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pas examiner si on a vocation pour sortir du monde, mais seulement si on a vocation pour y demeurer, comme on ne consulterait point si on est appelé à sortir d'une maison pestiférée ou embrasée.

Ce chapitre de l'Évangile, que je voudrais lire avec vous tout entier, finit par une exhortation à veiller et à prier pour éviter tous ces malheurs', et en effet il est bien juste que la prière soit continuelle quand le péril est continuel.

J'envoie à ce dessein des prières qu'on m'a demandées; c'est à trois heures après midi. Il s'est fait un miracle depuis votre départ? à une religieuse de Pontoise, qui, sans sortir de son couvent, a été guérie d'un mal de tête extraordinaire par une dévotion à la SainteEpine. Je vous en manderai un jour davantage. Mais je vous dirai sur cela un beau mot de saint Augustin, et bien consolatif pour de certaines personnes; c'est qu'il dit que ceux-là voient véritablement les miracles auxquels les miracles profitent' ; car on ne les voit pas si on n'en profite pas.

Je vous ai une obligation que je ne puis assez vous dire du présent que vous m'avez fait «; je ne savais ce que ce pouvait être, car je l'ai déployé avant que de lire votre lettre, et je me suis repenti ensuite de ne lui avoir pas rendu d'abord le respect que je lui devais. C'est une vérité que le Saint-Esprit repose invisiblement dans les reliques de ceux qui sont morts dans la grâce de Dieu, jusqu'à ce qu'il y paraisse visiblement en la resurrection, et c'est ce qui rend les reliques des saints si dignes de vénération'. Car Dieu

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si c'est elle, pourquoi ne la nomme-t-il pas ? D'ailleurs cette pensée sombre et farouche , qui fait de la vie du monde l'exception, et de la vie ascétique la régle, ne semble pas lant dans l'esprit de sainte Thérèse que dans celui de Port Royal. I« Tous ces malheurs. » Vigilate et orale.

« Depuis votre départ. » Nous avons vu que Mlle de Roannez avait quitté Paris quelque temps après sa neuvaine à la Sainte-Epine. C'est depuis ce temps qu'ont été écrites toutes les lettres dont on a ici les extraits, à l'exception de la première.

3 « Profitent. » Je ne puis indiquer précisément l'endroit de saint Augustin que Pascal a dans l'esprit. Mais je trouve à peu près la même idée dans le sermos cxliit, et dans le xxive traité sur l'évangile de saint Jean, chap. 6.

• « Que vous m'avez fait. » C'étaient des reliques, comme on va le voir. Mais cette circonstance d'un présent, rapprochée de la date du précédent extrait, fait voir qu'il s'agit ici d'étrennes , et que cette lettre a dû être écrite à l'époque de la nouvelle année.

s « De vénération. » Voir la Lettre sur la mort d'Etienne Pascal, page 412.

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n'abandonne jamais les siens, non pas même dans le sépulere, où leurs corps, quoique morts aux yeux des hommes, sont plus vivants devant Dieu, à cause que le péché n'y est plus : au lieu qu'il y réside toujours durant cette vie, au moins quant à sa racine, car les fruits du péché n'y sont pas toujours; et cette malheureuse racine, qui en est inséparable pendant la vie, fait qu'il n'est pas permis de les honorer alors, puisqu'ils sont plutôt dignes d'être hais. C'est pour cela que la mort est nécessaire pour mortifier entièrement cette malheureuse racine, et c'est ce qui la rend souhaitable. Mais il ne sert de rien de vous dire ce que vous savez si bien; il vaudrait mieux le dire à ces autres personnes dont vous parlez', mais elles ne l'écouteraient pas 2.

1 « Dont vous parlez. » Sa mère peut-être, et ses autres parents ou amis mondains.

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« Ne l'écouteraient pas. » Les Extraits s'arrêtant ici, on doit croire que Mile de Roannez exécuta son projet dès les premiers jours de l'année 1657. On est effrayé, en lisant ces lettres, du ravage qu'ont dû faire dans un cœur faible l'éloquence fougueuse de Pascal, sa charité avide et jalouse, son imagination qui tour à tour éblouit et épouvante. Une pareille influence dévore autant qu'une passion. Tout cela est absolument éteint dans P. R., qui a converti ces ardentes, ces impatientes poursuites, en réflexions générales et tranquilles, bonnes à édifier les âmes pieuses qui les lisent à leur loisir.

En écrivant les dernières lignes de la première note sur les Lettres à Mlle de Roannez, nous ne nous souvenions pas que M. Faugère, dans l'Introduction de son édition des Pensées, page LXV, avait donné la date précise de la naissance de Charlotte Gouffier, d'après son acte de baptême. Elle était née en effet en 1633, le 45 avril.

SUR LES PASSIONS DE L'AMOUR 1.

L'homme est né pour penser ? ; aussi n'est-il pas un moment sans le faire ; mais les pensées pures, qui le rendraient heureux s'il pouvait toujours les soutenir, le fatiguent et l'abattent. C'est une vie unie à laquelle il ne peut s'accommoder; il lui faut du remuement et de l'action“, c'est-à-dire qu'il est nécessaire qu'il soit

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« De l'amour. » Voici ce fragment fameux, dont on doit à M. Cousin la découverte inattendue, et qui demeurera, ainsi qu'il l'a dit avec un orgueil légitime, la récompense de ses travaux sur Pascal. L'opposition est grande entre ce morceau et les lettres austères qu'on vient de lire; c'est pourtant de part et d'autre le même esprit, fier, impétueux, absolu, fait pour la vie de tempéte, mais raisonnant ses emportements. Cependant le mouvement de son imagination échauffée par l'amour profane n'a pu atteindre jusqu'à cette ardeur et cette énergie qu'on sent chez lui dans l'expression de la charité. Pascal n'a eu de passion profonde et dévorante qu'en religion.

Ce fragment appartient sans doute aux années 1652 ou 4653, seule époque où on puisse placer la vie mondaine de Pascal. Il avait alors 26 ou 27 ans. Voir les notes sur la notice de Mme Perier. Il est clair qu'une femme du grand monde toucha le cour de Pascal, c'est pour elle que furent écrites ces pages; elle ne les a jamais vues peut-être, mais Pascal les écrivait comme si elle eût dù les voir. 11 mettait là ce qu'il n'osait dire. Quant à deviner quelle a été cette femme, c'est ce qui parait impossible, et ce que nous n'essaierons pas.

Nous n'avons en autographe aucun des opuscules de Pascal. Une copie de celui-ci a été conservée dans un recueil où il porte ce titre : Discours sur les passions de l'amour. On l'attribue à M. Pascal. Ces expressions sembleraient permettre de révoquer en doute l'authenticité de cet écrit; mais, dès qu'on le lit, cela n'est plus possible. La marque de Pascal y est partout. « On y reconnait, comme le dit M. Cousin, » l'esprit géométrique qui ne l'abandonne jamais, ses expressions favorites, ses mots » d'habitude, sa distinction si vraie du raisonnement et du sentiment, et mille » autres choses semblables qui se retrouvent à chaque pas dans les Pensées. » On y sent surtout ce contraste de grandeur et de subtilité qui déjà nous a frappés tant de fois.

J'ose dire d'ailleurs qu'au sujet d'un écrit de cette nature, l'expression du doute, de la part des amis de Pascal, équivaut à un aveu. Qui donc parmi les personnes attachées à Port Royal ou à la famille Perier, et qui conservaient les traditions de la petite église, qui donc se fût avisé de dire ou de laisser croire qu'un discours sur l'Amour fût de Pascal, s'il y avait eu moyen de croire le contraire?

Remarquons cette expression, les passions de l'amour, et non pas la passion. Les passions, ce sont les accidents, les symptômes, tà rokom, : c'est une sorte de pathologie morale de l'amour. Voir vi, 46, note 4.

« Pour penser. » Cf. xxiv, 53 : « L'homme est visiblement fait pour penser.»

« Sans le faire. » On reconnait la philosophie cartésienne. Mais ce que Pascal ajoute, c'est que l'homme aussi est fait pour aimer.

« Et de l'action. » En autres termes, du diverlissement. Voir l'article iv.

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quelquefois agité des passions, dont il sent dans son cœur des sources si vives et si profondes.

Les passions qui sont les plus convenables à l'homme, et qui en renferment beaucoup d'autres, sont l'amour et l'ambition : elles n'ont guère de liaison ensemble, cependant on les allie assez souvent; mais elles s'affaiblissent l'une l'autre réciproquement, pour ne pas dire qu'elles se ruinent.

Quelque étendue d'esprit que l'on ait, l'on n'est capable que d'une grande passion; c'est pourquoi quand l'amour et l'ambition se rencontrent ensemble, elles ne sont grandes que de la moitié de ce qu'elles seraient s'il n'y avait que l'une ou l'autre. L'âge ne détermine point, ni le commencement, ni la fin de ces deux passions; elles naissent dès les premières années, et elles subsistent bien souvent jusqu'au tombeau. Néanmoins, comme elles demandent beaucoup de feu, les jeunes gens y sont plus propres, et il semble qu'elles se ralentissent avec les années: cela est pourtant fort rare.

La vie de l'homme est misérablement courte. On la compte depuis la première entrée dans le monde; pour moi je ne voudrais la compter que depuis la naissance de la raison, et depuis qu'on commence à être ébranlé par la raison, ce qui n'arrive pas ordinairement avant vingt ans. Devant ce temps l'on est enfant; et un enfant n'est pas un homme.

Qu'une vie est heureuse quand elle commence par l'amour et qu'elle finit par l'ambition! Si j'avais à en choisir une, je prendrais celle-là. Tant que l'on a du feu, l'on est aimable; mais ce feu s'éteint, il se perd alors que la place est belle et grande pour l'ambition! La vie tumultueuse est agréable aux grands esprits, mais ceux qui sont médiocres n'y ont aucun plaisir; ils sont machines' partout. C'est pourquoi l'amour et l'ambition commençant et finissant la vie, on est dans l'état le plus heureux dont la nature humaine est capable.

A mesure que l'on a plus d'esprit, les passions sont plus grandes, parce que les passions n'étant que des sentiments et des pensées, qui appartiennent purement à l'esprit, quoiqu'elles soient occasionnées par le corps, il est visible qu'elles ne sont plus que l'esprit

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1 « De ce qu'elles seraient. » Cela est bien d'un géomètre.

« Ils sont machines. » Expression familière à Pascal. Voir v, 7, etc.

« Par le corps. » Voir le traité de Descartes, Des passions de l'âme.

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même, et qu'ainsi elles remplissent toute sa capacité. Je ne parle que des passions de feu, car pour les autres, elles se mêlent souvent ensemble, et causent une confusion très-incommode; mais ce n'est jamais dans ceux qui ont de l'esprit. Dans une grande åme tout est grand.

L'on demande s'il faut aimer. Cela ne se doit pas demander, on le doit sentir. L'on ne délibère point là-dessus, l'on y est porté, et l'on a le plaisir de se tromper quand on consulte

La netteté d'esprit cause aussi la netteté de la passion; c'est pourquoi un esprit grand et net aime avec ardeur, et il voit distinctement ce qu'il aime.

Il y a de deux sortes d'esprits, l'un géométrique, et l'autre que l'on peut appeler de finesse 2. Le premier a des vues lentes, dures et inflexibles, mais le dernier a une souplesse de pensée qu'il applique en même temps aux diverses parties aimables de ce qu'il aime. Des yeux

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va jusques au caur, et par le mouvement du dehors il connaît ce qui se passe au dedans. Quand on a l'un et l'autre esprit tout ensemble, que l'amour donne de plaisir : ! Car on possède à la fois ja force et la flexibilité de l'esprit, qui est très-nécessaire pour l'éloquence de deux personnes.

Nous naissons avec un caractère d'amour dans nos cæurs, qui se développe à mesure que l'esprit se perfectionne, et qui nous porte à aimer ce qui nous parait beau sans que l'on nous ait jamais dit ce que c'est. Qui doute après cela si nous sommes au monde pour autre chose que pour aimer ? En effet, on a beau se cacher, l'on aime toujours. Dans les choses même où il semble que l'on ait séparé l'amour, il s'y trouve secrètement et en cachette, et il n'est pas possible que l'homme puisse vivre un moment sans cela.

L'homme n'aime pas à demeurer avec soi “; cependant il aime : il faut donc qu'il cherche ailleurs de quoi aimer. Il ne le peut trouver que dans la beauté; mais comme il est lui-même la plus belle

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« Quand on consulte. » On a le plaisir de sentir la vivacité de la passion qui trompe le calcul de la raison.

? « De finesse. » On se rappelle que cette distinction est le sujet d'un long paragraphe des Pensées (VII, 2).

3 « De plaisir, v Le coeur de Pascal s'ouvre et s'épanche dans ce passage. Et en effet qui a jamais mieux uni le don de sentir vivement et celui de redoubler et de multiplier la sensation par l'analyse ? Plus tard, il aurait pu dire de méme : Quand on a l'un et l'autre esprit tout ensemble, que la devotion donne de plaisir !

• « Avec soi. » Cf. iv, 1, p. 51.

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