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ACACIA

SCÈNES DE LA VIE AMÉRICAINE

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TROIS COUPS D'ÉPÉE DANS L'EAU SUIVIS D'UN COUP De foudre.

Après l'échec subi devant Acacia-Hall (1), Isaac Craig, général malheureux, mais indomptable dans l'adversité, se retira tristement dans son camp, je veux dire dans sa maison, avec Toby Benton et l'infortuné Appleton, qui poussait d'effroyables gémissemens. Isaac était le vivant portrait du fameux Guillaume III, stathouder de Hollande et roi de la Grande-Bretagne. C'était le même courage, la même obstination, la même activité, le même flegme, la même finesse et la même insensibilité. Si le destin l'avait fait naître sur le trône, il eût été digne du pinceau de M. Macaulay. Malheureusement la Providence, dont l'ordre est tout puissant, avait décrété qu'il exercerait son génie dans un village du Kentucky.

Toby, dit-il à son associé, vous êtes une bête. Vous avez fait manquer par votre stupidité le plan le mieux combiné.

Eh bien! dit en grognant le révérend, je vais porter mes pénates ailleurs. Est-ce moi qui suis cause de votre échec? Vous ne demandez que plaies et bosses, vous mettez une armée en campagne, vous me chargez de donner le signal, et au dernier moment vous me mettez en face d'une bande d'Irlandais ivres qui m'ont assommé plus d'à moitié. Où sont vos blessures, à vous qui parlez? que m'importe, à moi, la victoire? qu'est-ce que je gagnerai à la ruine ou à la mort

(1) Voyez la livraison du 1er mars.

TOME XIV.

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d'Acacia? Je puis prêcher partout; à dix lieues d'ici, je retrouverai les trois mille dollars que je gagne à Oaksburgh.

Calmez-vous, Toby. J'ai dit que vous étiez une bête, et je le prouve. Qu'aviez-vous affaire des papistes, et pourquoi chercher querelle à l'Irlande? Il pleut des tapes de ce côté, vous le savez. Il fallait donc faire un détour. John Lewis est abolitioniste, c'est là qu'il fallait frapper: tout l'auditoire eût été pour vous. Au lieu de cela, vous avez donné du nez contre cette brute d'Irlande; cette sottise me coûtera plus de mille dollars.

Benton se leva, prêt à partir.

Allons, continua Craig, mangez et buvez; je vous pardonne. Nous prendrons notre revanche une autre fois. Allez préparer le terrain auprès de vos confrères ou je me trompe fort, ou le succès de l'Anglais va les réduire à la mendicité. Faites-le-leur comprendre, et soyez sûr qu'avant un mois le disciple de Swedenborg sera renvoyé aux Indes orientales.

Benton parti, Isaac alla voir Appleton, qui était couché sur un lit et mugissait comme un taureau. Il vomissait du sang par le nez, par la bouche et par les oreilles.

-Mauvaise affaire! dit le Yankee. Tu n'es pas de force contre Tom Cribb, mon pauvre Appleton.

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A la boxe, non, dit Appleton; mais nous nous verrons au couteau. Je l'égorgerai comme un boeuf, je veux lui arracher les entrailles et les répandre sur le pavé.

Mon pauvre ami, dit Isaac avec une feinte compassion, ce n'est pas Cribb qui est cause de ton malheur; c'est Acacia qui a dirigé les coups.

Le blessé se mit à blasphémer horriblement.

-Ah! brigands, disait-il, je vous ouvrirai le ventre, je vous briserai la tête à coups de bâton! ah! Tom Cribb! ah! scélérat de Français !

Malgré son sang-froid, Craig ne put s'empêcher de frémir.

- Il y a quelque chose de mieux à faire que d'assassiner les gens, dit-il, c'est de les rendre éternellement malheureux. Que dirais-tu si l'on te prenait la femme que tu aimes pour la déshonorer? Les morts seuls ne souffrent pas; mais les vivans sont exposés à des tortures sans fin.

Appleton le regarda sans comprendre.

Sois maître de Julia pendant une heure, dit Craig, et tu la rendras à ton ennemi flétrie et souillée.

Cette infernale idée fit sourire Appleton.

- Je le ferai, dit-il, pour qu'il le sache avant de mourir; mais après cela je le tuerai.

- Je l'espère bien, pensa Craig.

Ces deux hommes, unis par une haine commune, firent le projet d'enlever Julia Alvarez pendant l'absence de son amant, qui allait souvent à Louisville. Craig comptait bien que l'événement n'aurait pas lieu sans combat, et il espérait qu'Appleton tuerait son ennemi. Lui-même haïssait profondément Julia, comme les méchans haïssent ceux à qui ils ont fait du mal. Quant à l'ancien contre-maître d'Acacia, une sorte d'amour brutal et de grossier calcul se mêlait à ses projets de vengeance: Julia, enlevée par lui, ne pouvait, à son avis, épouser que son ravisseur; elle serait trop heureuse de donner sa main à un homme libre et de faire sa fortune.

Pendant ce temps, une scène bien différente se passait dans la maison de Jeremiah Anderson. Deborah, pour fêter le succès oratoire du docteur John, avait invité ses amis à un thé. Toutes les pâtisseries de la création étaient réunies sur une table splendidement servie, parmi des piles de jambons et de volailles froides. On y voyait aussi le punch au whisky, le sherry cobbler, boisson faite de sherry, d'eau-de-vie, de glace et de sucre, l'egg nog, espèce de punch à la romaine, et une foule d'autres boissons inconnues à l'Europe et fort supérieures à celles de Paris.

Le docteur John, comblé de félicitations, rayonnait dans sa gloire. C'était Démosthène et saint Jean Chrysostome fondus en un seul Anglais; il allait régénérer le genre humain, ouvrir une voie nouvelle au christianisme, et supprimer l'intervalle qui sépare la terre du ciel. En temps ordinaire, John était un homme de sens; mais les éloges des assistans lui montèrent à la tête, et de bonne foi il crut avoir du génie. Tout homme qui imprime ou qui parle en public n'est que trop porté à ces illusions. Deborah s'approcha de lui, les yeux brillans de joie et d'amour.

- Quel magnifique sermon vous avez prononcé! dit-elle. Votre front était illuminé par l'inspiration divine, comme celui de Moïse lorsqu'il descendit du mont Sinaï.

- Miss Deborah, répondit le docteur, je n'ose croire que Dieu m'ait voulu faire une pareille faveur; mais tel que je suis, je sens en moi la force toute puissante qui poussa hors de Jérusalem sur l'empire romain douze pêcheurs ignorans, et qui transforma le monde. J'aurai le dévouement et la foi des martyrs, sinon les lumières de l'Esprit saint.

- Il est beau, reprit Deborah, de s'élever jusqu'aux sphères supérieures d'où les anges du Seigneur distinguent clairement l'ordre, la magnificence et l'étendue de l'univers; mais le cœur d'un homme est-il assez grand, assez ferme, pour ne se laisser énerver par aucune volupté mondaine, ni abattre par aucune adversité? Heureux

celui qui peut porter sans angoisse et sans faiblesse l'écrasant fardeau de la solitude, plus heureux encore celui qui trouve une femme digne de lui par son caractère et par son génie! Quel rêve admirable et sublime que celui de deux époux qui marchent dans la vie d'un pas égal, la main dans la main! Heureux l'homme qui ne recherche pas dans celle qui doit être sa compagne la beauté fragile et périssable du corps ou les grâces mondaines, mais le génie et la vertu !

Tout en parlant, Deborah regardait doucement et fixement le bon swedenborgien. John baissa les yeux, rêvant à la belle Julia. Qu'est-ce que la vertu en comparaison d'un nez bien fait, de deux lèvres roses et d'un sourire qui fascinerait les dieux immortels? Miss Alvarez n'avait point de génie; mais a-t-on besoin de génie pour plaire et pour être aimée?

Deborah se méprit sur le motif de la rêverie du docteur John: elle crut qu'il la devinait et qu'il allait répondre à ses avances par une déclaration d'amour; elle le conduisit en silence au fond du salon, et s'appuya sur le bord de la fenêtre. La nuit était magnifique; des milliers d'étoiles brillaient dans un ciel pur, et projetaient sur la terre leur sombre clarté. L'air était tiède et embaumé du parfum des magnolias: tout invitait à l'amour. Au-dessous de la fenêtre était le jardin, obscur et planté de massifs d'arbres des tropiques. Audelà du jardin, qui était immense, on entendait le sourd grondement du Kentucky, dont les eaux coulaient à quelques centaines de pas de cette scène. John, plus ému que jamais par ses secrètes pensées et par le souvenir de Julia, poussa un profond soupir.

main.

John, mon cher John! dit miss Anderson en lui prenant la

L'Anglais la regardait avec surprise, n'osant la détromper, et trop honnête homme pour la maintenir dans son erreur. Son silence, d'abord interprété comme une marque d'émotion bien naturelle, devenait inquiétant pour Deborah, lorsque Jeremiah interrompit brusquement le tête-à-tête.

— Ma chère sœur, dit-il, Lucy vous demande et ne peut rien faire

sans vous.

Deborah se hâta de rejoindre sa sœur. L'Anglais fut ravi de cet incident, qui le tirait d'embarras.

- Demain, pensa-t-il, je lui avouerai la vérité, quoi qu'il arrive. Hélas! le génie porte avec lui son châtiment. Être aimé sans aimer!

Singulier et triste malentendu! Cependant John n'était pas un fat, ni Deborah une femme légère; mais son heure était venue. Son cœur, fermé jusqu'alors à l'amour, venait de s'ouvrir comme une belle rose

du Bengale. Le hasard lui avait présenté John, et elle s'était jetée sur cette proie. Déjà elle se forgeait mille félicités; elle allait épouser l'Anglais, le suivre dans ses voyages, partager ses travaux, l'encourager au martyre. Appuyée sur lui, elle publierait ce système admirable qui devait émanciper la femme et remettre à des mains plus dignes de le porter le sceptre de l'idée. Par lui, elle communiquerait avec les esprits supérieurs, et lèverait ce voile épais qui nous dérobe la vue de la création et du Créateur; par elle, il apprendrait à connaître la justice, la vérité et la charité, inconnues au sexe fort et cruel.

Au milieu de ce rêve, elle faisait avec une magnificence américaine les honneurs de sa maison. Acacia, qui était présent, oubliant pour un instant ses projets, ses inquiétudes, Julia elle-même, s'assit près de Lucy Anderson. Il regardait en silence cette jeune fille, dont la beauté virginale, à peine épanouie, n'avait pas d'égale au Kentucky, sans en excepter celle de Julia, et il sentait son intrépide cœur s'amollir et se fondre au contact de tant de grâce et d'innocence. Sa vie turbulente passait tout entière devant ses yeux, depuis ses premières campagnes dans la Kabylie et le siége de Zaatcha jusqu'au jour où, par le conseil de Jeremiah, il avait planté sa tente dans la forêt d'Oaksburgh, sur les rives du Kentucky. Depuis dix ans il était sans repos, sans famille, sans patrie; n'était-il pas temps de chercher un foyer, de se bâtir une maison, d'avoir une femme, des enfans, tout ce qui attache l'homme au sol et à la patrie? Pouvait-il épouser Julia, l'ancienne maîtresse de M. Sherman? Au-delà même de la tombe, le spectre de Sherman, comme celui de Banquo, se serait assis au festin des noces. Restait l'innocente et ravissante Lucy, la sœur de son ami, Lucy qu'il aimait sans le savoir, lorsque l'imprudente Julia lui avait la première révélé ses propres sentimens. - Oui, je l'aime, se dit-il résolûment; mais puis-je abandonner Julia?

Au même instant, on pria Lucy de chanter : elle se leva, et d'une voix pleine de charme elle chanta une romance de Deborah imitée d'une pieuse élégie, les Anges de la Terre (1).

LES ANGES DE LA TERRE.

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<< Pourquoi les anges ne viendraient-ils pas du royaume de gloire visiter la terre, comme ils faisaient dans les anciens jours, — dans les temps de l'Écriture sainte et de l'ancienne histoire? Les cieux sont-ils plus éloignés, ou la terre est-elle devenue plus froide?

(1) Miss Julia Wallace, de Waterbury, Vermont, est le véritable auteur de ces vers, qu'on peut compter parmi les plus beaux qu'ait produits la poésie américaine. Nous espérons que miss Wallace excusera la liberté que nous avons prise de les introduire dans ce récit, et que le lecteur nous saura gré de l'avoir fait.

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