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DISCOURS D'OUVERTURE

PAR

M. Ed. LECESNE, Président.

MESSIEURS,

En prenant la parole pour ouvrir cette séance, ma première pensée se reporte forcément sur le vénérable Prélat que la mort a enlevé d'une manière si inattendue à l'affection de tout son diocèse. Je ne puis oublier que chaque année il s'imposait le devoir d'assister à notre réunion, et je le vois encore encourageant de son regard bienveillant les efforts que nous faisons pour nous rendre dignes du public d'élite qui veut bien venir nous écouter. Mais Mgr Lequette n'était pas seulement pour nous un assistant bénévole: il nous appartenait à titre de membre honoraire; et ce titre il ne le regardait pas comme une vaine dignité qui s'attache en surcroit aux hautes positions: il s'en montrait heureux, il aimait à rappeler qu'il était des nôtres; en sorte qu'on ne saurait dire qui était le plus honoré de l'Académicien ou de l'Académie.

Devant une perte aussi sensible pour notre Compagnie, je devrais m'abstenir de tout discours, car les grandes douleurs sont muettes; mais je manquerais à l'obligation que m'impose le règlement et l'habitude: je me décide donc à réclamer un instant votre attention pour développer quelques idées qui serviront d'introduction aux communications bien plus intéressantes que d'autres feront après moi.

Ces idées, je les tire d'un sujet qui s'étend au-delà des limites locales, peut-être un peu trop respectées par les corps savants des provinces. Je voudrais examiner quels sont les principes qui dirigent la littérature de nos jours, d'où ils viennent, s'ils sont bons ou mauvais, à quels résultats ils doivent conduire. Cette matière est vaste, et pourrait nous entraîner bien loin rassurez-vous, je me bornerai à l'effleurer.

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Au commencement de ce siècle, tout ce qui tenait une plume ne jurait que par Voltaire. C'était assurément un excellent maître, car par lui on se rattachait aux grands écrivains du siècle de Louis XIV, dont il n'est que le continuateur. Mais

Quand sur une personne on prétend se régler,
C'est par les beaux côtés qu'il lui faut ressembler.

Malheureusement on ne lui ressemblait que par les mauvais côtés. On lui empruntait sa manière convenue et un peu trop régulière, on ne lui prenait ni sa parfaite lucidité, ni son admirable style: on imitait ses périphrases, on se passait de sa verve et de sa facilité. Il est vrai que la verve et la facilité ne se commandent pas, ainsi que le croyait ce directeur de théâtre, qui recevait

une pièce à condition que l'auteur y mettrait plus d'esprit. Pour protester contre l'école de Voltaire, Chateaubriand restaura celle de J.-J. Rousseau, dont Bernardin de StPierre avait déjà été l'adepte. Ce ne fut, avec André Chenier, qu'une heureuse exception, qui ne changea pas le cours des idées dominantes. Il fallait, de chute en chute, tomber de Delille en Ducis, d'Arnault en Luce de Lancival. Mais, de même qu'après Attila on avait crié holà ! on finit par être obsédé de cette décadence. C'est ce qui produisit le mouvement si remarquable de la fin de la Restauration et du commencement du règne de LouisPhilippe On abandonna les formes, dites classiques, pour un genre qui prit, on ne sait trop pourquoi, le nom de romantique. On rejeta avec dédain la toge romaine, on s'affubla du pourpoint moyen-âge; on dédaigna l'antique poignard, mais on prodigua les bonnes lames de

Tolède.

Franchement, l'un ne valait guère mieux que l'autre. Aussi, le romantisme est-il bientôt tombé sous le ridicule, et du naufrage il ne s'est sauvé que le patron du navire. Aujourd'hui ce chef audacieux, ce tanto promissor hiatu, surnage encore, et son triomphe, loin de s'affaiblir, avec les années, ne fait que devenir plus éclatant. De Victor Hugo, on peut dire, comme de Ronsard, avec qui il a plus d'un point de ressemblance, qu'il entre dans l'immortalité comme dans un temple.

Si le romantisme a cessé d'être de mode, il a laissé après lui des traditions qu'on ne saurait méconnaître. C'est à lui que nous devons la transformation qui s'est opérée dans les exigences littéraires. Lorsqu'il s'était posé en régent du Parnasse, ce qu'il reprochait surtout

aux auteurs de la vieille roche, aux perruques, comme il les qualifiait, c'était leur respect pour les conventions, ce qu'en peinture on a appelé le poncif. Pour elles, disaitil, on sacrifie la vraisemblance. De ce chef il n'avait pas tout-à-fait tort. Il est certain que le genre classique était tombé dans le faux, et qu'on n'y voyait plus rien à son véritable point de vue. Les novateurs eurent beau jeu de déblatérer contre ces abus, et de poser en principe qu'il fallait revenir à la réalité des choses. Nous n'examinerons pas s'ils ont toujours été bien fidèles aux règles qu'ils ont établies, et si, par exemple, leurs interminables monologues sont plus acceptables que les confidents obligés; mais ce que nous reconnaissons, c'est qu'il nous ont appris à ne plus nous payer d'illusions et à rechercher avant tout, si c'est possible. Ce résultat n'est pas à dédaigner: il ne nous a pas tout-à-fait délivrés des Grecs et des Romains, ainsi que le désirait un poète, mais il nous a délivrés des Achille et des Brutus de contrefaçon.

Au reste, cet heureux effet n'est pas dû au romantisme seul, il a eu son origine dans un besoin de notre époque qu'il importe de signaler: ce besoin c'est la certitude. Aujourd'hui nous cherchons à nous rendre compte de tout. Le positif, tel est l'esprit du siècle. Ce mot peut être pris en bonne et en mauvaise part. Il signifie aussi bien l'amour des jouissances matérielles, qui nous entraîne de plus en plus, que le désir légitime d'éviter l'erreur. Dans ce dernier sens, on ne saurait faire un crime à notre temps de repousser tout ce qui est hypothétique et de s'en tenir à ce qui est clair et démontré. C'est avec ce système qu'il est parvenu à réaliser dans les sciences ces merveilles d'application qui changeront la face de la terre.

Mais le positif, excellent pour les choses de raisonnement, est-il aussi efficace pour les choses de l'esprit? En le prenant pour guide, la littérature est tombée dans le naturalisme et de là dans le réalisme. C'est le goût du jour. Il faut tout expliquer, il faut entrer dans les plus petits détails, intùs et in cute. Le corps humain, comme le jeu des passions, on dissèque tout, on montre tout, sans s'inquiéter s'il n'est pas des objets que l'art judicieux doit reculer des yeux et ne pas même offrir à l'oreille. Il est juste de reconnaître que ce procédé n'est pas nouveau. Il était déjà en usage lorsque, pour peindre l'amour, on dressait une carte du Tendre, et que, pour faire la description d'un palais, on vous promenait de terrasse en terrasse, et on vous en montrait tous les corridors. C'est ce qu'on a si bien appelé une abondance stérile.

Mais ces défauts ont aussi leurs avantages. Ils ont valu des appréciations plus exactes et une précision plus grande dans l'expression. Maintenant, on ne se contente plus d'à peu près: il faut véritablement savoir son métier pour se mêler d'écrire. Il faut peut-être le savoir trop, car, chez les auteurs de nos jours, la technique exclut trop souvent l'inspiration. Ainsi, d'une part, plus de précision dans les idées, plus de netteté dans la manière de les rendre, moins de lieux communs dans la forme et dans le fond; mais, d'autre part, des pensées plus crues et des scènes plus repoussantes, des égards moins observés et la liberté dégénérant fréquemment en licence tel est le bilan de nos richesses ou de nos pauvretés littéraires. En sorte que, si l'on veut faire la somme de l'actif et du passif de notre situation, on est assez embarrassé pour dire si nous sommes en dessus ou en dessous de nos affaires.

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