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Et, si je consulte de plus autorisés que moi, mon doute ne fait que s'accroître. Voici, en effet, deux opinions contradictoires que je vous demande la permission de vous soumettre. D'après un critique de talent, M. Brunetière, « le naturalisme ou le réalisme contient une part certaine, et une grande part de vérité; il a introduit parmi le public de nos jours le goût d'une composition moins artificielle et plus libre, d'une observation plus minutieuse, plus patiente, plus exacte, d'un style plus robuste et plus sain. » Mais écoutons un membre de l'Institut, M. Jules Girard, il nous dira: « On décrit, nous ne le voyons que trop aujourd'hui, quand on n'a plus la force d'inventer ni de composer; on remplace l'inspiration par l'analyse; on suit servilement la réalité au lieu de la plier à sa pensée propre, et on lui demande ce qu'on ne trouve plus soi-même. » Devant des appréciations si diverses, ne sommes-nous pas comme Henri IV qui, ayant entendu deux avocats plaider le pour et le contre, trouvait qu'ils avaient tous deux raison ?

Quoiqu'il en soit, cet état de choses existe, et il faut bien l'accepter. Mais où nous conduira-t-il? D'abord, il est temps de s'arrêter sur cette pente où nous n'avons que trop glissé. Si l'on regarde tout le chemin parcouru, depuis les timides hardiesses de la couleur locale, jusqu'aux horreurs repoussantes de la nature prise sur le fail, on trouvera qu'il n'y a plus une seule faute à commettre. Il est temps d'aviser, il est temps de recourir au jeûne et à l'abstinence, sous peine de perdre notre gallicisme, ce qu'il faut éviter par tous les moyens, même celui du cardinal Bembo, qui faisait lire son bréviaire par un camérier pour ne pas perdre sa latinité.

Mais devons-nous en mourir? Dirons-nous, comme les médecins de Molière, que nous tomberons de la dyspepsie dans l'hypocondrie, et de l'hydropisie dans la privation de la vie? Ce serait aller beaucoup trop loin. Pendant tout le Bas-Empire, les Grecs, qui étaient les dépositaires des trésors de l'antiquité, se sont soutenus dans le domaine de l'intelligence, au milieu d'œuvres plus que médiocres. Ce qui peut arriver de pire, c'est que notre époque soit classée parmi ces décadences qui ne sont pas le néant. Mais nous n'en serons pas réduits à ce triste sort: de nous, il faut le croire, il restera quelque chose : non omnes moriamur.

Que restera-t-il? C'est ce qu'il est assez difficile de dire. On a toujours mauvaise grâce à vaticiner; néanmoins, nous essayerons de le faire, tout en reconnaissant que cet oracle n'est pas plus sûr que celui de Chalcas. Ici, le passé pourrait nous instruire sur l'avenir. Regardons autour de nous et voyons que de mécomptes. Que sont devenues tant de gloires qu'on croyait si bien établies? Transivi, et jàm non erant. Où trouverons-nous done des élus ?

Dans la prose, je le crains fort, le nombre en sera assez mince, car ce qui manque le plus à notre siècle si prosaïque ce sont de grands prosateurs. Je ne dis pas de bons prosateurs. Tout le monde, aujourd'hui, sait aligner correctement des phrases, tout le monde sait même leur donner une physionomie agréable, enfin, suivant une expression consacrée, le talent court les rues. Mais, où sont les intelligences supérieures qui ont imprimé au style français cette précision et cette force qui en ont fait la langue universelle ? Où sont surtout ces puissants

esprits qui ont créé des formules impérissables et qui ont su tout résumer en des termes empreints de clarté et d'élégance? En un mot, où sont les Bossuet, les Pascal, les La Bruyère, les Saint-Simon et Mm de Sévigné ?

Si de la prose nous passons à la poésie, nous nous trouvons tout d'abord en présence de l'illustre personnalité à laquelle il faut toujours revenir quand on traite de la littérature de notre époque. Victor Hugo se maintiendra-t-il à la hauteur où l'engouement l'a porté ? Parvenu jusqu'au faîte, sera-t-il réduit à descendre? S'il m'entendait mettre en question sa stabilité, lui à qui on élève des statues de son vivant, il foudroyerait de son mépris

Ce pauvre ver de terre attaquant une étoile.

Ce qui ne m'empêcherait pas de dire qu'il y a beaucoup d'exagération dans le culte que nous lui vouons, et que nous ne le trouvons si grand que parce que nous le regardons à genoux. En effet, quand on voit des flatteurs placer l'auteur d'Hernani sur la même ligne que les auteurs d'Hamlet et du Cid, et l'élever au-dessus de l'auteur d'Andromaque, la bile s'échauffe et l'on aime mieux être parmi les sages ennemis que parmi les imprudents amis.

Mais, sans être ni un sage ni un ennemi, on peut chercher à remettre les hommes et les choses à leur place. Or, si on se livre à ce travail, relativement au personnage qui nous occupe, on ne peut lui refuser une entrée de faveur dans la phalange qui trouvera place au Panthéon des poètes. S'il n'est pas toujours égal, il est souvent supérieur. Son théâtre, malgré ses excentricités, est marqué d'une empreinte indélébile. Ses personnages sont presque des types, ses combinaisons frappent et atta

cheat, ses vers brillent et subjuguent. De telles qualités n'appartiennent qu'aux esprits éminents, et, quand on les possède, on peut espérer qu'elles seront connues et appréciées tant que les notions du beau subsisteront chez les hommes. J'en dirai autant de ses poésies variées. Malgré de nombreuses éclipses, il y règne un souffle d'inspiration, une élévation de pensées, une vigueur d'expressions qui les feront vivre à côté des plus belles productions du génie humain.

Avec cette glorieuse figure qu'aurons-nous encore à offrir aux âges à venir? Certainement celle d'un autre favori des Muses, qui eut ses jours d'enthousiasme, car c'est trop peu dire de succès, et dont toute une génération a répété avec délice les séduisantes rèveries. Le chantre d'Elvire et de Jocelyn peut bien prétendre aux honneurs de l'apothéose, quand ils ont été obtenus par des versificateurs tels que J.-B. Rousseau. Sans doute les goûts ont bien changé depuis trente ans. Les lakistes, comme on dit en Angleterre, ont abandonné leurs barques pour la locomotive. Mais le sentiment ne périra jamais, et, tant que la pensée recherchera le vague et l'infini, elle aimera à se reporter vers celui qui a le mieux compris ces aspirations de l'âme et qui les a rendues dans le langage qui leur est le plus approprié.

Après ces deux noms célèbres, qu'on accouple continuellement, quand on veut donner une idée de la poésie française au XIX siècle, il n'est pas possible d'en omettre un troisième qui sonne si agréablement à quelques oreilles. Nous voulons parler d'Alfred de Musset. Sans rechercher si la faveur dont il jouit est du meilleur aloi, il faut reconnaître que souvent les inspirations de Rolla

et des Contes d'Espagne ont rencontré le thème qui concorde exactement avec certains penchants irrésistibles de la nature humaine. Ce thème est-il bien pur? Ne faitil pas trop de concessions aux blasés et aux corrompus? Peut-être; néanmoins, il se distingue par ses défauts mêmes; il résonne d'une manière toute particulière qui surexcite l'attention. C'est par ce cachet original que ces accents un peu dévoyés de la ligne droite se soutiendront, car ils trouveront toujours de l'écho auprès des mécontents et des désillusionnés, et malheureusement la satisfaction universelle ne régnera pas de sitôt dans le monde.

Voilà, si je ne me trompe, tout le bagage que notre temps présentera au grand dépôt des illustrations littéraires. Ce contingent, si restreint qu'il soit, n'est pas sans importance. Aussi, est-ce avec confiance que le XIX® siècle pourra entrer dans l'océan des âges. S'il n'a pas la perfection du génie grec et romain, le brillant de la Renaissance, la solidité des contemporains de Louis XIV, il a quelque chose qui le soutient au milieu de son infériorité, c'est l'abondance de ses ressources. Quand le feu sacré semble s'éteindre, il se rallume tout-à-coup et lance des jets de flamme qui attirent les regards. Nous sommes dans un de ces moments d'intermittence. Les brillants météores qui ont paru sur notre horizon sont disparus ou près de disparaître, les astres qui les remplacent ne sont, il faut l'avouer, que de médiocre grandeur; mais ils conservent la tradition et ils prouvent que, suivant l'expression d'un poète :

Dans le ciel de la France il ne fait jamais nuit.

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