Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

reuse influence. Au sortir de l'éducation maternelle, éducation aussi tendre qu'éclairée, le jeune Wladimir trouva dans son père un guide vigilant et sûr. M. Brunet avait connu l'abbé Gautier, fondateur d'une méthode qui porta son nom et qui se continua par ses livres, comme aussi par ses élèves. Il fit suivre tout d'abord cette école à son fils; puis, en 1821, quand Wladimir eut douze ans, il lui donna pour précepteur un jeune professeur, M. Berger de Xivrey, qui n'avait que neuf ans de plus que son élève, et qui avait renoncé à une carrière plus lucrative pour s'adonner spécialement à l'étude de la littérature et de la langue de l'ancienne Grèce. Le précepteur le conduisit à ses cours de prédilection, aux cours de langue et de paléographie grecques de MM. Boissonade et Hase, et ce fut par là qu'ils entrèrent en relations avec MM. Dehèque, Egger et de Longpérier.

Sans sortir de chez lui, Wladimir Brunet put avoir un autre enseignement du grec. M. Brunet, maître d'une fortune considérable, vivait largement et recevait volontiers chez lui les Grecs réfugiés en France. Notre jeune helléniste était curieux de savoir ce que la langue d'Homère, des lyriques, des grands tragiques, de tant d'historiens et de philosophes renommés, était devenue à travers les âges. Il eut pour le lui apprendre un de ces réfugiés, auteur d'une grammaire grecque qui était conçue de manière à faire saisir les transitions de la langue classique à la langue parlée de nos jours.

Les circonstances devaient aiguillonner son zèle.

La Restauration avait succédé à l'Empire. La mer était libre, on pouvait s'y aventurer sans péril. On recommençait à s'intéresser aux chrétiens d'Orient. En 1816, le duc de Richelieu envoyait le marquis de Rivière en mission auprès du Grand Seigneur. J'ai eu l'occasion de signaler. cette mission dans ma notice sur Ambroise-Firmin Didot, qui en faisait partie comme attaché d'ambassade; élève

de Coraÿ, il y allait animé de l'esprit de son illustre maître. Dans les notes de ce voyage qu'il lui dédia, il donnait une idée du mouvement qui allait se produire parmi les hommes de sa génération en faveur de la Grèce. La vue de sa déchéance présente était trop en contraste avec les souvenirs de son glorieux passé pour ne pas les entraîner à seconder les efforts de ceux qui voulaient, dans l'ancienne Hellade, et notamment dans l'Archipel, l'y ramener, en secouant le joug des Turcs. Les Grecs qui avaient trouvé asile en France, espéraient y arriver en travaillant à la régénération de leur pays, et Coraÿ paraissait croire que cela demanderait bien trente ans. Dans le pays, la haine du despotisme, l'amour de la liberté, ne pouvait pas se résoudre à une si longue attente. La révolte éclata, les représailles furent terribles, mais le spectacle de cette lutte héroïque allait susciter en France, et ailleurs encore, des vengeurs à ceux qui se sacrifiaient généreusement pour l'affranchissement de leur patrie.

Wladimir Brunet, je n'ai pas besoin de le dire, n'était point en âge de prendre une part active à cette lutte qui, du commencement de l'insurrection en 1821, se continua jusqu'en 1827 et aboutit à la bataille de Navarin, jour fameux où les flottes unies de la France, de l'Angleterre et de la Russie détruisirent la flotte turque (1827). Durant cette période, quelles angoisses dans les alternatives de succès et de revers, mais aussi quel enthousiasme à l'heure du triomphe! Le jeune Brunet voulut selon ses moyens en assurer la durée, en travaillant, à la façon de Coraÿ, à la régénération de la masse populaire depuis si longtemps asservie. Il fit servir ce que lui avait appris de grec moderne le vieux Théocharopoulos, pour mettre à sa portée nos meilleurs traités de morale publique; il traduisit et publia à cet effet, en 1828, chez Firmin Didot, les Maximes et Réflexions morales du duc de La Rochefoucauld, traduites en grec moderne, avec une traduction anglaise en regard. Il disait dans son avertissement :

Ambitionnant la gloire de pouvoir être de quelque utilité à cette héroïque nation, je me suis efforcé de donner à ma version le plus de fidélité possible, et M. Théocharopoulos a bien voulu, par ses soins, la rendre digne d'être publiée. J'y ai joint une traduction anglaise déjà ancienne, dans l'espérance de faciliter aux jeunes Grecs l'étude des deux langues les plus répandues de l'Europe.

Il ajoutait :

Je commençai ce travail après la chute de Missolonghi, et je le terminai alors que retentit le canon de Navarin. Les enfants de la Hellade verront qu'en France de jeunes cœurs palpitaient pour leur cause sacrée et que, comme eux, ils n'ont jamais désespéré de l'avenir de la Grèce.

Il traduisait également, à la même intention peut-être, les Pensées de Vauvenargues, mais elles n'ont pas été publiées 1. <«< Dans sa passion pour la Grèce, dit l'auteur dont je viens de citer la notice, il se mit à lire dans le texte tous les auteurs classiques, puis les auteurs byzantins, se donnant la tâche, comme il disait lui-même, de ne pas laisser, sans la lire, une seule ligne de grec imprimé; puis, remontant le cours des âges, il étudia, sous la direction de MM. Ch. Lenormant et Letronne, dans l'histoire de l'Egypte, les origines et les développements de cette civilisation que la Grèce devait porter à ses dernières limites. Absorbé par ces lectures et ces études sérieuses,

1. C'est dans la même pensée de sympathie qu'il traduisait en gree moderne, avec M. Dehèque, le Traité des devoirs de Silvio Pellico, sous le pseudonyme de Cébés le Thébain, titre qui trompa M. Rangabé luimême, correspondant de l'Institut, qui le range dans son histoire littéraire de la Grèce moderne, et l'erreur, signalée par M. Louis Legrand, amena une réponse aigre-douce de M. Rangabé à laquelle M. Louis Legrand répliqua La traduction grecque moderne des « Devoirs » de Silvio Pellico; note d'histoire littéraire. Le Havre, 1893). Dès 1840, il avait témoigné de sa compétence en langue et littérature de la Grèce à toute époque par un article inséré dans l'Encyclopédie des gens du monde, t. XIII, 1o partie,

il publia peu pendant une dizaine d'années; il se préparait à de grands travaux; du reste, il avouait lui-même n'avoir jamais eu qu'un très médiocre attrait pour l'encre d'imprimerie 1. >>

Une occasion le réconcilia avec l'encre d'imprimerie. En 1840, l'Académie des inscriptions et belles-lettres mit au concours cette question:

Tracer l'histoire des établissements formés par les Grecs dans la Sicile; faire connaître leur importance politique; rechercher les causes de leur puissance et de leur prospérité, et déterminer, autant qu'il est possible, leur population, leurs forces, les formes de leur gouvernement, leur état moral et industriel, ainsi que leur progrès dans les sciences, les lettres et les arts jusqu'à la réduction de l'île en province romaine.

C'est le mémoire de M. Brunet qui fut couronné en 1842, et il obtint la faveur de le faire imprimer à l'Imprimerie royale sous ce titre : Recherches sur les établissements des Grecs en Sicile jusqu'à la réduction de cette île en province romaine (1845).

Dans ce même temps, l'Académie des inscriptions avait proposé pour le prix ordinaire l'examen critique de la succession des dynasties égyptiennes. C'est une question pour laquelle la lecture des inscriptions hiéroglyphiques semblait indispensable (on l'a pu voir depuis les travaux de notre confrère Maspero); mais elle était abordable aussi par le grec; car l'ouvrage de Manéthon sur les dynasties. égyptiennes, fondé sur des renseignements égyptiens, est l'introduction nécessaire aux recherches à poursuivre. L'Académie était donc autorisée à la proposer dès cette

1. Des articles de Revues; par exemple, dans l'Encyclopédie des gens du monde (1840), un article intitulé : Hiéroglyphes, à propos du Précis ou Système hieroglyphique, publié en 1827 par Champollion,

époque aux recherches des savants, et Brunet de Presle savait assez de grec pour l'aborder sans témérité. Le sujet le tenta; cette fois pourtant, son mémoire eut une simple mention; le prix fut remporté non point par un égyptologue, mais par un architecte, M. Lesueur. Brunet de Presle accepta sans se plaindre son échec ; il publia même en 1850 son mémoire, disant avec beaucoup de bonne grâce qu'il fournirait peut-être encore quelques documents utiles à ceux qui voudraient reprendre la question sur les données de M. Lesueur.

Cette participation aux concours académiques avait dû le mettre en rapport avec les membres de l'Académie des inscriptions. Ils devaient voir avec sympathie un jeune savant, d'une situation indépendante, se livrer à ces études sérieuses, assurément très peu populaires, et son caractère doux et modeste ne pouvait que lui gagner tout le monde. L'Académie venait même de lui donner une marque de confiance de bien bon augure. Les papyrus grecs du Louvre, que l'exploration des tombeaux avait remis au jour, intéressaient vivement les érudits et les classiques et pouvaient contenir des débris de la littérature grecque des meilleurs temps, importés en Égypte sous le règne des Ptolémées. L'Académie les avait remis à Letronne qui avait accepté la charge d'en faire l'étude et de les publier. Notre éminent confrère, attiré vers l'Égypte par les découvertes de Champollion, s'était passionné pour ce travail. Il avait pris rapidement connaissance des papyrus, il les avait classés en quatre séries par ordre de matière, il en avait même tiré le sujet de quelques curieux articles pour le Journal des Savants, comme: Récompense promise à qui ramènera à son maître un esclave fugitif, petit bijou de mémoire qui m'avait tant charmé par la finesse des aperçus et la justesse des déductions. Mais, hors de ces morceaux, il n'avait rien écrit, il savait si bien loger dans sa tête ce qu'il recueillait de ses lectures qu'il comptait faire son

« ZurückWeiter »