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Que l'homme, étant revenu à soi', considère ce qu'il est au prix de ce qui est ? ; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature; et que, de ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix. Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini ? Mais pour lui présenter

5 un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il con

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était là tout entière, ne serait pas cette sphère dont le centre est parlout, puisqu'elle aurait la terre pour centre unique. Ce serait à la terre, tout imperceptible qu'elle est, que se rapporterait tout ce qui existe. Pascal ne l'entend pas ainsi : il suppose qu'au delà de la portée de noire vue, dans l'immensité qu'on peut concevoir de la nalure, il y a une infinité d'univers, ayant chacun son firmament, ses planètes, sa lerre (voir plus loin), de manière que lout ce monde visible n'est qu'un canton détourné de la création, et cette sphère céleste, magnifique enveloppe de notre globe, qu'un petil cachot où l'homme est logé. Il admet en un mot la pluralité des mondes, non pas des terres ou des soleils, comme dans Fontenelle, mais des ciels, comme dans Lucrèce :

Quare etiam atque etiam tales fateare necesse est
Esse alios alibi congressus materiaï,

Qualis hic est avido complexu quem tenet æther. (II , 1063.) Si cette vue de Pascal, qui contredit absolument les principes de Descartes et de la science moderne (Princip. philos., 11, 22), n'a pas été plus remarquée, il ne faudrait pas s'en étonner. D'abord, elle n'est pas présentée ici d'une manière bien explicite. Mais surtout, ce même morceau, où Pascal a suivi l'ancien système du monde, nous le lisons avec un esprit prévenu d'autres idées, et sans même nous en apercevoir, c'est au système nouveau que nous rapportons toutes ces grandes images. La physique moderne, aussi large que simple, à la place de tous ces mondes fabriqués par l'hypothèse et étrangers l'un à l'autre, nous rend un univers à la fois un et infini, où la terre, plus imperceptible que jamais, n'est plus même le centre d'un canton, et ne se distingue plus dans le système au milieu duquel elle est jetée. Toute l'imagination de Pascal n'a pu égaler la vérité en grandeur.

1 « Etant revenu à soi. » Dans le sens propre, c'est-à-dire étant revenu à se considérer lui-même.

? « Ce qui est. » La simplicité de cette expression, vague et indéfinie , est d'un grand effet.

3 « De ce petit cachot. » C'est-à-dire d'après ce petit cachot. P. R., voulant expliquer cela, a mis, de ce que lui paraitra ce petil cachot.

+ « Ce petit cachot... j'entends l'univers. » Quel contraste! quelle surprise ! Par l'univers, Pascal veut dire seulement le monde visible, qui n'est, suivant lui, qu’un canton détourné de la nature , laquelle, dans son ensemble , échappe à nos yeux. P. R., d'après une correction faite de la main d'Arnauld sur la copie du manuscrit, a mis ce monde visible au lieu de l'unirers, sans doute parce que l'univers doit exprimer l'universalité des choses. L'exactitude gagne peut-être à cette correction, mais non pas l'éloquence. Ce grand mot d'univers, qui, après tout, peut bien s'entendre de notre univers à nous, de notre monde, fait bien plus d'effet que la variante d'Arnauld. P. R. remplace aussi j'entends par c'est-à-dire. Ils évitent le je autant qu'ils peuvent, et, en rendant le style moins personnel, ils le rendent moins expressif. Montaigne, Apol., p. 169 : « Tu ne veois que l'ordre et la police de ce > petit caveau ou lu es logė. o

« Qu'est-ce qu'un homme ? » P. R. : qu'est-ce que l'homme ? Mais l'expression de Pascal nous rapetisse plus que ne fait celle de P. R.

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nait les choses les plus délicates. Qu'un cirono lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours; il pensera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là-dedans un abime nouveau. Je lui veux peindre non-seulement l'univers visible, mais l'immensité qu'on peut concevoir de la nature, dans l'enceinte de ce raccourci d'atome ? Qu'il y voie une infinité d'univers, dont chacun a son firmament,

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:

« Qu'un ciron. » Les entomologistes modernes ont restreint le nom de ciron à un petit arachnide voisin du faucheur. Mais dans la langue vulgaire, qui est celle que parle ici Pascal, on entend sous ce nom les plus petits insectes, voisins des mites ou des acarus de Linnée. Ces insectes ont un fluide nourricier, qu'on peut appeler du sang, mais ce sang est répandu dans toutes les cavités du corps, il en baigne et en abreuve toutes les parties; il ne circule pas dans des vaisseaux ; un ciron n'a dono pas de veines.

? « De ce raccourci d'atome. » Cet emploi du mot raccourci est unique. Mais l'idée que Pascal veut rendre, celle d'un atome réduit , est unique également. La hardiesse énergique de cette expression a paru bizarre à P. R., qui a mis : de cel alome imperceptible. Il est clair que le mot atome ne doit pas être pris dans son sens rigoureux, puisque Pascal ne reconnait pas d'indivisible. C'est M. Faugère qui a restitué la véritable leçon.

« Une infinité d'univers. » P. R. : l'ne infinité de mondes. En effet, il n'y a rigoureusement qu'un univers, puisque ce mot veut dire le tout, mais Pascal entend une infinité de systèmes tels que celui que nous autres hommes appelons l'univers. Qu'on remarque la suite de la phrase : je lui veux peindre non-seulement l'univers visible , mais... une infinité d'univers. P. R., ici comme plus haut, a gåté ce qu'il a cru corriger, et ses corrections ne servent qu'à faire mieux comprendre la valeur du style de Pascal. Mais on ne peut se dispenser de remarquer que tout cela est de pure imagination. Rien ne nous oblige à voir une infinité d'univers, avec un firmament chacun et des planètes, dans les éléments les plus subtils du sang d'un ciron. Nous dirons même hardiment qu'il n'y a rien de pareil. De ce que nous concevons ce que nous appelons l'espace comme divisible à l'infini, il n'en résulte pas ces consé. quences. Dans sa célèbre lettre à Pascal, le chevalier de Méré disait : (... Je vous » demande encore si vous comprenez distinctement qu'en la cent millième partie o d'un grain de pavot il y pût avoir un monde non-seulement comme celui-ci, mais » encore tous ceux qu'Epicure a songés. Pouvez-vous comprendre dans un si petit » espace la différence des grandeurs, celles des mouvements et des distances ?... » Trouverez-vous dans un coin si étroit les justes proportions des éloignements, de > combien les étoiles sont au-dessus de la terre au prix de la lune ? Mais, sans aller » si loin, vous pouvez-vous figurer dans ce petit monde de votre façon la surface de » la terre et de la mer , tant de profonds abimes dans l'une et dans l'autre ?... Ce » grand nombre de combats sur la terre et sur la mer, la bataille d'Arbelles ?... » La bataille de Lépante me semble encore plus considérable en ce petit monde, à » cause du grand bruit de l'artillerie... En vérité, monsieur, je ne crois pas qu'en

votre petit monde on pût ranger dans une juste proportion tout ce qui se passe en

ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible; dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné; et trouvant encore dans les autres la même chose, sans fin et sans repos, qu'il se perde dans ces merveilles, aussi étonnantes dans leur petitesse que les autres par leur étendue; car qui n'admirera que notre corps, qui tantôt n'était pas perceptible dans l'univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l'égard du néanto où l'on ne peut arriver ?

Qui se considérera de la sorte s'effraiera de soi-même, et se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abimes de l'infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces merveilles ; et je crois que sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption.

Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant: un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des

» celui-ci, et dans un ordre si réglé, et sans embarras; surtout, en des villes si serrées, » l'on devrait bien craindre, pour le danger des embrasements, de faire des feux ► de joie, et de fondre des canons et des cloches. Pensez aussi qu'en cet univers ► de si peu d'étendue il se trouverait des géomètres de votre sentiment, qui feraient » un monde aussi petit au prix du leur que l'est celui que vous formez en comparai» son du nôtre, et que ces diminutions n'auraient point de fin. Je vous en laisse » tirer la conséquence... » Il y a beaucoup de bon sens dans tout ce badinage; mais Pascal tenait à ses vues, et il les défend avec éloquence dans un des fragments nouvellement connus (xxv, 3, cf. ibid., 63).

1. Ont donné ; et trouvant. » P. R. : Ont donné, trouvant encore... sans repos. Qu'il se perde, etc. P. R. coupe trop souvent les larges périodes de Pascal.

? « A l'égard du néant. » P. R : à l'égard de la dernière petitesse. C'est une glose pour expliquer et préparer le mot de néant, qui revient plus bas. On a craint que ce mot ne fût pas d'abord assez clair pour ceux qui ne sont pas familiers avec la langue des mathématiques ; car Pascal parle ici cette langue, suivant laquelle l'infiniment petit est égal à zéro. Voir la note à la fin de l'article.

3. S'effraiera de soi-même. » P. R. a mis : s'effraiera sans doute de se voir comme suspendu dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abimes de l'infini el du néant dont il est également éloigné. Il tremblera, etc. Combien le texte de Pascal est plus énergique! S'effraiera de soi-même, que cela est vif et fort ! Et ces belles expressions, se considérant soutenu , dans la inasse que la nature lui a donnée, entre ces deux abimes de l'infini et du néant, combien il vaut mieux qu'elles ne forment qu'une incise, qui laisse la phrase suspendue, et qui aboutit à, il tremblera! C'est encore une période malheureusement coupée. Et cela peut-être uniquement pour éviter la petite faute du mot considérer répété.

" a Infiniment éloigné. » P. R. : Il est infiniment éloigné des deux extrémes, et son étre n'est pas moins distanı du néani d'où il est tiré que de l'infini, etc. La phrase ainsi conçue n'est que la répétition inutile de celle qui la précéde; au contraire, la PENSÉES. choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable ; également incapable de voir le néant d'où il est tiré, et l'infini où il est englouti.

Que fera-t-il donc, sinon d'apercevoir quelque apparence du milieu des choses, dans un désespoir éternel de connaitre ni leur principe ni leur fin? Toutes choses sont sorties du néant et portées jusqu'à l'infini. Qui suivra ? ces étonnantes démarches : ? L'auteur de ces merveilles les comprend ; tout autrene le peut faire.

Manque d'avoir contemplé ces infinis, les hommes se sont portés témérairement à la recherche de la nature, comme s'ils avaient quelque proportion avec elle.

C'est une chose étrange qu'ils ont voulu comprendre les principes des choses, et de là arriver jusqu'à connaitre tout, par une présomption aussi infinie que leur objet. Car il est sans doute qu'on ne peut former ce dessein sans une présomption ou sans une capacité infinie, comme la nature.

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phrase de Pascal ajoute quelque chose à ce qu'il a dit d'abord. Elle part de ce que l'homme est un milieu entre rien et tout, pour conclure que sa connaissance aussi est nécessairement incapable d'atteindre aux deux bouts des choses.

! « Le néant d'où il est tiré. » Non pas seulement dans le sens où on dit qu'il a été créé de rien, mais dans ce sens qu'il est formé d'éléments dont les éléments eux-mêmes se réduisent à l'infiniment petit ou à rien. - « Englouti. v Image d'une admirable énergie.

« Qui suivra. » P. R. : Qui peul suivre ? Ce tour est moins vis. 3 « Ces étonnantes démarches. » Expression pleine d'imagination, qui peint comme un mouvement des choses elles-mêmes ce qui n'est que le mouvement de notre esprit, passant de la conception de l'atome infiniment petit à celle du tout infiniment grand. Comme l'intervalle est rempli par une série continue, ce mouvement n'est pas un saut brusque, c'est une démarche, mais combien hardie et étonnante ! Par l'emploi du pluriel, toutes choses, comme dit Pascal, semblent s'animer et se mouvoir à la fois.

a Tout autre. » P. R. : nul autre. Ce léger changement altère pourtant la pensée de Pascal. Le tour négatif nul autre indique seulement que personne ne peut comprendre ces merveilles; le tour positif tout autre indique de plus qu'il y en a qui l'essaient (ce sont les philosophes), mais qu'ils sont impuissants.

« Manque d'avoir contemplé. » On dirait aujourd'hui : faute d'avoir contemplé. P. R. supprime cette phrase et tout ce qui suit jusqu'à l'alinéa qui commence par Bornés en tout genre, c'est-à-dire tout ce qui aboutit à condamner la philosophie naturelle et le système de Descartes.

6 « Qu'ils ont voulu. » Bossut : Que les hommes aient voulu. Le subjonctif est plus conforme à la grammaire, mais il ne dit pas positivement qu'en effet les hommes ont voulu cela. — « Et de là. » De est supprimé dans Bossut. Il est nécessaire, car les philosophes n'ont pas prétendu tout d'abord connaitre tout, mais seulement les principes des choses (voir plus loin), d'où ensuite ils ont cru pouvoir atteindre le reste.

Quand on est instruit', on comprend que la nature ayant gravé son image et celle de son auteur dans toutes choses, elles tiennent presque toutes de sa double infinité. C'est ainsi que nous voyons que toutes les sciences sont infinies en l'étendue de leurs recherches; car qui doute que la géométrie, par exemple, a une infinité d'infinités de propositions à exposer ? Elles sont aussi infinies dans la multitude et la délicatesse : de leurs principes ; car qui ne voit que ceux qu'on propose pour les derniers ne se soutiennent pas d'eux-mêmes, et qu'ils sont appuyés sur d'autres qui en ayant d'autres pour appui ne souffrent jamais de dernier?

Mais nous faisons des derniers qui paraissent à la raison comme on fait dans les choses matérielles, où nous appelons un point indivisible celui au delà duquel nos sens n'aperçoivent plus rien, quoique divisible infiniment et par sa nature.

De ces deux infinis de sciences, celui de grandeur est bien plus sensible, et c'est pourquoi il est arrivé à peu de personnes de prétendre connaître toutes choses. Je vais parler de tout, disait Démocrite..

Mais l'infinitéo en petitesse est bien moins visible. Les philoso

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' Ayant gravé. » Bossut : portant l'empreinte de son auteur gravée dans loules choses. La nature, gravant elle-même dans les choses son image, est une personnification qui a paru sans doute hasardée ; mais, si elle n'est pas très-logique, elle est belle à l'imagination. D'ailleurs, dans tout ce qui précède, ce n'est pas Dieu seulement, c'est la nature elle-même qu'on a considérée comme doublement infinie.

? Elles sont. » C'est-à-dire les sciences. Dans Bossut, elle sera, qui ne se rapporte qu'à la géométrie. » Aussi a-t-il isolé la phrase, car qui doule, par un point mis devant le car. Mais ce sont les sciences qui sont infinies de deux manières, d'une part dans leurs conséquences, de l'autre dans leurs principes.

3 « Et la délicatesse. » C'est-à-dire que ces principes sont de plus en plus déliés, de moins en moins complexes. La définition du solide suppose celle de la surface, qui suppose celle de la ligne , qui supposerait celle du point.

• « Qui paraissent. » C'est le mot propre, et non pas qui apparaissent, mot dont on abuse trop aujourd'hui, et qu'on devrait réserver pour ce qui a vraiment le caractère d'une apparition.

5 « Démocrite. » Montaigne, A pol., p. 102: « De mesme impudence est cette pro» messe du livre de Democritus : Je m'en voys parler de toutes choses. » D'après Cicéron, Acad., II, 23. Le texte grec est dans Sextus Empiricus, VII, 265 : Λέγω τάδε περί των συμπάντων.

Après cet alinéa venait le suivant, qui se trouve barré dans le manuscrit :

« Mais, outre que c'est peu d'en parler simplement, sans prouver et connaitre, il » est néanmoins impossible de le faire, la multitude infinie des choses nous étant si » cachée, que tout ce que nous pouvons exprimer par paroles ou par pensées n'en est » qu'un trait invisible. D'où il parait combien est sot, vain et ignorant ce titre de » quelques livres : De omni scibili. »

6 a Mais l'intinité.» 355. Ce qui suit se trouve sur une feuille qui porte en titre : Disproportion de l'homme, H., 2 (voir la note première, page 1). Avant ces mots,

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