

3 « Est bien plus. » Cet alinéa et le suivant étaient sur un papier à part, à ce que nous apprend une note du copiste. J'ai rempli la lacune des premiers mots.

• « A l'une qu'à l'autre. » C'est-à-dire mon objet est bien plus de réussir dans la méthode générale de démontrer que dans la géométrie en particulier.

a Cette science. » La géométrie.
« Pour y arriver. » A la méthode de démontrer en général.

« Qu'on ne peut les ignorer. » On pourrait répondre à Pascal comme il répond lui-même dans le second fragment à ceux qui voudraient en dire autant des règles qu'il pose. Les règles naturelles des syllogismes ont aussi leur utilité et leur prix.

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duire le raisonnement en toutes choses, que presque tout le monde ignore, et qu'il est si avantageux de savoir que nous voyons par expérience qu'entre esprits égaux et toutes choses pareilles, celui qui a de la géométrie l'emporte et acquiert une vigueur toute nouvelle.

Je veux donc faire entendre ce que c'est que démonstration par l'exemple de celles de géométrie, qui est presque la seule des sciences humaines qui en produise d'infaillibles, parce qu'elle seule observe la véritable méthode, au lieu que toutes les autres sont par une nécessité naturelle dans quelque sorte de confusion que les seuls géometres savent extrêmement connaître.

Mais il faut auparavant que je donne l'idée d'une méthode encore plus éminente et plus accomplie, mais où les hommes ne sauraient jamais arriver : car ce qui passe la géométrie nous surpasse"; et néanmoins il est nécessaire d'en dire quelque chose, quoiqu'il soit impossible de le pratiquer.

Cette véritable méthode, qui formerait les démonstrations dans la plus haute excellence, s'il était possible d'y arriver, consisterait en deux choses principales : l'une, de n'employer aucun terme dont on n'eût auparavant expliqué nettement le sens; l'autre, de n'avancer jamais aucune proposition qu'on ne démontråt par des vérités déjà connues; c'est-à-dire, en un mot, à définir tous les termes et à prouver toutes les propositions 2. Mais, pour suivre l'ordre même que j'explique, il faut que je déclare ce que j'entends par définition.

On ne reconnaît en géométrie que les seules définitions que les logiciens appellent définitions de nom, c'est-à-dire que les seules impositions de nom aux choses qu’on a clairement désignées en termes parfaitement connus; et je ne parle que de celles-là seulement. Leur utilité et leur usage est d'éclaircir et d'abréger le discours, en exprimant par le seul nom qu'on impose ce qui ne pourrait se dire qu'en plusieurs termes; en sorte néanmoins que le nom imposé demeure dénué de tout autre sens, s'il en a, pour n'avoir plus que celui auquel on le destine uniquement. En voici un exemple. Si l'on a besoin de distinguer dans les nombres ceux qui sont divisibles en deux également d'avec ceux qui ne le sont pas, pour évi

' « Nous surpasse. » Cette phrase contient pour ainsi dire la transition de Pascal géomètre à Pascal pyrrhonien.

* « Toutes les propositions. Nous verrons plus loin ce qu'il faut penser de cette méthode si excellente.

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