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l'auteur a dit son premier mot, le reste est presque prévu, sauf les hasards heureux de l'inspiration qui contredisent la théorie. Malheureusement c'est là un système qui soulève des objections bien autrement sérieuses à un point de vue plus élevé. Que dit en effet l'auteur des Essais de Critique dans une étude où il cherche à expliquer, par ce qu'il appelle les inclinations primitives et la combinaison des forces nécessaires, la triple histoire de Rome, de l'Angleterre et de la France? Il fait jusqu'au bout l'application de sa théorie. A ses yeux, chaque pays est un creuset où la nature, cette chimiste éternelle, fait des expériences dont le résultat est d'avance déterminé. Le monde est un laboratoire infini où toutes les substances se combinent de façon à produire des révolutions, à fabriquer des destinées et à fixer dès le premier jour à chaque peuple sa part inévitable de misère ou de grandeur. Nous ne sommes pas de l'avis de M. Taine sur le genre de beauté de ce spectacle. S'il en était ainsi, la vie ne serait point tellement enviable, la fortune et la nature ne nous auraient pas si merveilleusement traités, car, dans cette destinée des peuples ainsi comprise, il manque l'effort spontané de la volonté; la liberté n'a point sa place, la responsabilité humaine disparaît, et le fatalisme chasse la moralité de l'histoire. Et comme, lorsqu'on est entré dans cette voie, une erreur en entraîne d'autres, ce n'est pas seulement dans l'interprétation de la destinée générale des peuples que l'auteur se trompera: s'il veut étudier un écrivain, un poète, un romancier, en cherchant toujours les forces et les inclinations innées, il finira par confondre toutes les notions du goût. C'est ainsi que M. Taine, s'enivrant lui-même de son travail de dissection, arrivait récemment à transfigurer Balzac. L'auteur du Père Goriot était tout à la fois Saint-Simon et Molière; précédemment c'était Shakspeare, et finalement c'est toujours M. de Balzac, c'est-à-dire un écrivain d'un ordre infiniment plus modeste. M. Taine dit dans sa préface que s'il ne réussit pas, il faudra accuser l'écrivain, non la méthode; en un mot, ce sera le talent qui se trouvera en défaut, non l'instrument. Il se trompe : tout ce que le talent pouvait faire, il l'a fait; mais le talent lui-même plie sous le poids d'une idée malheureuse et d'une méthode incomplète, quand il cherche la nouveauté là où elle n'est pas, quand il veut enfermer l'humanité dans le moule étroit d'un système.

Le théâtre, lui aussi, cherche la nouveauté, et il la cherche par toutes les voies; il la demande à la comédie et au drame, au vaudeville et à la tragédie, et faute de la nouveauté, il se contenterait encore du succès, qu'il n'obtient pas toujours. Le Théâtre-Français en particulier n'a point un grand bonheur dans cette recherche. Depuis assez longtemps, il ne lui est point arrivé de rencontrer sur son chemin une bonne fortune dramatique, et en ce moment encore les œuvres les plus vivantes lui échappent. Tandis que la Jeunesse de M. Émile Augier et le Fils naturel de M. Alexandre Dumas fils se produisent sur d'autres scènes, le Théâtre-Français représente le Retour du Mari. L'auteur s'était déjà fait connaître par une première œuvre, la Fiammina, qui ne dut pas entièrement son succès à des raisons littéraires; il a repris son thème, et il l'a développé sous une autre forme dans le Retour du Mari. Cet essai nouveau n'a point été heureux. Qu'est-ce donc en effet que la comédie nouvelle? C'est une succession de scènes à la fois étranges et communes, où les caractères manquent de tout relief, et où les

situations sont violentes sans être vraies. Le Retour du Mari n'est point certainement une œuvre littéraire; il n'y a pas même assez de cet intérêt qui fait parfois le succès passager d'une composition dramatique, et le ThéâtreFrançais peut se remettre à la poursuite de la nouveauté.

CH. DE MAZADE.

ESSAIS ET NOTICES.

La Régence de Tunis, par M. J. Henry Dunant (1).

En 1270, saint Louis mourait à Tunis; il était venu devant le chastel de Carthage, dit le sire de Joinville, espérant voir le roi de Thunes se chrestienner luy et son peuple. Six siècles se sont écoulés depuis la dernière croisade, et les espérances du saint roi ne se sont point encore réalisées. Cependant la civilisation européenne a pénétré dans la régence de Tunis; elle y fait chaque jour des progrès, soutenue par le christianisme, qui a transporté, là aussi, ses institutions charitables et son action bienfaisante. Ce n'est point par la conquête que l'idée chrétienne s'est implantée dans cette région musulmane par excellence, où l'on fit peser longtemps sur les Nazaréens, comme sur les juifs, le joug du plus dur esclavage. Dans leurs relations fréquentes avec l'Europe, les beys de la race des Hussein-ben-Aly avaient appris à respecter les nations de l'Occident et surtout la France. Doués de modération et de justice, leurs héritiers, les derniers souverains de Tunis, ont successivement aboli la servitude des chrétiens, mis un terme aux vexations exercées contre les juifs, supprimé l'esclavage des noirs, et introduit dans leurs états des réformes qui portent leurs fruits. En même temps, ils permettaient aux catholiques de fonder dans leur capitale des écoles et des hôpitaux. La France, on le conçoit, a encouragé et secondé de tous ses efforts ces tendances vers un régime d'amélioration et de progrès. Les traités du dernier siècle lui accordaient le premier rang parmi les nations d'Europe; elle était la protectrice reconnue de tout chrétien arrivant sur le territoire de la régence. Ce beau privilége lui valut en une circonstance importante la gloire d'attacher son nom à un grand acte d'humanité et de justice dont l'honneur revient au prince Achmed-Bey. En 1842, une famille de noirs, pour échapper aux mauvais traitemens que lui infligeait un maître barbare, vint chercher un asile au consulat général de France. Achmed-Bey, cédant aux demandes de notre chargé d'affaires, accorda la liberté aux fugitifs, et déclara libre à l'avenir tout enfant qui naîtrait de parens esclaves. Bientôt après ce prince émancipa les esclaves de sa propre maison, et ce généreux exemple fut suivi dans tous ses états.

Les Tunisiens de nos jours, soumis à un gouvernement sage et régulier, ne ressemblent donc plus guère à ces pirates fameux par leurs féroces exploits que les deux Barberousses, Aroudj et Khaïr-ed-din, lançaient de toutes parts dans la Méditerranée contre les galères espagnoles et génoises. On retrouverait plutôt en eux les descendans des Maures de Cordoue et de Grenade, dont les vieux poètes de l'Espagne ont célébré avec une certaine tris(1) Un beau volume grand in-8°, Genève 1858.

tesse mélancolique les mœurs polies et chevaleresques. Les Maures de Tunis descendent en effet de ceux qui, établis par la conquête en Sicile et en Andalousie, furent rejetés en Afrique après une résistance plus ou moins longue. Plus civilisé que l'Arabe nomade, l'habitant de l'ancienne Mauritanie aime les fleurs et les parfums, la musique et la poésie, les récits merveilleux, tout ce qui plaît au cœur et séduit l'imagination. Il recherche la rêverie et le bien-être; il se complaît dans le sentiment de sa dignité, mais il a l'instinct de la politesse envers ses égaux et de la déférence envers ses supérieurs. En général, le Maure n'est pas sujet à ces élans terribles de haine et de colère qui transportent l'Arabe et trahissent chez ce dernier comme un reste de nature sauvage. L'habitant du désert, frugal, paresseux et vivant de peu, ne se montre pas, comme le Maure des villes, sensible à tous les raffinemens de la vie sédentaire. Libre et heureux dans sa pauvreté, il se conserve pur de tout mélange avec les races étrangères; on le reconnaît dans les rues de Tunis à la couleur brune de sa peau, à l'ovale régulier de son visage, aux formes un peu grêles de son corps musculeux et svelte, à la noblesse de sa démarche et à la finesse de ses traits. Tel est partout le Bédouin, qu'il se rencontre à Tunis, au Maroc ou dans l'Algérie. Le Maure, au contraire, a le teint presque blanc, et il est sujet à prendre de l'embonpoint. Le type primitif ne pouvait manquer de s'altérer parmi cette population formée de tant d'élémens divers. D'une part, les renégats grecs, italiens, espagnols, français, qui se fixèrent autrefois dans la régence, y apportèrent toutes les variétés de la race européenne; de l'autre, les Turcs et les Koulouglis y ont laissé les traces du type asiatique. Enfin, pendant des siècles, les Tunisiens enlevèrent des femmes sur tous les rivages de la Méditerranée et achetèrent aux bazars de Constantinople des Circassiennes et des Géorgiennes.

Il est donc assez difficile désormais de retrouver dans le Maure de Tunis la véritable physionomie du Maugrebin d'autrefois. De ce mélange avec les nations étrangères lui vient sans doute aussi son aptitude à apprécier la civilisation européenne. La sociabilité se développe tôt ou tard chez les peuples qui n'ont point l'orgueilleuse prétention de s'isoler du reste du monde. Par suite du contact fréquent avec d'autres nations, s'établissent des rapports de bienveillance; les préjugés s'effacent peu à peu, et s'il reste encore des préventions, le temps finit par en triompher. De quel œil par exemple les Maures de Tunis virent-ils, il y a deux ans, les premiers frères de la doctrine chrétienne traverser, avec leurs longues robes noires, les places publiques de la cité musulmane? Peut-être froncèrent-ils le sourcil, peutêtre blâmèrent-ils la tolérance du bey, qui permettait aux chrétiens d'établir leurs écoles si près des mosquées. Aujourd'hui ils reconnaissent le bienfait de cette institution charitable. Trois cents enfans appartenant à des familles catholiques de toutes les nations, et qui végétaient dans l'ignorance et dans l'oisiveté, apprennent à lire, à écrire, à compter, à dessiner. Soumis à la discipline de l'étude, ces jeunes garçons ne tarderont pas à donner aux Tunisiens une meilleure idée des nations européennes, et la population indigène pourra envier aux étrangers de si utiles institutions. Les jeunes filles trouvent des institutrices zélées dans les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, qui se partagent avec une égale sollicitude entre l'enseignement du premier âge et le soin des malades recueillis dans leur hôpital. Une troisième école

plus ancienne, fondée et dirigée par M. l'abbé Bourgade, aumônier de la chapelle Saint-Louis à Carthage, mérite d'attirer plus particulièrement l'attention. Elle réunit environ soixante élèves tunisiens, français, italiens, israélites, qui apprennent l'italien, le français, l'arabe, le latin, la géographie, l'histoire, etc. En dehors de cet enseignement chrétien, dont l'évêque catholique a la direction supérieure, le gouvernement de Tunis a institué une école polytechnique dont les professeurs sont français. L'art de la guerre, quand on y joint l'étude des sciences exactes, fait partie de la civilisation. C'est à la gloire de ses armes que la France a dû l'ascendant qu'elle a conquis en Orient depuis des siècles. Après l'avoir redoutée, les peuples turbulens que l'islamisme poussait vers l'Europe l'ont respectée, puis admirée. Ils lui ont demandé de les instruire dans cet art terrible de la guerre dont elle a l'instinct et comme le secret; en récompense de ses services, ils lui ont permis d'apporter parmi eux les institutions de charité et de bienfaisance qui sont le plus intimement liées à l'exercice de la religion chrétienne. Sans doute la conquête de l'Algérie et l'affermissement de notre puissance dans cette partie de l'Afrique ont contribué beaucoup à augmenter la considération dont la France jouit aujourd'hui dans la régence de Tunis; mais il faut reconnaître aussi qu'il y a chez les musulmans, Maures et Arabes, un sentiment très vif de la justice. Lorsque le bien se révèle à leurs yeux, ils s'inclinent sans s'humilier et cèdent à la seule force de la vérité. C'est donc à Tunis que l'on peut étudier mieux qu'en aucun autre pays mahométan les effets de l'influence européenne, librement acceptée par un peuple africain qui a gardé son indépendance. Aucune réforme violente n'a été introduite par les beys; seulement les souverains ont retranché de la législation et des coutumes ce.qu'elles avaient d'excessif et de barbare, et ils se sont sentis plus forts, plus contens d'eux-mêmes, lorsqu'ils ont entendu l'Europe applaudir à leurs tentatives. Ils sont flattés aussi de voir les étrangers, attirés par la beauté du climat, se diriger volontiers vers leurs états, certains d'y vivre en parfaite sécurité. La reine des cités mauresques, comme les Tunisiens appellent leur capitale, exerce sur les voyageurs une véritable attraction. Parmi les Orientaux, ceux-ci l'ont nommée la glorieuse, ceux-là la bien-gardée, d'autres la verdoyante, et c'est là une précieuse épithète pour une ville du littoral africain. Encadrée entre la mer, des collines toutes vertes et de hautes montagnes, Tunis a la blancheur étincelante des cités d'Orient. Autour des édifices modernes qui arrêtent les regards, combien de ruines qui parlent à l'esprit! Avant d'entrer dans la Goulette, dont le fort a été bâti par Charles-Quint, on a entrevu déjà les ruines de Carthage et la chapelle qui s'élève aux lieux où mourut saint Louis. Les guerres puniques et les croisades, ces longues et sanglantes luttes de l'Occident contre l'Orient, ont laissé sur cette côte des souvenirs indélébiles. Il devait y avoir toujours au fond de cette baie une cité maritime et militaire que la paix et la guerre mettraient en continuels rapports avec l'Europe. Désormais c'est la paix qui règne, et Tunis, rendue florissante par son commerce, voit affluer sur ses places et dans ses bazars les marins de toutes les nations coudoyant les indigènes qui ramènent leurs caravanes du fond de l'Afrique. Comme dans les autres villes du Levant, vous trouverez à Tunis la ville franque, propre et bien bâtie; mais là aussi apparaît la ville mauresque aux

rues tortueuses, brusquement closes par une impasse, ou s'enfonçant sous une voûte obscure; dédale de ruelles bruyantes et animées au-dessus duquel se dresse le minaret de la mosquée, comme la fleur étoilée au-dessus du bouquet de feuilles ternes et sombres. Dans ces quartiers populeux, chaque industrie a sa place à part. Ici l'armurier forge la lame du yatagan; là le tailleur couvre de broderies d'or et d'argent la veste aux vives couleurs qui ornera le dos d'un élégant Maugrebin. Plus loin, le sellier assemble sur le velours l'or, l'argent et la soie qui rehaussent l'éclat de ces harnais splendides, la gloire des cavaliers turcs. N'oublions pas non plus les tissus variés, depuis l'humble burnous en poil de chameau jusqu'au tapis de soie, tous bariolés comme la peau du tigre d'Asie ou étincelans comme le plumage du colibri. Et pourtant on n'entend point là le vacarme qui retentit dans nos grandes cités. A travers ces rues marchandes ne circulent ni les voitures rapides, ni les lourds chariots; l'âne y trotte de son pas régulier sur la poussière qui en atténue le bruit, et le chameau y pose solennellement ses larges pieds plats qui ne réveillent pas même le marchand de dattes endormi sur le devant de son échoppe.

Ce repos des villes orientales a bien son charme. Au milieu du travail et de l'activité, on aime ce silence qui porte à la rêverie. Il semble que l'homme se fatigue moins dans l'exercice de sa profession lorsqu'il accomplit gravement sa tâche, et il y a plus de dignité dans le travailleur qui ne se hâte jamais. Chez les peuples occidentaux et de race japétique se trahit en toute occasion une agitation fébrile, un instinct de mouvement et d'expansion que rien ne rebute. C'est que notre rôle est d'agir sur tous ceux qui nous entourent de près et de loin. Les peuples du Levant, moins préoccupés du reste du monde, préfèrent se sentir vivre, estimant que l'avenir ne doit pas faire oublier le présent. Le respect qu'ils ont pour la personne et pour le souvenir de leurs pères et de leurs aïeux les rend aussi moins oublieux du passé et moins dédaigneux pour les choses anciennes. La routine est encore chez eux l'une des formes de la confiance en Dieu. Cependant l'ignorance absolue leur paraît digne de mépris. On sait combien les Orientaux attachent de prix à une belle écriture, talent précieux dans les pays où l'imprimerie a été si longtemps inconnue, et l'influence qu'exerce sur les populations musulmanes quiconque porte le titre de savant. A Tunis, sur une population de cent soixante mille habitans, on ne compte pas moins de soixante-dix écoles primaires, dirigées par des tolbas enseignant aux enfans à lire, à écrire, et à réciter quelques sourates du Koran.

Parmi les anciennes coutumes de l'Orient que le temps n'a pas abolies, la plus touchante est l'accueil cordial fait à l'étranger. Dans les douars arabes, on le sait, l'étranger s'appelle l'hôte de Dieu! Les Maures qui habitent les villages de l'intérieur de la régence ne montrent pas moins d'empressement à recevoir le voyageur que le hasard leur envoie. Leur zèle va si loin, qu'il s'ensuit des contestations et même des rixes sanglantes. Que fait alors le malencontreux étranger cause de tout ce tumulte? Il promet aux vaincus de loger chez eux à son prochain voyage, et suit comme un captif le vainqueur, qui l'héberge avec d'autant plus d'abondance qu'il a eu plus de peine à s'assurer de sa personne. Sans doute l'amour-propre entre pour quelque chose dans cet empressement extraordinaire à posséder sous son toit l'étranger;

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