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COMMUNICATIONS

UN NOUVEAU BAS-RELIEF DE SNOFROU

AU OUADY MAGHARAH,

PAR M. RAYMOND WEILL.

Depuis le jour où la découverte des papiers de la mission anglaise de 1868 au Sinaï nous permit, l'année dernière, de manifester l'intention de publier le recueil des inscriptions égyptiennes de la péninsule1, de précieux concours nous sont arrivés de la part des orientalistes qui, ayant parcouru le pays en ces dix dernières années, en avaient rapporté des documents inédits. La plus intéressante de ces contributions est due à L. Borchardt. Cet égyptologue des plus informés, fouilleur plein d'expérience, est aussi un voyageur infatigable que ses excursions conduisirent, pendant l'hiver de 1896-1897, aux établissements égyptiens du Sinaï où il nota des monuments inconnus en assez grand nombre. Certaines de ses copies furent publiées en 18972; d'autres, encore inédites, sont celles qu'il a bien voulu nous envoyer. Nous nous proposons de signaler ici le plus important des monuments dont nous lui devons la connaissance.

Il s'agit d'un bas-relief de Snofrou, le prédécesseur de Khéops et le premier roi de la IVe dynastie dans la classification manéthonienne. Ce monument, qui se trouve à Magharah, n'a cependant rien de commun avec le bas-relief de Snofrou que Laborde dessinait déjà en 1830 et qui dut

1. R. Weill, Inscriptions égyptiennes du Sinaï; I, Les dossiers de Londres, dans Rev. archéologique, 1903, II, p. 1-9.

2. L. Borchardt, Ein ägyptisches Grab auf der Sinaihalbinsel, dans Zeitschrift, 1897, p. 112 115.

à sa qualité de plus ancien monument égyptien connu, d'être si souvent reproduit depuis ; ce dernier tableau figure dans la rangée des grands bas-reliefs memphites qui attirent tout d'abord le regard, sur le flanc du ravin de Magharah, à gauche lorsqu'on pénètre dans la vallée; la plupart des tableaux de cette série sont bien connus depuis longtemps. Tout à fait étranger à ce groupe est le bas-relief de Borchardt, qui fait partie, autant qu'on en peut juger en l'absence de données topographiques précises, d'un autre ensemble de monuments rupestres moins bien connus que ceux de la série memphite parce qu'ils sont situés en un point plus difficilement accessible de la vallée. On arrive cependant à déterminer sur la carte leur emplacement approximatif, on sait qu'ils se trouvent dans le voisinage de quelques mines imparfaitement repérées, et quant aux bas-reliefs euxmêmes, on en possède quelques-uns, depuis peu, sous la forme des estampages retrouvés à Londres. Antérieurs à la période memphite proprement dite, ils appartiennent aux rois thinites ou à leurs successeurs immédiats de la Ire à la IIIe dynastie. Nous avons publié ces monuments1, dont les deux plus remarquables au point de vue historique portent le nom de l'Horus Mersekha ou Semerkha, qui est sans doute identique au roi Samsou-Semempsès, de la Ire dynastie, et le nom de l'Horus Noutirkha, qui est le roi Zosir de la IIIe.

Le nouveau bas-relief de Snofrou, comme nous venons de le dire, est probablement situé au milieu de ce groupe de la période thinite. Chose plus remarquable, il appartient entièrement à la période thinite par l'ensemble et par les détails de sa facture, tandis que l'autre bas-relief du même roi, celui qui figure dans le groupe memphite, est au contraire apparenté de la manière la plus nette avec les tableaux

1. R. Weill, Inscriptions égyptiennes du Sinaï; II, Les bas-reliefs thinites du ouady Magharah, dans Rev. archéologique, 1903, II, p. 230-239.

memphites voisins, ceux de Khéops et des rois de la Ve et de la VI dynastie.

Par la composition, d'abord, notre bas-relief semble avoir été copié sur celui de Semerkha. Il comprend deux scènes superposées en haut, le roi coiffé de la couronne blanche et frappant de sa masse un prisonnier asiatique tombé devant lui; au-dessous, le roi représenté deux fois, debout, ses deux figures orientées dans le même sens et marchant l'une derrière l'autre, la première avec la couronne blanche, la seconde avec la couronne rouge. Ces deux scènes se retrouvent exactement pareilles dans le tableau de Semerkha, où elles sont seulement disposées sur une même ligne au lieu d'être superposées. Observons, toutefois, que cette composition n'est pas absolument particulière à la période thinite; elle a été reproduite, à Magharah même, dans un bas-relief du début de la Ve dynastie, celui de Sahourî.

Les légendes de notre monument, par contre, sont conçues dans une forme tout à fait caractéristique de la période thinite. On sait qu'à cette époque les monuments ne désignent encore le roi, dans la presque totalité des cas, que par son nom d'Horus dans le cartouche rectangulaire, tandis qu'aux époques suivantes, et dès le début de la IVe dynastie, on voit paraître à côté du nom d'Horus, la série des autres noms de la titulature royale, et particulièrement le nom royal proprement dit dans le cartouche allongé or, c'est à la manière thinite que le roi est nommé ici. Devant le groupe du roi frappant le prisonnier, on voit le cartouche rectangulaire surmonté du faucon d'Horus avec, à l'intérieur, le nom d'Horus du roi Snofrou, Nibmâit; à côté de ce cartouche, en une colonne verticale, la légende connue : « Donne richesse, stabilité et joie, à jamais.» Derrière le groupe, le même cartouche d'Horus sans autre mention. Au registre inférieur, le cartouche d'Horus est simplement répété deux fois encore, une fois devant chacune des figures royales debout. Quant au nom royal, Snofrou, il n'est pas mentionné.

Si l'on compare ces légendes avec celles que portent les bas-reliefs du groupe thinite de Magharah, on verra qu'elles sont rédigées et disposées, d'une manière générale, comme celles du bas-relief similaire de Semerkha, et l'on remarquera en outre l'analogie avec le tableau de NoutirkhaZosir qui résulte de la présence de la légende supplémentaire « Donne richesse, stabilité et joie, à jamais. » Le caractère non memphite de ces écritures est d'autant plus remarquable que l'autre bas-relief du même Horus Nibmâit, roi Snofrou, connu depuis longtemps dans le groupe des tableaux memphites de Magharah, porte au contraire des légendes de la rédaction la plus nettement memphite. Le cartouche d'Horus figure toujours à côté du groupe du roi frappant l'Asiatique tombé devant lui; mais au-dessus de la scène règne horizontalement un long cartouche ovale dans lequel est inscrite une titulature royale complète : « Le Roi du Sud et du Nord, le Seigneur du Vautour et de l'Uræus Nibmâit, l'Horus d'Or Snofrou. »

C'est d'après ce dernier type, plus ou moins développé, que les monuments des rois memphites devaient désormais être conçus. Snofrou présente donc cette particularité que des deux bas-reliefs à son nom qui existent au ouady Magharah, l'un est encore thinite, l'autre est déjà memphite, et tous deux présentent ces caractères avec une netteté égale. Que faut-il en conclure, sinon qu'à l'époque de Snofrou les habitudes que nous considérons comme caractéristiques de l'époque memphite n'avaient pas encore fait disparaître des habitudes anciennes, assez différentes, et que des influences antagonistes luttaient encore dans le domaine de l'art et des représentations religieuses et royales?

Il ne fait pas de doute que les noms de Thinis et de Memphis, qui s'attachent respectivement, dans la tradition de la liste grecque, au groupe des Ire et IIe dynasties et au groupe de celles qui viennent ensuite, répondent à la réalité histo

rique d'un déplacement de l'autorité royale du sud au nord de l'Égypte. C'est en effet dans la Haute Égypte que se trouvent les villes et les grands sanctuaires de ces rois des premières dynasties qu'on a pris l'habitude très justifiée d'appeler thinites, et dont les monuments, trouvés depuis sur une foule de points de l'Égypte entière, sont sortis pour la première fois et en plus grande quantité des fouilles d'Abydos; c'est dans la Basse-Égypte, d'autre part, qu'on trouve établis ensuite le siège du gouvernement des Memphites de la IV dynastie et leurs sépultures, les pyramides de Gizeh. Une révolution, évidemment, s'est accomplie entre la fin de la II dynastie et le début de la IV, analogue aux révolutions qui devaient transférer le pouvoir, après la IVe dynastie, de Memphis à Héracléopolis, et plus tard d'Héracléopolis à Thèbes; le Nord s'empara de l'hégémonie que détenaient les rois d'Abydos ou de Thinis, et à partir de ce moment, de nouvelles coutumes se juxtaposèrent aux anciennes coutumes thinites qu'elles devaient finir par éliminer.

Une pareille évolution suppose une phase intermédiaire où les choses anciennes et nouvelles se mêlent et se superposent c'est précisément le phénomène que mettent en évidence les bas-reliefs dissemblables de Snofrou à Magharah et l'on voit, d'après cela, que le règne de Snofrou doit être considéré comme appartenant à la période de transition. On possède, d'ailleurs, depuis peu, d'autres monuments de Snofrou qui sont d'un type thinite aussi net que le basrelief même de Borchardt; ce sont les empreintes de cylindres trouvées à Hiérakonpolis par Quibell, et sur lesquels le roi est seulement désigné par son nom d'Horus Nibmâit'. Particularité remarquable, ces cylindres ont été trouvés en même temps que des cylindres de rédaction et de facture tout à fait semblables au nom de l'Horus Noutirkha, le roi Zosir 2; et cela confirme de la manière la plus 1. Quibell, Hierakonpolis, II, pl. LXX, no 2, 9. 2. Ib., pl. LXX, no 3.

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