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doigts et me demanda le prix du café et des Abyssiniennes sur le marché de Djeddah. Au dessert, il m'ouvrit son cœur, et me proposa d'embrasser l'islamisme ou d'avoir la tête coupée. Je montai à cheval et partis au galop. Le consul anglais de Djeddah me dit : « Je vous avais averti. Que Dieu vous assiste!» Et il me tourna le dos. Quel fruit avez-vous retiré de vos voyages?

Le plaisir de vous connaître aujourd'hui. Suivez, je vous prie, mon raisonnement. C'est le cri d'Allah Akbar! qui vous a trompé; vous avez cru sauver un ancien camarade de l'armée d'Afrique. Or comment aurais-je poussé ce cri, si je n'avais lu dans Abulféda l'histoire du vaillant Ali, qui, prenant à deux mains une porte de la ville de Khaïbar, assommait dans une seule nuit plus de quatre cents guerriers, et s'écriait à chaque tête fendue: Allah Akbar! Dieu est vainqueur! Et comment aurais-je lu Abulféda, si je n'avais été tenté de convertir le grand-chérif de la Mecque? Voilà comme tout s'enchaîne en ce monde.

Vous avez été plus heureux que sage, dit Acacia. Il est sept heures, et le stage nous attend. Partons.

Et les deux nouveaux amis prirent le chemin d'Oaksburgh.

II. D'UN THE ASSAISONNÉ DE PETITS CANCANS DE PROVINCE.

La petite ville d'Oaksburgh est la plus belle de toute la vallée du Kentucky et peut-être du monde entier. Ses maisons, larges et commodes, sont faites en bois de chêne et ressemblent indifféremment à des temples grecs, à des églises byzantines, à des étables, à des églises gothiques, à des comptoirs et au palais de Windsor. Elles bordent des rues droites et profondes dont les deux extrémités aboutissent à la forêt. Au milieu de ces rues, et dans des quartiers déjà désignés pour les constructions à venir, paissent tranquillement toutes sortes d'animaux domestiques, et surtout des vaches et des cochons. Ces derniers sont chargés de balayer la ville et de faire disparaître les immondices. A cent pas des dernières maisons est le Kentucky, fleuve assez considérable, qui a donné son nom à l'état. Il coule au fond d'une vallée si étroite et si profonde qu'on n'aperçoit d'en bas qu'un pan de ciel au-dessus de sa tête. Un pont suspendu joint ses deux rives à une hauteur de trois cents pieds.

Le lingot et John Lewis mirent pied à terre devant une maison de belle apparence. La porte s'ouvrit, et un jeune mulâtre s'avança pour recevoir les ordres d'Acacia.

Dick, tout va bien dans la maison? demanda celui-ci.

Oui, maître.

Fais entrer ce gentleman au parloir, et prie ta maîtresse d'y venir. Mon cher Lewis, je vais vous présenter à l'une des plus belles

et des plus spirituelles personnes du Kentucky, miss Julia Alvarez. Remerciez-moi d'avance, et oubliez un instant Swedenborg; elle n'aime pas les puritains.

- Si elle est loin de Dieu, dit gravement Lewis, que Dieu la ramène à lui!

- Elle n'est ni loin ni près, mon cher ami. Elle a vingt-deux ans, elle est belle, riche, généreuse et fort bonne catholique. Elle aime la messe, la musique, la danse; elle aime aussi son prochain, ce qui est fort rare en ce pays. Par malheur, elle a du sang noir dans les veines. Sa mère était quarteronne, esclave d'un Espagnol de la Nouvelle-Orléans, le señor Alvarez. Ce fâcheux mélange de sang africain l'exclut à jamais de la bonne compagnie d'Oaksburgh. Tel gentleman crotté qui devrait être heureux de baiser la semelle de ses pantoufles la regarde avec mépris.

Et vous avez le courage d'être son ami? Cela est beau.

Non. Je suis Français, et à ce titre en dehors de la loi commune. Ce qui choquerait de la part d'un Américain n'est chez moi qu'une amusante excentricité; je passe pour un original: voilà

tout.

Est-ce que vous demeurez chez cette jeune dame?

Oui, je suis son associé.

Dick rentra.

Maître, miss Julia veut vous parler.

Acacia sortit du parloir, et l'Anglais resta seul. Il entendit un bruit léger comme un souffle; c'était un baiser: sur la main ou sur les lèvres? Le bon Lewis ne put décider la question. Ce baiser fut suivi d'une conversation à voix basse qui dura quelques minutes. Enfin Acacia revint, donnant le bras à miss Julia.

Qu'elle était belle! Sa taille était fine et souple, ses épaules larges, et son sein admirable. Tout son corps, divinement modelé par la nature, avait la rondeur et la fermeté des statues de marbre. Sa figure, pleine de joie, de grâce et de gaieté, était attrayante et voluptueuse. On devinait dans ses yeux toute l'ardeur du sang d'Afrique et d'Espagne.

Miss Alvarez, dit Acacia, je vous présente M. John Lewis, Anglais du comté de Kent, swedenborgien de profession, et mon ami depuis vingt-quatre heures.

-Vos amis seront toujours les miens, dit gracieusement Julia. Dick, faites porter du sherry. Vous arrivez d'Angleterre, monsieur? ajouta-t-elle.

- Oui, miss Alvarez, depuis un mois. Je viens prêcher l'abolition de l'esclavage au Kentucky.

Julia rougit et se mordit les lèvres.

Chut! dit le Français, ne parlons pas politique.

Quelle bêtise ai-je dite? se demanda John Lewis.

Comment connaissez-vous Acacia? reprit Julia.

Par hasard. Hier, sans me connaître, il m'a sauvé la vie à Louisville.

Cher Paul! dit la jeune fille, qui serra tendrement la main du lingot. A qui n'a-t-il pas rendu service? Sans lui, je serais aujourd'hui l'esclave de l'infâme Craig.

Bon! interrompit le lingot, c'est une vieille histoire que vous raconterez plus tard, si vous avez du temps à perdre. Chère miss Alvarez, ne faites pas de moi un héros. Vous savez fort bien que je ne suis qu'un spéculateur heureux; je place mes bonnes actions à gros intérêts. Je vous ai arrachée à ce coquin de Craig, mais je suis devenu votre associé; j'ai tiré John Lewis des mains des rowdies, mais je vais le faire prêcher dans mon église et doubler mes recettes... Mon bon swedenborgien, permettez-moi d'agir librement avec vous. Je vais faire appeler le contre-maître de ma fabrique de poudre.

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Le contre-maître parut bientôt. C'était un homme de six pieds, maigre, sec, dur, avec des yeux bruns enfoncés sous d'épais sourcils noirs.

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Appleton, dit Acacia, de quoi vous plaignez-vous ici?

· De rien.

Êtes-vous régulièrement payé?

- Je le suis.

Quelqu'un vous a-t-il maltraité?

Essayez, si vous l'osez, dit insolemment le contre-maître. Nous verrons cela tout à l'heure. Maître Appleton, vous avez offensé gravement miss Julia Alvarez pendant mon absence.

Je l'ai embrassée de force; elle a crié, ce moricaud est venu, et je l'ai rossé pour lui apprendre à se mêler de ce qui le regarde. La belle affaire! Est-ce qu'on peut offenser une négresse?

Julia pâlit.

Appleton, dit froidement le Français, je vous dois cent dollars pour vos appointemens du mois. Les voici. Dick, mets-le à la porte.

Dick s'avança d'un air résolu. Appleton tira de sa poche un revolver. Si ce chien me touche, dit-il, je le tue.

Le mulâtre recula effrayé.

- Lewis, dit alors Acacia, emmenez miss Alvarez, je vous prie; nous allons rire.

Non, s'écria Julia, je ne sortirai pas. Au nom du ciel, monsieur Lewis, empêchez ce combat. Ce misérable va l'assassiner.

Rassurez-vous, chère Julia, dit le lingot en souriant; j'ai dompté des brutes plus enragées que celle-là.

Et il arma de son côté un revolver.

- Appleton, continua-t-il, écoute et comprends-moi. Si tu tires, si tu effraies miss Alvarez, je te brûle la cervelle.

Appleton hésita. Il connaissait et redoutait Acacia; mais il avait honte de reculer. Le lingot s'avança hardiment, et lui arracha son revolver.

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Sors d'ici, misérable, lui dit-il, et rends grâces à la présence de miss Alvarez, qui m'empêche de te traiter comme tu le mérites. Appleton sortit plein de rage. Au moment de refermer la porte, il se retourna. Et vous, dit-il, prenez garde, défenseur des négres. Vous me retrouverez un jour.

Que signifie cette menace? dit John Lewis.

Ce n'est rien, répondit Acacia. Le serpent n'oserait mordre. Paul, dit Julia, il faut nous séparer; c'est moi qui vous fais tant d'ennemis. On vous tuera.

— Miss Alvarez, dit le Français, si je ne suis plus votre ami, je suis encore votre associé. A ce titre, je reste. Que dirait-on en France si un ancien soldat d'Afrique refusait sa protection à une femme? J'ai couru pendant trois ans sur les talons d'Abd-el-Kader, et je craindrais un Craig ou un Appleton! Non, par le Dieu vivant!... Venez avec moi, Lewis.

- Où allez-vous? dit Julia.

-Chez Jeremiah Anderson. Mon ami John est blessé, et je ne veux pas le confier au docteur Brown, le plus ignorant des mortels. Miss Deborah prendra soin de lui.

- Vous allez souvent chez Jeremiah Anderson, dit Julia; miss Lucy est bien belle.

Acacia parut mécontent. Il serra silencieusement la main de la jeune fille et sortit avec l'Anglais.

- Mon cher ami, dit Lewis, vous n'êtes ni le frère, ni le mari, ni l'amant de cette jeune dame?

Non, certes. Je suis son ami, rien de plus.

Lewis soupira.

- C'est un ange du ciel, dit-il. Quel dommage qu'elle soit aveuglée par les ténèbres du papisme!

-Eh bien! convertissez-la.

Il y eut un moment de silence. L'Anglais reprit :

Qu'est-ce que miss Deborah Anderson?

C'est votre médecin.

Vous vous moquez.

Je ne me moque pas. Miss Deborah est aussi bon médecin et

TOME XIV.

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aussi gradué qu'aucun docteur des États-Unis. Aimez-vous mieux que je vous livre à ce charlatan de Brown, qui, sans avoir vu un amphithéâtre, a coupé plus de soixante jambes mexicaines ou yankees? Que le ciel m'en préserve! Mais c'est un singulier médecin qu'une jeune fille.

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Ai-je dit qu'elle était jeune? Miss Deborah n'a point d'âge. C'est la vertu en personne, la vertu avec des lunettes. Son front est rigide, ses yeux sont rigides, sa bouche et son menton sont austères; son teint est d'un anachorète. Elle a la forme et la raideur d'une planche bien rabotée. Sa taille est droite et inflexible comme son âme, et toutes deux comme un mât de vaisseau. Son nez a la courbe et le tranchant du sabre. Si elle rêve quelque chose, c'est le martyre; si elle chante, c'est un psaume; si elle lit, c'est la Bible. Elle parle français, elle sait coudre, elle sait faire des confitures; elle est jolie, malgré sa maigreur. Si elle savait se taire à propos, elle serait parfaite. Entrez; vous aurez le temps de faire connaissance avec elle et avec toute la famille.

Miss Deborah était assise et lisait Milton en compagnie de sa jeune sœur Lucy. A la vue d'Acacia, elle se leva, lui donna une poignée de main toute virile, fit une révérence à son compagnon, leur montra des chaises et se rassit elle-même.

Elle était grande, maigre, compassée, raide, vertueuse, orgueilleuse, savante, dévote et dévouée à ses amis. Sa mère, méthodiste fanatique, l'avait envoyée de bonne heure à New-Haven (Connecticut), chez une de ses tantes, chargée de la guider dans la pratique de toutes les vertus. Malheureusement la tante de Deborah était une vieille fille que sa laideur et son humeur acariâtre avaient réduite au célibat, et chez qui le célibat aigri tournait en fureur. Elle haïssait profondément les hommes, qui l'avaient dédaignée, et déclamait contre le mariage. Elle citait sans cesse à Deborah l'exemple de ces femmes illustres qui ont honoré leur sexe par leur mépris des hommes: Jeanne d'Arc, qui délivra la France des Anglais; la grande Élisabeth, cette vestale assise sur le trône de l'Occident. On sait en France quelle passion les femmes trop émancipées ont d'émanciper les autres femmes. Cette passion n'est rien auprès de la rage qui possède quelques vieilles sous-maîtresses d'Angleterre et d'Amérique. La lecture assidue et l'interprétation de la Bible, un mysticisme déréglé qui se rapproche de l'hystérie, l'eau glacée qui trouble les fonctions organiques, le thé qui aurait attristé la joie de Rabelais lui-même, le brouillard qui couvre ces contrées, les plus humides du globe, et qui enfante une sombre mélancolie, tout contribue à créer cette classe de femmes aigres, dévotes, pédantes, prêcheuses, envieuses, méprisantes et méprisées, dont les romans austères paraissent un heureux et savant mélange du Cantique des

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