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plus vive reconnaissance. Mais, je vous l'avouerai, quoique bien jeune encore, je n'étais guère partisan de la philosophie du XVIIe siècle, et c'était, à mes yeux, le côté vulnérable de mon excellent parent. Me permettriez-vous de vous dire que j'ai regretté l'épithète de stoïque donnée à la sérénité avec laquelle notre cher malade supportait ses souffrances? Il y avait quelque chose de mieux chez lui, et je vous sais bien bon gré, Monsieur le marquis, de n'avoir pas passé sous silence la consolation que m'avait procurée ce cher Wladimir en acceptant les dernières consolations de la Religion.

Auprès de la lettre qui annonçait la mort je trouve ce télégramme :

DUNKERQUE, DE ÉTRETAT...

C'est Egger qui d'Étretat annonce cette mort au marquis de Saint-Hilaire qui est à Dunkerque.

Ainsi les deux plus intimes amis de Brunet de Presle ont eu la douleur de ne pas assister à ses derniers moments.

Le marquis de Saint-Hilaire, qui prodiguait ses soins à notre confrère dans ses derniers jours, nous a retracé la fermeté avec laquelle il acceptait la mort. Toute l'excellence de son âme se manifeste dans la sollicitude qu'il montrait pour les siens, qu'il étendait aux études dont les progrès avaient été le souci constant de sa vie. Cinq ans auparavant, il avait légué sa bibliothèque grecque moderne à l'École des langues orientales vivantes pour qu'elle en jouît après lui, et n'avait pas cessé de l'accroître ; il confirma ce legs pour le tout, à la condition que rien n'en serait détaché. Et ainsi cette incomparable collection, le fonds Brunet de Presle, y perpétuera le souvenir de son enseignement. Il n'est pas besoin de dire que cet homme, si modeste et si simple, déclina pour ses funérailles l'éclat des honneurs auxquels ses titres lui donnaient droit. Mais ses amis ne laissèrent point d'accourir de Paris, et une foule empressée accompagna sa dépouille mortelle de la

maison de Parouzeau à l'église de Wimpelles pour la ramener à Parouzeau, domaine patrimonial de sa femme où il s'était fait construire un tombeau de famille. Sa femme, son fils, en qui il avait mis tant d'espérances, l'y avaient précédé. En raison des réserves mises aux pompes de la cérémonie funèbre, Egger, son ami le plus dévoué, dut s'abstenir de prononcer un discours sur la tombe; mais il fit la courte notice que la Société de Linguistique s'empressa d'insérer dans son plus prochain Bulletin. L'Académie, en apprenant sa mort, avait, en signe de deuil, suspendu la séance.

Nous sommes quatre restés de ce temps-là. Mais le souvenir de cet aimable collègue ne s'est pas perdu dans la Compagnie, et tous ceux qui s'intéressent, dans l'Institut ou au dehors, à la langue et à la littérature de la Grèce, rendront toujours hommage aux services qu'il leur a rendus.

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Si un philosophe s'avisait de parcourir la série des discours annuels dans lesquels l'Académie française, pour se conformer aux volontés dernières de M. de Montyon, fait l'éloge des actes méritoires qu'elle récompense, il ne manquerait pas d'y trouver matière à observation psychologique. Je ne veux point insinuer qu'il y recueillerait parfois des révélations curieuses sur les âmes des académiciens je n'entends parler ici que des personnes qui sont l'objet de ces panégyriques. A voir quelle est leur condition, quel est leur âge et leur sexe, quelle forme prend leur dévouement et quels sentiments motivent leur conduite, on devine ce que doit être l'état social au milieu duquel elles se sont trouvées. Autre étant la civilisation, autre serait la vertu. C'est ce dont on peut se convaincre en jetant les yeux sur ce vaste Empire chinois, dont la population, plus nombreuse que celle de l'Europe entière, obéit dans sa vie à des principes directeurs qui nous sont étrangers.

Pour édifiante que soit la lecture de notre Journal officiel, ce n'est pas là que nous allons le plus souvent chercher des leçons de morale. En Chine, au contraire, c'est la vénérable Gazette de Péking, qui, parmi tous les

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édits et les rapports au trône, dont elle est le recueil, nous fournira les documents dont nous avons besoin pour notre étude. Récompenser les bonnes actions est, en effet, le privilège de l'Empereur; comme d'ailleurs certains hauts fonctionnaires seuls ont le droit de s'adresser au Fils du Ciel, les candidats aux prix de vertu doivent être présentés dans un rapport administratif pour que le souverain puisse prendre connaissance de leur dossier et statuer sur leur cas. Ainsi, la Gazette de Péking nous montre comment l'Empereur est informé et nous renseigne en même temps que lui. On peut se demander pourquoi l'autorité suprême intervient dans des questions qui nous paraissent ne relever que du tribunal de la conscience. Ce droit résulte du devoir qu'a l'Empereur de veiller sur l'âme aussi bien que sur le corps de ses sujets; il est, disent les Chinois, le père et la mère de son peuple; il est donc tenu, non seulement de veiller à ses intérêts matériels, mais encore de le guider dans la voie du bien. Il le récompense et il le châtie comme des parents leur enfant.

Les prix de vertu que décerne l'Empereur consistent tout d'abord dans l'expression pure et simple de son approbation. Pour rendre public ce témoignage de satisfaction, on se bornait autrefois à l'inscrire sur la porte de celui qu'on voulait honorer. Mais nombre d'habitations sont situées dans des ruelles écartées; afin que nul cependant n'ignorât l'éclatante faveur qu'une famille avait reçue en la personne d'un de ses membres, on a pris l'habitude d'ériger dans les endroits les plus fréquentés, à l'imitation de la porte de la maison, des sortes d'arcs de triomphe formés essentiellement de deux piliers et d'un linteau droit au sommet est placée en pleine lumière la tablette conférée par l'Empereur; une légère toiture l'abrite contre les intempéries; souvent deux ouvertures latérales plus petites, réservées aux piétons, flanquent la baie principale sous laquelle peuvent passer les voitures. Ces monu

charmant de

ments, rehaussés par l'art bizarre et l'Extrême-Orient, sont d'une architecture fort élégante. Tel est le prix de vertu qu'on attribue aux vivants comme aux morts, aux femmes aussi bien qu'aux hommes. D'autres distinctions sont particulières à certaines catégories de personnes seulement nous les mentionnerons en examinant les cas spéciaux auxquels elles s'appliquent.

Il est à remarquer que, si l'autorisation d'élever un arc de triomphe est accordé par l'Empereur, ce n'est pas lui qui paie la construction. Sur son ordre, les autorités locales se bornent à octroyer une somme qui est le plus souvent de trente taëls (environ cent francs) ce modeste subside représente sans doute le prix de la tablette sur laquelle est inscrite la formule élogieuse prononcée par le souverain. Quant au reste des frais, ils doivent être supportés par le bénéficiaire ou par sa famille. Il en résulte tout naturellement que, sauf dans certaines circonstances exceptionnelles où une souscription publique vient en aide au mérite pauvre, les gens dans l'aisance peuvent seuls prétendre à obtenir ces coûteux honneurs. Ce serait cependant une erreur de croire que les Chinois font de la fortune la condition nécessaire, sinon suffisante, de la vertu; leur conception morale est plus complexe : la littérature est, aux yeux des Chinois, la source de toute sagesse; c'est par l'étude des meilleurs ouvrages de l'antiquité qu'on peut comprendre ce qu'est la nature humaine, qu'on devient capable de distinguer entre le bien et le mal, et que, par suite, on agit bien, car on ne pèche que par ignorance. L'homme instruit est, par définition. même, l'homme vertueux. Les lettrés seuls sont donc capables de faire consciemment leur devoir; pour cette raison, on recrute parmi eux les fonctionnaires chargés de guider le peuple qui se conformera sans raisonner à leur exemple. Comme on le voit, il ne peut être vertu digne de ce nom que chez les lettrés, et, comme ceux-ci

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