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créature que Dieu ait jamais formée, il faut qu'il trouve dans soimême le modèle de cette beauté qu'il cherche au dehors. Chacun peut en remarquer en soi-même les premiers rayons '; et selon que l'on s'aperçoit que ce qui est au dehors y convient ou s'en éloigne, on se forme les idées de beau ou de laid sur toutes choses. Cependant quoique l'homme cherche de quoi remplir le grand vide qu'il a fait en sortant de soi-même, néanmoins il ne peut pas se satisfaire par toutes sortes d'objets. Il a le cæur trop vaste; il faut au moins que ce soit quelque chose qui lui ressemble , et qui en approche le plus près. C'est pourquoi la beauté qui peut contenter l'homme consiste non-seulement dans la convenance, mais aussi dans la ressemblance : elle la restreint et elle l'enferme dans la différence du sexe?.

La nature a si bien imprimé cette vérité dans nos âmes, que nous trouvons cela tout disposé; il ne faut point d'art ni d'étude; il semble même que nous ayons une place à remplir dans nos cæurs et qui se remplit effectivement. Mais on le sent mieux qu'on ne le peut dire. Il n'y a que ceux qui savent brouiller et mépriser leurs idées qui ne le voient pas.

Quoique cette idée générale de la beauté soit gravée dans le fond de nos âmes avec des caractères ineffaçables, elle ne laisse pas que

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« Les premiers rayons. » Pascal surtout les trouvait en lui : « Son portrait est v là, pour nous dire quel était son noble visage. Ses grands yeux lançaient des v flammes. u M. Cousin, en parlant ainsi, renvoie au beau portrait gravé par Edelinck, dans les Hommes illustres de Perrault, t. I.

? « Du sexe. » C'est-à-dire que la beauté consiste en la ressemblance, mais en une ressemblance restreinte et enfermée dans la différence du sexe, assujettie à la condition de cette difference. Elle, c'est la beauté; elle la restreint , veut dire. elle la suppose restreinte. — Mais pourquoi la restriction du sexe ? commeot la concilier avec cette théorie platonicienne, d'après laquelle l'amour n'est qu'une aspiration vers l'idée de la beauté ? Qu'a de commun le sexe avec l'idée pure ? Aussi Platon, dans ses imaginations, n'en tient aucun compte, et sa métaphysique trop large accueille toutes les dépravations des meurs grecques. Par une heureuse inconséquence, Pascal abandonne ici Platon pour rentrer dans la nature. Pour mettre d'accord la nature et la théorie, il faudrait renverser la définition, et dire que le sexe ne délimite pas seulement nos désirs, mais qu'il en est le principe dėme. C'est au sexe que l'amour va tout d'abord, puis dans le sexe, il s'attache de preférence à la beauté.

3 « Mépriser leurs idées. » Qui sont ces gens qui sarent brouiller el mépriser leurs idées ? Ce sont ceux qui n'ont pas ce qu'on appelle aujourd'hui le sens psychologique ; raisonneurs subtils qui ne s'attachent qu'au syllogisme, et qui méconnaissent l'observation, pour qui les faits de conscience sont comme s'ils n'étaient pas ; qui brouillent et effacent ces notions premières déposées en chacun par la nature, et sur l'évidence desquelles toute connaissance morale est établie.

de recevoir de très-grandes différences dans l'application particulière, mais c'est seulement pour la manière d'envisager ce qui plait. Car l'on ne souhaite pas nûment une beauté, mais l'on y désire mille circonstances qui dépendent de la disposition où l'on se trouve; et c'est en ce sens que l'on peut dire que chacun a l'original de sa beauté, dont il cherche la copie dans le grand monde'. Néanmoins les femmes déterminent souvent cet original. Comme elles ont un empire absolu sur l'esprit des hommes, elles y dépeignent ou les parties des beautés qu'elles ont, ou celles qu'elles estiment, et elles ajoutent par ce moyen ce qui leur plaît à cette beauté radicale2. C'est pourquoi il y a un siècle pour les blondes, un autre pour les brunes, et le partage qu'il y a entre les femmes sur l'estime des unes ou des autres fait aussi le partage entre les hommes dans un même temps sur les unes et sur les autres. La mode même et les pays règlent souvent ce que l'on appelle beauté. C'est une chose étrange que la coutume se mêle si fort de nos passions. Cela n'empêche pas que chacun n'ait son idée de beauté sur laquelle il juge des autres, et à laquelle il les rapporte; c'est sur ce principe qu'un amant trouve sa maîtresse plus belle, et qu'il la propose comme exemple.

La beauté est partagée en mille différentes manières. Le sujet le plus propre pour la soutenir c'est une femme. Quand elle a de l'esprit, elle l'anime et la relève merveilleusement. Si une femme veut plaire, et qu'elle possède les avantages de la beauté, ou du moins une partie, elle y réussira; et même, si les hommes y prenaient tant soit peu garde, quoiqu'elle n'y tâchât point, elle s'en

1 « Le grand monde. Pourquoi le grand monde? est-ce parce que Pascal aime une dame de haute condition, comme il va le faire entendre plus loin, et qu'il ne conçoit que de nobles amours? Ou plutôt n'est-ce pas que cette expression est prise ici dans un autre sens qu'on ne la prend d'ordinaire, pour dire simplement le grand nombre, la foule du monde?

2 « Radicale. » Qui est comme la racine, le noyau, en fait de beauté.

3 « De nos passions. >> On reconnaît les idées de Pascal sur l'empire de la coutume. Voir particulièrement v1, 5: Comme la mode fait l'agrément, aussi fait-elle » la justice.

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4 « La soutenir. » Ce mot exprime simplement le rapport d'un sujet à ses qualités.

5 « Elle l'anime. » Elle anime sa beauté par son esprit.

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Tant soit peu garde. » C'est-à-dire, pourvu seulement que les hommes fassent

attention à elle.

ferait aimer. Il y a une place d'attente dans leur cour; elle s'y logerait.

L'homme est né pour le plaisir : il le sent, il n'en faut point d'autre preuve. Il suit donc sa raison en se donnant au plaisir. Mais bie souvent il sent la passion dans son cæur sans savoir par où elle a commencé.

Un plaisir vrai ou faux peut remplir également l'esprit. Car qu'importe que ce plaisir soit faux, pourvu que l'on soit persuadé qu'il est vrai'?

A force de parler d'amour, on devient amoureux. Il n'y a rien si aisé. C'est la passion la plus naturelle à l'homme.

L'amour n'a point d'âge; il est toujours naissant. Les poëtes nous l'ont dit; c'est pour cela qu'ils nous le représentent comme un enfant. Mais sans lui rien demander, nous le sentons ?.

L'amour donne de l'esprit, il se soutient par l'esprit. Il faut de l'adresse pour aimer. L'on épuise tous les jours les manières de plaire; cependant il faut plaire, et l'on plait,

Nous avons une source d'amour-propre qui nous représente à nousmêmes comme pouvant remplir plusieurs places au dehors'; c'est ee qui est cause que nous sommes bien aises d'être aimés. Comme on le souhaite avec ardeur, on le remarque bien vite et on le reconnait dans les yeux de la personne qui aime. Car les yeux sont les interprètes du cæur; mais il n'y a que celui qui y a intérêt qui entend leur langage.

L'homme seul est quelque chose d'imparfait; il faut qu'il trouve un second pour être heureux. Il le cherche bien souvent dans l'égalité de la condition, à cause que la liberté et que l'occasion de se manifester s'y rencontrent plus aisément. Néanmoins l'on va quelquefois bien au-dessus, et l'on sent le feu s'agrandir quoiqu'on n'ose pas le dire à celle qui l'a causé ". Quand on aime une dame sans égalité de condition, l'ambition

« Qu'il est vrai. » On peut même dire que le plaisir est toujours vrai, car il est toujours vraiment plaisir. On ne peut entendre par plaisir faux que le plaisir que nous fait quelque chose qui ne devrait pas nous en faire.

« Nous le sentons. » Comment faut-il entendre cette phrase? Elle signifie peutêtre que nous nous sentons tout à coup amoureux sans avoir demandé à l'être.

3 « Et l'on plait, » Voir ce que Pascal a dit ailleurs de l'art de plaire, qu'il savait si bien (p. 465).

« Places au dehors. » Sur cette pensée, cf.i, 5.
« Qui l'a causé. » Il est clair que Pascal exprime ici ce qu'il éprouve.

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peut accompagner le commencement de l'amour; mais en peu de temps il devient le maitre. C'est un tyran qui ne souffre point de compagnon ; il veut être seul ; il faut que toutes les passions ploient et lui obéissent.

Une haute amitié remplit bien mieux qu'une commune et égale le cour de l'homme; et les petites choses flottent dans sa capacité; il n'y a que les grandes qui s'y arrêtent et qui y demeurent.

L'on écrit souvent des choses que l'on ne prouve qu'en obligeant tout le monde à faire réflexion sur soi-même et à trouver la vérité dont on parle. C'est en cela que consiste la force des preuves de ce que je dis'.

Quand un homme est délicat en quelque endroit de son esprit, il l'est en amour. Car comme il doit être ébranlé? par quelque objet qui est hors de lui, s'il y a quelque chose qui répugne à ses idées, il s'en aperçoit, et il le fuit. La règle de cette délicatesse: dépend d'une raison pure, noble et sublime : ainsi l'on se peut croire délicat, sans qu'on le soit effectivement, et les autres ont le droit de nous condamner 4. Au lieu que pour la beauté chacun a sa règle souveraine et indépendante de celle des autres. Néanmoins entre être délicat et ne l'être point du tout“, il faut demeurer d'accord que, quand on souhaite d'être délicat, l'on n'est pas loin de l'étre absolument. Les femmes aiment à apercevoir une délicatesse' dans les hommes; et c'est, ce me semble, l'endroit le plus tendre pour les gagner : l'on est aise de voir que mille autres sont méprisables, et qu'il n'y a que nous d'estimables.

Les qualités d'esprit ne s'acquièrent point par l'habitude; on les

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a De ce que je dis. » « C'est en cela que consistaient la logique et la rhéto» rique de Pascal. » Nole de M. Cousin. - Cf. xxv, 26 : « Ce n'est pas dans Mon» taigne, mais dans moi , que je trouve tout ce que j'y vois. »

? « Ebranlé. » Comme est ici dans le sens de lorsque, et le verbe doit exprime ce qui est sur le point de se faire. Comme il doit être ébranlé, c'est-à-dire, au moment qu'il va être ébranlé, qu'il est en disposition de l'être.

3 « De cette délicatesse. » C'est-à-dire de cette qualité, la délicatesse, prise en général.

• « De nous condamner. » Puisqu'il y a une règle fondée sur la raison.

5 « Souveraine. » Cependant il y a un bon et un mauvais goût en fait de beauté, comme le dit ailleurs Pascal lui-même (vii, 21).

• a Point du tout. » C'est-à-dire, la question n'étant pas si on est plus ou moins délicat (question insoluble), mais si on l'est ou si on ne l'est point.

? « Une délicatesse. » Un goût délicat, c'est-à-dire exigeant et difficile , qui ne se contente que de l'excellent, et méprise tout le reste.

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perfectionne seulement. De là, il est aisé de voir que la délicatesse est un don de nature, et non pas une acquisition de l'art.

A mesure que l'on a plus d'esprit, l'on trouve plus de beautés originales1; mais il ne faut pas être amoureux; car quand l'on aime, l'on n'en trouve qu'une.

Ne semble-t-il pas qu'autant de fois qu'une femme sort d'ellemême pour se caractériser 2 dans le cœur des autres, elle fait une place vide pour les autres dans le sien? Cependant j'en connais qui disent que cela n'est pas vrai. Oserait-on appeler cela injustice'? Il est naturel de rendre autant qu'on a pris.

L'attachement à une même pensée fatigue et ruine l'esprit de l'homme. C'est pourquoi pour la solidité... du plaisir de l'amour, il faut quelquefois ne pas savoir que l'on aime; et ce n'est pas commettre une infidélité, car l'on n'en aime pas d'autre; c'est reprendre des forces pour mieux aimer. Cela se fait sans que l'on y pense; l'esprit s'y porte de soi-même; la nature le veut; elle le commande. Il faut pourtant avouer que c'est une misérable suite de la nature humaine, et que l'on serait plus heureux si l'on n'était point obligé de changer de pensée; mais il n'y a point de remède".

Le plaisir d'aimer sans l'oser dire a ses peines, mais aussi il a ses douceurs. Dans quel transport n'est-on point de former toutes ses actions dans la vue de plaire à une personne que l'on estime infiniment! L'on s'étudie tous les jours pour trouver les moyens de se découvrir, et l'on y emploie autant de temps que si l'on devait entretenir celle que l'on aime. Les yeux s'allument et s'éteignent dans

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1 « Originales. On lit dans les Pensées (vII, 4): « A mesure qu'on a plus d'esprit, on trouve qu'il y a plus d'hommes originaux. »

2 << Se caractériser. » Imprimer son image, son caractère, dans le sens primitif de ce mot.

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a Injustice. » Pascal semble répondre ici à la femme à laquelle ses vœux s'adressent. C'est elle qui dit que cela n'est pas vrai, qu'elle n'a point de place dans son cœur pour ceux même dans le cœur de qui elle a pris toute la place; et Pascal demande s'il ne lui sera pas permis d'oser appeler cela injustice.

4 « Four mieux aimer. » Cela n'est-il pas exquis?

5 « De remède. » Voilà l'esprit des Pensées, voilà le fond sérieux et triste qui reparaît à travers les agréments. Plus tard Pascal dira de même (iv, 4, p. 59): « La » seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement, et cependant » c'est la plus grande de nos misères. » Mais alors il ne conclura pas si tranquillement qu'il n'y a point de remède; ce remède, qu'il ne trouve point dans la nature, il le cherchera hors de la nature, dans la grâce, dans l'anéantissement du moi humain.

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« De se découvrir. » Quel moyen il avait trouvé en écrivant ces pages!

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