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pour cette même grâce, qu'elle leur accorde avant même qu'ils aient été en état de la demander. Et si elle détestait si fort les chutes des premiers, quoique si rares, combien doit-elle avoir en abomination les chutes et rechutes continuelles des derniers, quoiqu'ils lui soient beaucoup plus redevables, puisqu'elle les a tirés bien plus tôt et bien plus libéralement de la damnation où ils étaient engagés par leur première naissance! Elle ne peut voir, sans gémir, abuser de la plus grande de ses grâces, et que ce qu'elle a fait pour assurer leur salut devienne l'occasion presque assurée de leur perte1. . .

1 « De leur perte. » Le texte porte encore ces mots : car elle n'a pas,... et s'arrête ainsi. Deux choses nous frappent également en lisant cet écrit de Pascal : la justesse de ses vues comme historien, et l'illusion de son zèle comme sectaire. L'évidence avec laquelle il prouve à un siècle de christianisme tempéré et facile combien il est loin du christianisme pur et rigoureux des premiers âges, ne condamnait-elle pas l'obstination des jansénistes à prétendre réformer l'Eglise sur le modèle des mœurs et de la discipline des temps primitifs? Il n'est donné à personne de faire revivre ce qui a vécu.

Sur les conditions exigées, au quatrième siècle, de ceux qui demandaient à être reçus dans l'Eglise, on peut consulter particulièrement dans saint Augustin le chapitre 6 du livre De Fide et operibus, et tout le livre De Catechisandis rudibus. Sur les cérémonies du baptême, telles que la renonciation au monde et au démon, voir les premiers chapitres du livre de saint Ambroise De Mysteriis.

La première chose que Dieu inspire à l'âme qu'il daigne toucher véritablement, est une connaissance et une vue tout extraordinaire par laquelle l'âme considère les choses et elle-même d'une façon toute nouvelle.

Cette nouvelle lumière lui donne de la crainte, et lui apporte un trouble qui traverse le repos qu'elle trouvait dans les choses qui faisaient ses délices. Elle ne peut plus gouter avec tranquillité les choses qui la charmaient. Un scrupule continuel la combat dans cette jouissance, et cette vue intérieure ne lui fait plus trouver cette douceur accoutumée parmi les choses où elle s'abandonnait avec une pleine effusion de cour. Mais elle trouve encore plus d'amertume dans les exercices de piété que dans les vanités du monde 2. D'une part, la présence : des objets visibles la touche plus que l'es

!« Du pécheur. v Fragment publié pour la première fois par Bossut. M. Faugère l'a donné d'après les manuscrits du P. Guerrier. Quoique le P. Guerrier dise qu'il ne sait de qui est cet écrit, et que l'auteur d'une note qui se trouve dans un autre manuscrit croie pouvoir l'attribuer à Jacqueline, je pense avec M. Faugère que Bossut ne s'est point trompé en le donnant comme de Pascal, et qu'on ne peut y méconnaitre sa manière. Mais je ne puis rapporter ce morceau à la date à laquelle on l'a rapporté. Il me semble que Pascal y exprime ce qui s'est passé dans son âme pendant ce temps critique de sa vie où s'accomplit laborieusement sa grande et dernière conversion, c'est-à-dire pendant l'année 1654. Voir à l'appui les notes suivantes.

Du monde. » On a une lettre de Jacqueline à Mme Perier, du 25 janvier 1655, où elle fait l'histoire de la conversion de son frère, et voici ce qu'on lit dans cette lettre : « Il me vint voir (vers la fin de septembre 1654), et à cette visite, il s'ou» vrit à moi d'une manière qui me fit pitié, en m'avouant qu'au milieu de ses occu» Pations, qui étaient grandes, et parmi toutes les choses qui pouvaient contribuer » à lui faire aimer le monde, el auxquelles on arail raison de le croire fort attaché, il » était de telle sorte sollicité de quitter tout cela, et par une aversion extrême qu'il » avait des folies et des amusements du monde (a), et par le reproche continuel que » lui faisait sa conscience, qu'il se trouvait détaché de toutes choses d'une telle ma» nière qu'il ne l'avait jamais été de la sorte , ni rien d'approchant : mais que » d'ailleurs il était dans un si yrand abandonnement du côté de Dieu, qu'il ne sentait » aucun allrait de ce côlé-; » etc. Ce que raconte Jacqueline n'est-il pas précisément ce que peint Pascal?

3 « La présence. » Nous croyons qu'il faut lire ainsi, et non pas la vanité, leçon qui ne donne pas un sens satisfaisant.

(a) Depuis plus d'un an, écrivait Jacqueline dans une lettre précédente (du 8 décembre 1654).

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pérance des invisibles, et de l'autre la solidité des invisibles la touche plus que la vanité des visibles. Et ainsi la présence des uns et la solidité des autres disputent son affection, et la vanité des uns et l'absence des autres excitent son aversion; de sorte qu'il nait dans elle un désordre et une confusion.

Elle considère les choses périssables comme périssantes et même déjà péries; et dans la vue certaine de l'anéantissement de tout ce qu'elle aime, elle s'effraye dans cette considération, en voyant que chaque instant lui arrache la jouissance de son bien, et que ce qui lui est le plus cher s'écoule à tout moment', et qu'enfin un jour certain viendra auquel elle se trouvera dénuée de toutes les choses auxquelles elle avait mis son espérance 2. De sorte qu'elle comprend parfaitement que son cœur ne s'étant attaché qu'à des choses fragiles et vaines, son âme doit se trouver seule et abandonnée au sortir de cette vie, puisqu'elle n'a pas eu soin de se joindre à un bien véritable et subsistant par lui-même, qui pût la soutenir et durant et après cette vie.

De là vient qu'elle commence à considérer comme un néant tout ce qui doit retourner dans le néant, le ciel, la terre, son esprit, son corps, ses parents', ses amis, ses ennemis; les biens, la pauvreté; la disgrâce, la prospérité; l'honneur, l'ignominie; l'estime, le mépris; l'autorité, l'indigence"; la santé, la maladie, et la vie même. Enfin tout ce qui doit moins durer que son âme est incapable de satisfaire le désir de cette âme, qui recherche sérieusement à s'établir dans une félicité aussi durable qu'elle-même.

Elle commence à s'étonner de l'aveuglement où elle a vécu; et quand elle considère d'une part le long temps qu'elle a vécu sans faire ces réflexions, et le grand nombre de personnes qui vivent de la sorte, et de l'autre combien il est constant que l'âme, étant

1 « A tout moment. » Cf. Pensées, XXIV, 16, second fragment: « C'est une chose » horrible de sentir s'écouler tout ce qu'on possède. >>

2 « Son espérance. » Voir la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies. Pascal a retrouvé les mêmes sentiments de Dieu qu'autrefois, comme s'exprime Jacqueline dans sa lettre.

3 « Ses parents. » Ajoutons que s'il compte les autres pour rien, il veut qu'à leur tour les autres le comptent pour rien lui-même : « Il est injuste qu'on s'attache » à moi. » Pensées, XXIV, 39, troisième fragment.

4 « L'autorité, l'indigence. >> C'est encore une antithèse, quoique moins nettement marquée l'indigence est l'état où on a besoin des autres (indigere), où on dépend d'eux.

5 « Et la vie même. » Voir la Prière pour la maladie.

immortelle comme elle est, ne peut trouver sa félicité parmi des choses périssables, et qui lui seront ôtées au moins à la mort, elle entre dans une sainte confusion, et dans un étonnement qui lui porte un trouble bien salutaire. Car elle considère que quelque grand que soit le nombre de ceux qui vieillissent dans les maximes du monde, et quelque autorité que puisse avoir cette multitude d'exemples de ceux qui posent leur félicité au monde, il est constant néanmoins que quand les choses du monde auraient quelque plaisir solide, ce qui est reconnu pour faux par un nombre infini d'expériences si funestes et si continuelles, il est inévitable que la perte de ces choses ou que la mort enfin nous en prive; de sorte que l'âme s'étant amassé des trésors de biens temporels de quelque nature qu'ils soient, soit or, soit science, soit réputation, c'est une nécessité indispensable qu'elle se trouve dénuée de tous ces objets de sa félicité; et qu'ainsi, s'ils ont eu de quoi la satisfaire, ils n'auront pas de quoi la satisfaire toujours; et que si c'est se procurer un bonheur véritable, ce n'est pas se proposer un bonheur bien durable, puisqu'il doit être borné avec le cours de cette vie1. De sorte que par une sainte humilité, que Dieu relève au-dessus de la superbe, elle commence à s'élever au-dessus du commun des hommes; elle condamne leur conduite, elle déteste leurs maximes, elle pleure leur aveuglement; elle se porte à la recherche du véritable bien; elle comprend qu'il faut qu'il ait ces deux qualités : J'une qu'il dure autant qu'elle, et qu'il ne puisse lui être ôté que de son consentement, et l'autre qu'il n'y ait rien de plus aimable '.

Elle voit que dans l'amour qu'elle a eu pour le monde elle trouvait en lui cette seconde qualité dans son aveuglement; car elle ne reconnaissait rien de plus aimable. Mais comme elle n'y voit pas la première, elle connait que ce n'est pas le souverain bien. Elle le cherche donc ailleurs, et connaissant par une lumière toute pure qu'il n'est point dans les choses qui sont en elle, ni hors d'elle, ni devant elle (rien donc en elle ni à ses côtés), elle commence à le chercher au-dessus d'elle.

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1 De cette vie. Voir les mêmes idées reprises avec la plus émouvante éloquence dans un fragment des Pensées, vIII, 1, p. 123 et suivantes, et encore ailleurs.

2. Du commun des hommes. » Cf. Pensées, VIII, 4, page 121: « Connaissez donc, superbe, etc. >>

3 « De plus aimable. » Cela est pris de saint Augustin, de Mor. eccl. cath., I, 3.

Cette élévation1 est si éminente et si transcendante, qu'elle ne s'arrête pas au ciel, il n'a pas de quoi la satisfaire; ni au-dessus du ciel, ni aux anges, ni aux êtres les plus parfaits. Elle traverse toutes les créatures, et ne peut arrêter son cœur qu'elle ne se soit rendue jusqu'au trône de Dieu, dans lequel elle commence à trouver son repos; et ce bien qui est tel qu'il n'y a rien de plus aimable3, et qui ne peut lui être ôté que par son propre consentement. Car encore qu'elle ne sente pas ces charmes dont Dieu récompense l'habitude dans la piété, elle comprend néanmoins que les créatures ne peuvent pas être plus aimables que le Créateur; et sa raison aidée des lumières de la grâce lui fait connaître qu'il n'y a rien de plus aimable que Dieu, et qu'il ne peut être ôté qu'à ceux qui le rejettent, puisque c'est le posséder que de le désirer, et que le refuser c'est le perdre. Ainsi elle se réjouit d'avoir trouvé un bien qui ne peut pas lui être ravi tant qu'elle le désirera, et qui n'a rien au-dessus de soi.

Et dans ces réflexions nouvelles, elle entre dans la vue des grandeurs de son Créateur, et dans des humiliations et des adorations profondes. Elle s'anéantit en conséquence, et ne pouvant former 1 « Cette élévation. » Cette élévation où monte l'idée qu'elle conçoit du souve rain bien.

2

« Au-dessus du ciel. » Pascal prend-il ces expressions figurément, ou placet-il en effet les anges et Dieu même dans l'espace, au delà d'une certaine sphère qu'il appelle le ciel? Ce serait le langage d'un poëte plutôt que d'un philosophe :

3

4

Par delà tous ces cieux le Dieu des cieux réside.

« De plus aimable. » Ainsi Lamartine:

Quand je pourrais le suivre [le soleil] en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts;

Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire,

Je ne demande rien à l'immense univers.

Mais peut-être au delà des bornes de sa sphère,
Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux.
Là je m'enivrerais à la source où j'aspire,
Là je retrouverais et la vie et l'amour,
Et ce bien idéal que toute âme désire,

Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour,

« Dans la piété. » Nous avons déjà cité ce que dit Jacqueline de son frère, qu'il ne sentait d'abord aucun attrait. Elle ajoute : « qu'il s'y portait néanmoins de

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tout son pouvoir, mais qu'il sentait bien que c'était plus sa raison et son propre esprit qui l'excitait à ce qu'il connaissait le meilleur, que non pas le mouvement » de celui de Dieu. » C'est précisément ce que Pascal va dire.

5 « De la grâce. » Ces paroles sont d'une théologie plus exacte que celles de Jacqueline, car ces suggestions mêmes de la raison sont déjà une grace, quoique non sensible.

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« Que de le désirer. Cf. le Mystère de Jésus, 2: « Tu ne me chercherais pas,

> si tu ne m'avais trouvé. »

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